Né en 1924, en banlieue, et fils unique, il fut un enfant timide, introverti, et comme beaucoup d’enfants sans fratrie peupla sa solitude de compagnons imaginaires.
Il est mort prématurément d’un cancer du poumon, à 57 ans en 1981.
Après des études de sciences politiques, de commerce et de droit, il a fait carrière comme chef de service dans un ministère.
Physiquement, comme il le décrit lui-même, c’était « un petit mec avec une grande bacchante, qui ressemble à Brassens »
Tout au long de sa vie, il a pratiqué le dessin, la peinture, et la photographie. Certaines de ses peintures, ainsi que des collages photographiques ont donné lieu à deux expositions à la galerie Jacob à Paris en 1953 et 1955.
Il a commencé tardivement à écrire, à 32 ans, en se tenant délibérément à l’écart des milieux littéraires, et du circuit marchand de la littérature industrielle, si bien que cette œuvre poétique, abondante et diverse a été pratiquement méconnue de son vivant, et mise à l’écart des recherches universitaires et du grand public.
Il s’est donc contenté de publier à compte d’auteur ou de ronéoter des plaquettes qu’il offrait à ses amis et relations, ou de confier ses œuvres à de petits éditeurs comme les éditions de l’Ermitage à Paris, pour Les Sandales de Paille, ou l’éditeur Thierry Bouchard, pour L’entrée dans le jardin.
Jourdan savait bien que toute création, qu’elle soit picturale, musicale ou littéraire est faite pour être vue, écoutée ou lue, mais il a fait plus confiance, au fil du temps, pour la diffusion de ses écrits, au bouche à oreille plutôt qu’aux marchands de la littérature.
Il a, par ailleurs, publié dans des revues dont il se sentait proche, comme La Traverse de son ami Paul de Roux, Sud de Jean Malrieu, ou La Revue des Belles Lettres à Genève.
Il a, aussi, en 1974, créé, avec Roger Munier, une revue intitulée Port-des-Singes, pour faire suite à la revue La Traverse, que son animateur Paul de Roux souhaitait abandonner. Le titre fut choisi par Jourdan en référence à un livre de René Daumal Mont Analogue.
Sans prétendre créer un mouvement poétique comme le Grand Jeu de Daumal, ou les Surréalistes, Jourdan souhaitait donner à sa revue une orientation spirituelle puisée notamment dans les écrits des philosophes taoïstes et zen.
Il s’agissait de transcender la réalité quotidienne apparente pour tenter d’en saisir l’essence, et au-delà des mots, parvenir, dans le silence, à l’éveil, au sens bouddhique du terme.
L’une des dernières phrases qu’il a écrites avant sa mort précise : « La porte reste fermée mais la raie de lumière tranche, comme une épée »
Cette orientation particulière, entièrement assumée par P.A. Jourdan, a donné à sa revue un profil original, mais qui pouvait difficilement lui survivre, malgré sa très grande tenue.
Tirée à 400 exemplaires elle n’a donc compté que neuf numéros, dont le dernier publié à titre posthume, avec les signatures prestigieuses de poètes tels que, René Char, Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Jacques Réda, Yves Michaux, Lorand Gaspar, Octavio Paz. La plupart des ces poètes de renom devinrent ses amis. René Char, rencontré en 1957, l’aidera à publier en 1961 chez José Corti, son premier livre « La Langue des Fumées ».
La relation avec Char, en particulier, de cordiale au début se transformera, au fil du temps, en durable amitié et en appréciation réciproque des travaux poétiques de chacun. Dans une de ses lettres à Jourdan, Char écrit : « J’ai lu vos poèmes, qui sont poèmes de poète et non simple désir de poésie. Ce n’est pas une opinion mais un sentiment frais et vrai. Je crois que c’est la sensation d’une parenté “ heureuse ” qui seule compte ici. Elle existe ou n’existe pas. Tout le reste se découvrira tout seul, le travail, l’exigence, le dépouillement toujours plus abrupt et ce mal-être se faisant, le temps d’un éclair, bien-être. ».
