La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Le jardin des errances
Équilibristes de l'impossible condition humaine
non, le ciel n'est pas rouge encore
épargnés les oiseaux deviennent confidents du rêveur
il s'est bouché les oreilles, yeux clos il voue
Icare du songe
ses frères font commerce de fruits, leurs mains
se tendent, caressent, on dirait
qu'ils découvrent la douceur du temps suspendu
fondant sur les bouches entrouvertes -
plutôt rêveurs, oui, assoupis parmi les plumes
et la cohabitation paraît suave…
à peine un attouchement
(mais c'est un fruit aussi que la main palpe)
ou bien cette variante de l'art floral…
Qu'y-a-t-il donc de faussé ?
Avaleurs, avalés ; dévoreurs, dévorés,
déjà les animaux pouvaient se poser la question :
tout cela est-il vraiment bon ?
Ne rêvaient-ils pas de refaire la création
pressentaient-ils qu'aujourd'hui, illisibles,
rayés de la carte ils seront bientôt
tout aussi étrange bestiaire ?
Ainsi pensait peut-être ce canard ?
(entre moine et sirène)
barbotant dans les livres…
Non, le ciel n'est pas rouge encore
l'incendie couve-t-il ?
Crachez les plumes et le fiel, embrochez,
tournez sept fois la langue dans la bouche
ne dites pas que c'est vous qui l'allumez
si vous avez tout desséché
cœurs désertiques vous faut-il donc
ces monstres pour vous empaler ?
Si le pacte d'alliance se fait sur terre
plaignez-vous de l'avoir perdu !
Et si le bleu ne descend plus
plaignez-vous de l'avoir recouvert !
Si le pacte est fragile – c'est sur terre
somnambules nous errons
la cavalcade, la ronde en nous ne cesse point.
Suffirait-il d'adoucir les gestes
il y aurait tant à brûler !
Sommes-nous si peu mélodieux
que la harpe nous transperce…
Quand donc, équilibristes impossibles
trouverons-nous la route du cœur ?
Terra incognita.
In Le bonjour et l’adieu, Sortir avec Jérôme Bosch – © Mercure de France, 1991
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Contribution de PPierre Kobel
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