Le dernier Café-Poésie, organisé par Sabine Péglion, poète, s'est tenu le 29 mars dernier au Théâtre Jean Vilard de Marly-le-Roi. Y étaient conviés à lire leurs poèmes Angèle Paoli, Jean-Louis Giovannoni et Claudine Bertrand.
Cette dernière, dans un vêtement flamboyant, à l'image de son recueil Rouge assoiffée, à paraître en France le 19 mai prochain, offrait la chaleur de son sourire, le vif de son regard, et le saisissement d'une voix.
Poète de l'incertain
passeur de lumière
les scénarios disent-ils
ce qu'ils prétendent
Que sont murmures
gestes rituels
et bruits de mots
sur la page de l'histoire
qu'est cette voix
qui renonce à se taire
In Rouge Assoiffée, Passion Afrique, © Typo Poésie Montréal 2011, p.329
Chacun porte en soi une île. On y trouve un refuge ou un naufrage. Mes yeux veillent depuis le petit matin : ils voudraient rencontrer le tremblement lumineux des vôtres.
(extrait) in Rouge assoiffée, Le Corps en tête, © Typo, p.189
Près des ruines, près du volcan, dans l'irréductible et le furieux, il n'y a rien d'autre à vivre que l'affrontement. Rien d'autre d'élémentaire...
Toutes les pierres roulent vers toi, vers le centre de toi. Et elles reviennent vers moi en roulant ton nom. Et l'air qu'elles déplacent est le vent de la vie.
Ibid p.192
La bouche de la prisonnière s'attendrit dans mon cœur. Il y a des trous dans le sang et mille années dans ces trous ; Le temps frotte un œil irrité. Le vieux frisson entre dans la pierre et la brise.
Le jour s'arme de regards sans yeux : il déboussole l'infatigable sorcier, il lui use les hanches. Plus rien n'est à lui. Il est devenu ce qu'il voit. Il parle avec son oreille.
Ibid p.193
Quelqu'un regarde en moi la femme. Quelqu'un verse du soi sur moi et me voilà Vénus debout dans l'eau de quel miroir... Une tendresse dévorante envahit l'espace. Puis le silence à petits points recoud mon estomac.
Le feu coule de toi en moi, et c'est mon sang. Il siffle dans mes veines. Ta langue creuse un nid sur ma lèvre. J'écarte un rideau du coté de la nuit et le jour est là. Les larmes ont construit une maison. Je suis ce que je sens.
Ibid p.194
Douloureux ou amoureux cheminement, poignantes confidences à mots couverts que ce recueil Rouge assoiffée, qui couvre vingt-sept années d'écriture et vous mène de l'Idole errante qui peine à se trouver aux Jardin des Vertiges puis aux Pierres sauvages, en passant par les Nouvelles Épiphanies et La chute des voyelles, pour s'achever sur Passion Afrique.
De la troisième personne, dont elle use en parlant d'elle à ses débuts, Claudine Bertrand va passer au “je” pour plus d'authenticité, jusqu'à se livrer toute.
Née au Québec, le 4 juillet 1948, elle y a fait des études universitaires et a enseigné la littérature dans un collège de Montréal.
Devenue une figure marquante de la poésie québécoise, elle a sensibilisé divers publics à la poésie et la littérature, animé de nombreux ateliers d'écriture auprès de femmes, fondé la revue Arcane, en 1981, et dirigé les éditions du même nom pendant 25 ans.
Elle a été récompensée par de nombreux prix, dont le Prix de Poésie Tristan Tzara, en 2001, pour Le corps en tête, et plus récemment le Grand Prix international des Poètes francophones pour l'ensemble de son œuvre et pour son recueil de poésie Passion Afrique en 2010.
Voici ce qu'écrit justement, à propos de ce recueil, dans la Revue Secousse, le poète Nimrod, d'origine tchadienne, critique qui figure en annexe, dans Rouge assoiffée.
« On ne sait à quoi tient une rencontre. Celle que j'ai eue avec le recueil de poèmes de Claudine Bertrand relève du miracle. Un miracle d'autant plus précieux qu'il témoigne du feu, le feu de la fournaise africaine. À l'arrivée, la poète nous donne à entendre et à voir un chant transparent, car la braise est devenue lumière, nous enveloppant sans façon, comme une nourriture ignée... »
Claudine Bertrand a créé en ligne une revue d'Art et littérature mouvances.ca, dont elle est la directrice et l'éditrice. Elle y dénonce les injustices et abus d'autorité à travers le monde envers des émigrants ou des opposants aux régimes totalitaires et se tourne, avec solidarité, vers ceux qui vivent dans des lieux de grande pauvreté, comme l'Afrique ou Haïti. Elle donne sur ce sujet des conférences en France et en Afrique.
Se désignant elle-même comme “une accoucheuse de poésie” et “une passionnée de la transmission” elle trouve d'emblée place dans La Pierre et le Sel.