La très grande discrétion, volontairement assumée de P.A. Jourdan, concernant son œuvre a eu pour conséquence de la laisser plus ou moins en jachère de son vivant, et c’est seulement après sa mort, à partir de 1984, que grâce à ses amis, des publications posthumes vont être réalisées, soit dans des revues à forte diffusion, telle que la Nouvelle Revue Française, soit en volumes, notamment aux éditions UNES.
Il y a, dans son œuvre poétique une exigence de spiritualité, imprégnée de la philosophie taoïste et une volonté d’appréhender, à travers et au-delà des mots ce rien impalpable qui fait résonance et nous interpelle.
La nature, le jardin et les paysages n’en sont pas absents, bien au contraire car Jourdan a toujours pensé qu'on est fait par le lieu où l'on vit. Pour lui c'était le village de Caromb dans le Gard où il a passé la plus grande part de son temps libre et où il est mort.
En 1991, le Mercure de France a notamment publié, à titre posthume, sous le titre le bonjour et l’adieu, suivant un ordre chronologique, et avec une préface de Philippe Jaccottet, un ensemble de ses poèmes et proses poétiques écrits entre 1956 et1978, dont voici des extraits :
Marcher
Pierre et poussière du chemin,
homme désagrégé, homme comblé
tout entier dans cette image de son sang,
de son avenir de silence ;
lente et lourde pierre poussiéreuse
qui dévale le sang abrupt,
long cri se délivrant
de l’étouffant tableau de calme inaccessible
le corps soudain se connaît cible,
se fait violence
à portée de la masse obscure
qui l’étreint.
In Le bonjour et l’adieu, © Ce torrent d’ombres, p 31
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L’avenir en loques
Toujours les choses se dérobent et laissent
le regard errer sur cette nappe de clarté
dont la douceur n’est que l’approche de la pierre
pour de violentes noces imparfaites.
Et l’entaille demain à la mesure du corps entier,
de quel cri s’éveillera le chemin ?
Sous les paupières d’amande
glisse le fruit des larmes évaporées,
dur sommeil, long soleil de la besace des pauvres.
Ibid. p 37
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À la rencontre d’un pin
La parole chargée de guérir a dressé cette ruine
de quelques chardons bleus, de poussière et de vent ;
ce chemin où la mort, empoignée par tant de mots,
comme un figuier portant ses fruits dans un vieux mur
et l’embellie de lierre sur la porte fanée,
se referme sur le devenir joyeux,
le lointain, très lointain murmure
d’un pin amoureux.
Ibid. p 52
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En creusant
Le silence est notre chambre depuis toujours
les solitudes ne peuvent s’atteindre
qu’à travers de multiples déchirures
et c’est sans doute le sens ultime
de la lente pénétration de la terre dans nos corps.
