La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Je ne reconnaîtrais jamais que j’aurais aimé faire l’amour.
je ne désire et je n’ai désiré que rentrer dans le royaume des cieux.
parmi des anges veules, parmi des femmes aux utérus de pierre,
parmi des enfants au sexe dodu et pervers,
parmi de grandes lesbiennes, parmi des voleurs qui prient, les genoux brisés,
parmi des ratés, des aveugles, des boiteux et des impuissants,
des impotents qui se construisent des châteaux de sang,
parmi des noirs enchaînés, parmi des vieux suicidaires et fous.
je n’ai voulu faire l’amour qu’avec moi-même sur une croix en fer que j’ai moi-même dressée,
je n’ai pas voulu être violente avec les autres, je suce le sang de mes parents de sang.
puisque je n’ai que des parents de sang,
j’ai perdu mon équilibre. je suis presque un homme,
je ne suis pas un mâle. j’ai quatre testicules ;
deux testicules à la place des poumons, baignés de sang,
et deux testicules invisibles dans le cerveau.
je lutte avec moi-même et avec les autres avec la précision d’un grand professionnel.
je pars chasser des jupes lorsque le vent sèche sur les pierres.
j’ai le sentiment du devoir fiché comme un clou dans le front
et une hache doublée de la peau d’un jeune animal qu’on a tué doucement et sûrement.
depuis l’enfance j’ai le sentiment de la mort fichée
comme une griffe d’aigle dans la tempe droite.
j’ai tant voulu demeurer intouchable que j’ai tourmenté ma mère comme moi-même.
je me sens coupable de n’avoir pas été depuis le début presque un homme,
j’aurais dû arracher mes dents, me tailler sur le sternum une croix avec le couteau,
j’aurais dû arracher mes yeux, me tailler les doigts des mains et des pieds,
ne pas pleurer avec des larmes, ne pas désirer d’amoureux, d’enfant, d’ami et d’ennemi,
j’aurais dû voir avec les yeux de l’esprit non avec la bouche.
ma bouche est tellement remplie de chair qu’il a fallu
tailler ma langue à la racine et la ficher dans l’église,
dans l’obscurité, à côté de l’autel.
le plancher de l’église s’est couvert du sang rouge de la bouche,
de la langue, je glisse sur le sang non sur les planches.
je veux rentrer dans le royaume des cieux
pour qu’il n’y ait plus de ciel.
In Je mange mes vers, © L’Oreille du Loup, 2011
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Contribution de PPierre Kobel
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