La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Saint-John Perse
Oiseaux (extraits)
Aile falquée du songe, vous nous retrouverez ce soir sur d’autres rives !
Ils sont comme les mots, portés du rythme universel ; ils s’inscrivent d’eux-mêmes, et comme d’affinité, dans la plus large strophe errante que l’on ait vue jamais se dérouler au monde.
… ou comme il passait, noir – c’est-à-dire blanc – sur le miroir d’une nuit d’automne, avec les oies sauvages des vieux poètes Song…
… – il naviguait avant le songe, et sa réponse est : « Passer outre !… »
Et l’étirement du long désir est tel, et de telle puissance, qu’il leur imprime parfois ce gauchissement de l’aile qu’on voit, au fond des nuits australes, dans l’armature défaillante de la Croix du Sud…
À mi-hauteur entre ciel et mer, entre un amont et un aval d’éternité, ils sont nos médiateurs, et tendent de tout l’être à l’étendue de l’être…
… oiseaux semés au vent d’une aube, ils ensemencent à long terme nos sites et nos jours.
Ainsi les cavaliers d’Asie centrale, montés sur leurs bêtes précaires, sèment au vent du désert, pour le mieux repeupler, des effigies légères de chevaux brefs sur découpures de papier blanc…
Avec toutes choses errantes par le monde et qui sont choses au fil de l’heure, ils vont où vont tous les oiseaux du monde, à leur destin d’être créés… Où va le mouvement même des choses, sur sa houle, où va le cours même du ciel, sur sa roue – à cette immensité de vivre et de créer dont s’est émue la plus grande nuit de mai, ils vont, et doublant plus de caps que n’en lèvent nos songes, ils passent, nous laissant à l’Océan des choses libres et non libres…
Ignorants de leur ombre, et ne sachant de mort que ce qui s’en consume d’immortel au bruit lointain des grandes eaux, ils passent, nous laissant et nous ne sommes plus les mêmes.
In Oiseaux, © Gallimard, 1963
Internet
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Wikipédia | Saint-John Perse
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La Pierre et le Sel | Saint-John Perse, le poète aux masques, une contribution de Jacques Décréau
Contribution de PPierre Kobel
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