In Le bonjour et l’adieu, © En descendant des collines p 58
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La crête
Il n ’y a plus de refuge
tout est dangereusement à vif
tiré jusqu’à l’usure
la lassitude s’ouvre aux raisons de feu
Avec cela faire son pain
à partager encore
avec l’innocence et les fous
refusant d’assigner sa place à la beauté
ibid. p 61
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Pensée fidèle
Elle a son nid plus loin
dans ce buisson de chêne vert
lointain feuillage couleur de lune
surplombant l’eau et c’est à peine
si l’image des pins déchiquetés, vivant
vient y faire courir quelque ride
Le jour se lève
non pas ce bruit rouillé
de la mort journalière
mais cette gloire silencieuse
ouvrant les nids
rien ne bouge
que quelques grains de lumière
roulant au bord d’une paupière
Ibid. p 69/70
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Partir
Et pour s’en détacher
nous aurons ensemencé cette terre de mots
l’orage les emporte
L’image tronquée du ciel
les colore parfois – on dirait
de grands jarres éclatées
sous la poussée violente du désir
d’accéder à la lumière
Plus loin que la houle des oliviers
bien plus loin que le gel
comme un murmure incontrôlable
ce front naissant de l’aube
porteuse d’évidences
in Le bonjour et l’adieu © Le dernier gibier, p 74/75
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Déséquilibre
Longtemps les mots frappent à la porte
le chiendent ne veut pas céder
la route se perd qui se garde farouche
une pie longe le silence à travers champs
Là, comme une ombre
et le vent se ferait porteur
d’étranges nouvelles
heureux celui qui se contente de son pas
maudit celui qui les entend
ibid. p 79
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Premier volet
(…)Dans cette image déchirée de mon enfance, au-dedans de moi, je ne savais pas ce soir-là, je devine à peine aujourd’hui, quelle force avait pris racine et me nourrissait. Le ciel où nous nous nous heurtions enfants, les collines traversées, août furieux, les pluies de septembre, les perpétuelles vendanges, cela forme une aire à fouler, à parcourir jusqu’au vertige ; une aire d’envol : tout ce qui reste pour s’évader du labyrinthe. (…)
(…) Un vorace nuage de sollicitations tourbillonne autour de moi. Demain le matinal parfum des pinèdes sacrera la maison. J’ai l’impression de m’éveiller, d’être en retard. Mon pas fait rouler les pierres, je les entends cascader, c’est un bruit poignant, étouffé, de passé qui s’écroule. Je lève les yeux. Oui, là-haut, peut-être…
In Le bonjour et l’adieu, © La marche 1959, p.103- 105
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Deuxième volet
« La vie de l’homme est comme un cheval blanc sautant un fossé et soudain disparu », dit Tchouang-tseu. Le fossé est de tous les jours. Tous les jours le cheval blanc saute et disparaît. Autant déjà sauter le fossé chaque jour à titre d’exercice salutaire, humer les exhalaisons de la terre, autant s’asseoir sur le fossé et contempler cet espace qui est là, posé comme une incitation à disparaître. Tout l’exercice est là : disparaître. Laver la vaisselle chaque jour, chaque jour, sauter le fossé : il n’y a pas tellement de différence. La différence est introduite par l’esprit qui refuse ce tour de passe-passe dont il se sait pourtant le jouet.(…)
ibid p. 109
(…)Et alors, direz-vous, où cela nous mène-t-il ? – Nulle part. « Ton corps même n’est pas en ta possession… » (Lie-tseu). La terre est nue, la patience infinie. L’arpenteur, sur un fil d’herbe. A mesure que les pouvoirs s’agrandissent, le monde rétrécit. Minuscule, sa leçon est une boule énorme qui enfonce tout le jeu mais c’est toi seul qui est renversé. Fort heureusement !
Tu sors dans le jardin répandre les cendres encore tièdes, elles vont nourrir une plante. Le feu est maintenant plus vif. L’ombre de la fumée passe sur la terre. Comme tout est en ordre soudain ! (…)
Ibid p. 111
La grâce du pessimisme c’est de franchir toujours un
espace plus grand que son ombre.
Sur les bords veillent d’étranges silhouettes.
Une montagne défendant ses à-pics par la vertu de
quelques herbes. Le breuvage est destiné à l’innocent,
quelque part dans le temps qui baille en s’éveillant
avec le luisant de la faux sous ses semelles.
In Le bonjour et l’adieu, © Le chemin en transparence, p 135
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Le temps d’aimer
Ma force qui s’effrite ajoute au chemin gravé dans la montagne. Les derniers buissons arrêtent la chute. La serpe du vent moissonne.
J’avance encore, sans m’occuper de dresser l’acte, de parapher les erreurs. J’avance avec la seule certitude du regard et les squelettes foudroyés je les vois fondre à l’injonction d’un souffle plus puissant.
Prolongement du geste un enfant se roule dans la poussière qu’il appelle en riant sa mère bienheureuse. Dans l’ombre le visage de sa petite compagne dont les genoux luisent comme d’ineffables galets.
