La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Uri Orlev
Le 10 avril 1944
Le ciel, le même partout, est limpide et vaste,
Le soleil, le même partout, se pare d’or,
La forêt, la même partout, est verte,
Et partout, en tout temps, le soleil se couche en rouge ;
Tout dans la nature est étonnamment beau
et seule la vie est une illusion
Là-bas le vacarme retentit
Dans les banquets arrosés,
Alors que le désespoir ici
Est aussi muet qu’un grand fleuve figé.
Là-bas, dans cette partie là du monde,
Chacun de nous a un frère, en vrai
Il n’est pas vraiment un frère, ni un fils pour sa mère,
Mais il a un nom.
Son frère là-bas mène une vie dissolue
sans se préoccuper du malheur des autres.
Et nous, écrasés par la calamité,
Il semble qu’au souvenir, nous serons liés à jamais
Et qu’après tout, après tout ce qui est arrivé,
Nous ne nous relèverons pas si vite de l’humiliation et du malheur.
Certains ont le cœur blessé, d’autres le cœur brisé,
Nous ne reviendrons pas si vite au monde qui est à l’extérieur
Là-bas, notre frère compatissant vit dans la fête et la danse,
Parce que dans la réalité telle qu’on la voit,
Chaque homme est frère et compagnon de tous les autres :
L’image de chacun ressemble à celle de tous,
Mais il n’y a rien là-dedans, chacun complote quelque chose de sombre
Et finit par tuer son ami,
En fait non, mais à tous les coups il le vole et l’humilie.
Il tyrannise son frère, le fait souffrir, l’exploite et le fait tomber.
Je lutterai pour ma survie avec mes forces seules,
Sans laisser les autres m’aider, je me débrouillerai seul,
Car même si partout le ciel et soleil sont identiques,
Ls gens sont toujours différents, car la vie est ainsi.
Si j’échoue et n’arrive pas à la destination voulue,
Si je perds mon chemin, ce sera de ma faute,
Mais si je surmonte les obstacles et y arrive par mes propres forces,
J’aurai de quoi être fier :
J’aurai réussi à atteindre mon but en comptant seulement sur moi-même.
In Poèmes écrits à Bergen-Belsen en 1944 en sa treizième année, © De l’éclat, 2011 – Traduction de Sabine Huynh
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Wikipédia | Uri Orlev
Contribution de PPierre Kobel
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