La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Auprès de mon arbre
J’ai plaqué mon chêne comme un saligaud
Mon copain le chêne, mon alter ego
On était du même bois, un peu rustique, un peu brut
Dont on fait n’importe quoi sauf naturellement les flûtes
J’ai maintenant des frênes, des arbres de Judée
Tous de bonne graine, de haute futaie
Mais toi, tu manques à l’appel, ma vieille branche de campagne
Mon seul arbre de Noël, mon mât de cocagne
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû le quitter des yeux
Je suis un pauvre type, j’aurais plus de joie
J’ai jeté ma pipe, ma vieille pipe en bois
Qu’avait fumé sans s’fâcher, sans jamais m’brûler la lippe
L’tabac d’la vache enragée dans sa bonne vieille tête de pipe
J’ai des pipes d’écume ornées de fleurons
De ces pipes qu’on fume en levant le front
Mais j’retrouverai plus ma foi dans mon cœur ni sur ma lippe
Le goût d’ma vieille pipe en bois, sacré nom d’une pipe
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû le quitter des yeux
Le surnom d’infâme me va comme un gant
D’avec que ma femme j’ai foutu le camp
Parce que depuis tant d’années c’était pas une sinécure
De lui voir tout l’temps le nez au milieu de la figure
Je bats la campagne pour dénicher la
Nouvelle compagne, valant celle-là
Qui, bien sûr, laissait beaucoup
Trop de pierres dans les lentilles
Mais se pendait à mon cou quand j’perdais mes billes
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû le quitter des yeux
J’avais une mansarde pour tout logement
Avec des lézardes sur le firmament
Je l’savais par cœur depuis
Et pour un baiser la course
J’emmenais mes belles de nuits
Faire un tour sur la grande ourse
J’habite plus d’mansarde, il peut désormais
Tomber des hallebardes, je m’en bats l’œil mais
Mais si quelqu’un monte aux cieux
Moins que moi j’y paie des prunes
Y a cent sept ans qui dit mieux
Que j’ai pas vu la lune
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre
Auprès de mon arbre je vivais heureux
J’aurais jamais dû le quitter des yeux
In Je me suis fait tout petit, © Philips, 1956
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Contribution de PPierre Kobel
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