Ibid p. 143
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Le village enseveli
Le rideau que d’un doigt j’écarte. Cette vitre sur le jardin ensoleillé. Il suffira d’un instant pour que tout se fonde, brûle, s’entrouvre. Nous sommes liés à cet abîme.
Au pied du mur géant un village reçoit la force qui me fuit. Peut-être tremble-t-il certains soirs lorsque l’orage fertilise les pierres ? Qu’importe ! La beauté jaillit de telles blessures.
La route s’étrangle. Les fleurs grandissent sur les pentes.
Cette vipère, tête écrasée sur le sentier comme un nerf détestable, est le temps vaincu. Mais le pas, la marque victorieuse, le pas déjà lointain, inaudible, mais la rencontre ?
Frôlant mon dos brisé je devine cette forme altière, le souffle puissant de ce boulet qui trace l’avenir, sans égard, éblouissant.
Presque conquis par tant de hargne joyeuse. Innocent incendie pour réchauffer le cœur, brûlant les étapes, devant la route commune où nous nous enfonçons.
Ibid p. 152
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Les trois pierres
Au soleil d’aplomb il palpite comme une longue bête avec sa fourrure de pins qui le désigne.
Entouré de fumées rasant les terres il paraît le seul fermement accroché. Bête assagie, heureuse, humant les collines. Sous ses remparts démantelés glissent les chemins d’oubli, les chemins à vif. Dans ses caves profondes l’empreinte vertigineuse de la mer.
Il va dormir de mon sommeil. Je n’emporte que le saut joyeux de l’aube qui va pour le nommer, mais qui hésite à inscrire sur la pierre la masse de son secret.
Ainsi restera-t-il ouvert et sous la voûte des ruelles résonnera la course des enfants.
J’ai quelques instants, tenu ces visages dans mes mains, soudain dépossédées. Je laisse tout en ordre. Nul ne s’apercevra de mon passage. Ceci est bien et respecte la secrète noblesse du pays.
In Le bonjour et l’adieu, © Paysages de l’amitié, p 167
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La prière sous la lampe
J’oublie le nom de cette femme lointaine et désirable, sa gorges couleur de feu, l’aiguillon souillé de sa langue. Je me reproche mon amertume mais c’est que je mesure la distance pourrie de misère qui nous sépare. L’oreiller de chardons !
J’émerge du sommeil pour blesser chaque jour ce visage ; passant qu’un peu de vent anime et décourage ; j’oublie son nom.
Je la revois parfois au sortir de quelque désordre. Je croise son regard, cette maigre chaleur dérobée efface mes larmes. Je la voudrais pourtant ainsi, amicale, multipliée, commune. Et je lui crie :
Lorsque nous basculerons au bout de la route que l’inespéré verger naisse contre ta hanche, maintienne les promesses de fruits. Que ta piété ne s’éloigne pas, laissant le désert sans ombre, la soif sans espérance, les hommes aux prises avec leur sang aveugle !
In Le bonjour et l’adieu, © La terre seule, p 184
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La fontaine
Le galop du cheval fait éclater les murs rongés de chaleur. Il retourne seul de la fontaine où son maître s’attarde.
Libres, de cette minime liberté qu’ils s’empressent d’oublier.
La terre à dominer pour qu’elle donne tout son sang aux vignes, c ‘est un travail où l’obstination s’est faite loi.
Le maître s’approche de son cheval, ensemble ils ne sont plus qu’un sillon sans chiendent.
La liberté est le chiendent.
Et la loi reste au vin plus fort que le vin, qui coule dans leurs sangs mêlés.
In Le bonjour et l’adieu, © Le retour, p 191
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Les oiseaux pèsent sur notre cœur lorsqu’ils se délivrent de l’hiver ou gonflent un ciel rouge.
L’absence est une charge, il nous faut l’exercer. Elle aide à dépouiller les dossiers. L’absence
prépare toujours l’espace de la rencontre.
Ainsi va la terre à son destin et nous, penchés sur l’acte, apposons nos initiales en marge pour certifier les rectifications.