Parmi les critiques annexes, on peut lire aussi celle du poète Marie-Claire Bancquart pour la revue Europe, sur le Jardin des vertiges, paru en 2002 :
« La Québécoise Claudine Bertrand nous livre une de ses meilleures inspirations poétiques avec ce recueil. Son titre en dit l'apparent paradoxe : un jardin est une création délibérée, gouvernée par l'homme, à l'inverse des vertiges, qui le surprennent et l'étourdissent. Mais la poésie n'est-elle justement pas cette emprise forte et irrésistible sur les sens, qui pourtant est connue et dirigée par les mots ? »
Cet oiseau en chaleur
passe en vos pupilles
Emporte l'âme d'un soir
Sous le présage
agite les pieds
secoue la tête
Assoiffé
au milieu du fleuve
un arbre s'est noyé
Se croisent des jardins
imbibés de fleurs
Qui boivent les voies lactées
sur la joue nue
In Rouge assoiffée, Jardin des vertiges © Typo, p.221
Un parfum de chèvrefeuille
se niche au creux de ma nuque
comme le baiser de l'aimé
Claque dans le noir
l'ocre de sa peau
Se nourrir de caresses
autant que de bon pain
L'été a saveur
de grands crus
Ibid p.222
Le cœur d'une forêt magnifique
s'égrène au fond de l'être
Ses racines pénètrent l'énergie en terre
À cet endroit pousse une fleur
qui devient ni plus ni moins visage
Elle questionne la montagne
et attend signe contre signe
Les jours passent
rien ne se manifeste
ni ne franchit les portes du seuil
la réalité la frappe de plein fouet
Ibid p.217
Le bref recueil qui paraît l'année suivante, 2003, sous le titre de Nouvelles épiphanies, est d'un tout autre ton.
Il n'y a pas que les oiseaux
qui soient sans voix
Mon bras hésite
à onduler des silences
passés au peigne fin
Ces fragments bout à bout
forment-ils un poème
In Rouge Assoiffée © Typo 2011,p.244
Suit Chute des voyelles en 2004, qui nous mène, pas à pas, vers les plus basses eaux du cœur.
Le gris perle
sur ciel en guerre
Neige de printemps
flux reflux
contre la petite vérité
qui parle une autre langue
Cet effondrement-là
je le soupçonnais déjà
Ibid p.252
Le bonheur ne se lève plus
ni l'aube
Ni la forêt
derrière ses arbres
Ni le fil du songe
qui entre les chants gémit
Ibid p.254
Rien rien
il n'y a plus rien
même plus de lune
sous la gorge
rien simplement rien
L’œil mauvais
grignote l'âme
à petits feux
et fait ramper le soleil
Apprend-on à mourir
Si ce n'était que cela
depuis l'origine
Ibid p.267
Quand, dans le décor du Vercors chargé de douloureuse mémoire, Claudine Bertrand écrit Pierres sauvages, en 2005, elle aborde un autre versant de sa vie.
Quittant son propre désespoir, elle prend à bras le corps toutes les douleurs du monde et se relève, alors ses poèmes en sont revivifiés et comme magnifiés. En voici les tout premiers vers :
Patrie des pierres
on enterre les vivants
Un homme
chaque jour
dépose une pensée
quelques mots
sur un tombeau inconnu
Quand l'air tranche la gorge
se taisent ses mots
Certaines pierres
renaissent
et repoussent la douleur
Tout peut tenir en ces paroles
In Rouge assoiffée © Typo 2011, p.271
Quelques verbes
resteront dans les creux accidentés
du fond des gorges
Chaque être devant l'autre n'est rien
Voyageur debout
c'est vers loin
que tu marches
Ibid p.279
Viennent ces mots confiés, en 2006, à Ailleurs en soi
J'écris du plus loin de la douleur. Du ventre qui vacille.
Il y a quelque chose que je ne comprends pas.
Se dérobe une part de réalité.
Mes mots suivent le trajet des circuits nerveux
en des saintes ellipses.
Si tout m'éloigne de vous, le pacte est rompu.
Votre langue fend les lignes, les saccage,
brise le regard. La peur trouvée entre les draps.
Ibid p.291
Et enfin, ces vers de haute sagesse tirés de Autour de l'obscur, paru en 2008 :
La joie ne vient pas
Sans appât ou si peu
Comme les sentiments
Au goût de langue inachevée
Qui résiste parfois
dans le don de l'âme
Où se heurte chacun
In Rouge assoiffée © Typo 2011, p.318
Bibliographie
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Rouge assoiffée, © Typo Poésie, Montréal 2011
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Passion Afrique, © « ficelle » 2009, avec des illustrations de Michel Mousseau
Sur internet
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Le site de l'auteur, mouvances.ca
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Sur littérature.org
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Sur Arabesques
Contribution de Roselyne Fritel
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