Le geste est l’égal de la poussière quand le registre se referme.
Mais l’obstination qui a poussé sa loi beaucoup plus profondément encore fait surgir de ces plumes ces oiseaux, cette poussière, deux corps qui se heurtent et épousent dans l’étreinte l’insouciance majeure, leur marâtre.
ibid p 194
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XI
(…) Quand j’ouvrirai ma fenêtre au printemps, ma fenêtre traversée de merles et de promesses ; quand le soleil prendra la rue en enfilade, le doux soleil et sa blessure invisible… Il y a des moments où notre univers devient dérisoire et la seule réalité qui triomphe c’est cela : cette vibration qui fait s’écrouler les ruines, fleurir la pierre. Je rêve aux jonquilles qui vont parsemer la colline. Cette fragilité et cette persévérance, et ce violent parfum qui se prolonge, malgré le massacre. Sommes-nous si forts ? (…)
(…) Je rêve aux jonquilles sur la colline. L’espace alentour a cette même tranquille assurance. La chapelle est une paupière dorée de soleil. Nous dormons. Il faudrait plus que ce cri, déchirant l’espace, des corneilles pour nous couper de la folie, de l’angoisse, de l’ensevelissement. Je rêve à ces jonquilles, à ces tiges souples qui se jouent de la pierre et des buissons épineux… Comme je voudrais t’appeler Jonquille ma Fabienne !
In Le bonjour et l’adieu, © Le bonjour et l’adieu, Lettres à Fabienne, p 216-217
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(…) Tremblait sur la vitre l’ombre du feuillage
la roue d’octobre écrasait les désirs
j’ai revu ton visage
et tout le ciel dansait encore avant la brume
quels yeux quelle colline ?
la vigne abandonnée des grappilleurs
seul le gibier vient y cacher
son avenir taché de sang
Poussière signes obscurs
le soleil serait-il fautif
ou plutôt nous
dans l’angle minuscule
quand le cortège des nuages
efface nos traces peureuses (…)
In Le bonjour et l’adieu, © Le cœur d’octobre, p 349
(…) Oiseau transi de froid
une année se termine
mais tu l’ignores
le nid de ton espace dénudé
ne connaît pas le gel de nos vies
l’année s’achève en un cri dérisoire
mais toi ta gorge byzantine
ne rêve que d’une coupe de lumière
oiseau à quel festin sommes-nous conviés ?
le froid ferme les bouches saine pudeur !
du ciel déjà descend l’oubli (…)
ibid. p 352
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(…) Quel est ton nom ?
je suis l’usure
des corps des pierres de l’ombre
même de l’ombre
je suis l’auxiliaire de la beauté
vous me saluez parfois
si vite
la tête vous tournerait peut-être ?
j’active la poussée des feuillages
vous ne dominez plus vos arbres
eux aussi vous oublient
je suis cette bouffée de tendresse
dans les corps la brume des regards
qu’ils reposent en paix !
les voix se perdent dans l’espace
accostent à la rive comblée de gravats
là le festin se déroule
c’est toujours autour d’une table
que l’attente se fait mortelle
gravée dans la pierre
C’est moi dit l’usure
qui émonde les gestes
j’aurais trop peur des vivants (…)
In Le bonjour et l’adieu, © L’ordre de la lumière, p 387/388
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(…) Le ciel au couchant s’est teinté de vert
très haut un vol d’oiseau le disait proche
c’était soudain comme une bague à mon doigt
j’ai cherché tout autour de moi
l’herbe se taisait après les premières gelées
il n’y avait pas de traces visibles
j’ai frotté doucement mes mains
l’une contre l’autre
avec un peu de thym
pour vaincre la solitude
et pourtant je n’étais plus seul
de l’herbe montait ce murmure angoissé :
sauve-nous !
la tendresse m’étouffait
j’ai guidé ce peuple innocent
vers le ciel proche teinté de vert
je lui ai dit :
buvons ce breuvage
j’y ai glissé le sucre de l’amandier
buvons, sautons !
nous ne serons jamais plus démunis (…)
&&
Et nous sommes partis sur les routes
jonchées de feuilles nouvelles
nous étions Rien
ce peuple heureux (…)
In Le bonjour et l’adieu, © Ciel absinthe p. 414-415
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P’ou-houa
Pour qui vient dans l’obscur, je sonne l’obscur, pour qui vient dans la clarté, je sonne la clarté; pour qui vient, hésitant, ne sachant pas nommer, je sonne de toutes mes forces, je sonne de ma sonnette fraternelle. Pour qui vient, sans nom, qui est Souffle, qui fait tarir la source, je sonne jusqu’à épuisement…
Les volets son maintenant fermés. Personne pour supporter la charge… quand bien même, on ne cloue pas la sonnette ! Elle sonne à travers les terres, elle s’entend encore à travers de profonds espaces de temps, et n’a cessé de sonner. Il suffit d’écouter.
J’irai ainsi, hors des murs, la bouche pleine de graviers. En attendant, je m’avance dans cet espace qui ne se connaît pas, qui ne me retient pas, me laisse libre mais de cette liberté que le moindre son de ma sonnette pétrifie. La cigale a cessé de chanter, le pin murmure encore. Suis-je pin ou cigale, compagnon ? Je n’entends que le bruit aigre de l’insuffisance. peut-être ne sonnes-tu pas assez fort ?
in Le bonjour et l’adieu, L’espace de la perte, p 509
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Cavalier noir
Un craquement d’os, l’écoulement de l’évier, appels et chants d’oiseaux ; et aussitôt ce vide où tout se mêle, se défait. Comme se défait l’énigme qui n’est qu’énigme de la présence. Heurt de la présence. Aveuglement. Cavalier noir lancé sur cette piste de nos vies qui s’échancre à la fin sur l’insupportable lumière de sable et de sang…L’énigme dans un corps ne serait-elle qu’une succession d’images ? Il suffirait alors d’en effacer les couleurs vives (à crier). Mais est-ce moins douloureux de vivre dans la pénombre ?
Mouvement ruineux vers de plus hautes flammes encore, dilapidation de l’énigme – c’est en ce sens que la destruction est semblable à l’éclatement du fruit. Resterais-tu coincé ici ? Cours, cours, tu ne rattraperas pas le cavalier mais cette piste tu la verras s’élargir jusqu’à jouer avec l’écume, avec ce retirement sans fin, avec la musique de ton corps pacifié.
Ibid. p 536
P.A. Jourdan aura cherché à concilier durant sa trop courte vie les exigences du corps , du cœur et de l’esprit, et à vivre, autant que possible, au plus près de la nature, de ses rythmes et de ses alternances. Tout en se méfiant des croyances dogmatiques, il a cherché auprès des maîtres spirituels de l’orient, à se rapprocher d’une certaine sagesse, qui seule permet d’assumer sans révoltes l’exigeant métier de vivre.
Bibliographie
Yves Leclair a entrepris l’édition complète de ses œuvres au Mercure de France.
Deux tomes ont été publiés, grâce à lui, chez cet éditeur, l’un, en 1987, intitulé Les Sandales de Paille et préfacé par Yves Bonnefoy, le second ayant pour titre Le Bonjour et l’Adieu, en 1991, avec une préface de Philippe Jaccottet.
Cet ensemble a permis au poète d’être un peu mieux reconnu et d’avoir une écho chaleureux dans les revues, à l’occasion de numéros spéciaux, dans les journaux littéraires ou généralistes, ou de faire l’objet d’émissions de radio, notamment à France Culture, en 1987 et 1997.
Internet
-
Un article sur wikipedia
Contribution de Jean Gédéon
Juste dire après cette lecture et ces écrits superbes et bouleversants que Caromb se situe en Vaucluse et non dans le Gard.
Rédigé par : Girault | 25 juin 2018 à 10:10