La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Gaultier Roux
Ninive, Suze ou Babylone : autant de batailles perdues contre le temps : à regarder en coin ces ruines, on se rappelle que même l’écriture peut se perdre : argile du croissant fertile et roseaux du Nil furent muets plusieurs millénaires durant – les cartouches hiéroglyphiques ne tiraient plus qu’à blanc. L’écriture même s’est perdue comme un fleuve avalé par son lit – mais si Assouan a englouti Philae, le Nil écharde toujours le désert, et l’Euphrate attend encore la fiole du sixième ange. Maintenant Babel dit à nouveau sa gloire et ses avanies, et compte ses troupeaux, et énumère ses rois, et l’Égypte raconte l’Égypte après avoir démailloté ses morts. Nous nous croyons vivants qui aurions passé la porte d’ivoire : nerfs, chairs et peau rendus provisoirement aux squelettes nus, où manque le souffle mais à qui nous prêtons voix ; sans doute ne sommes-nous que chiffonniers du Caire, habitant la cité des morts. Un jour tout ce que j’écris aussi sera langue morte : j’ai à peine achevé ce texte et déjà il menace ruine.
Swatch Art Peace Hotel,
mai 2023 puis 3-4 juin 2023,
révisé le 9 juin 2023
In Arpa 144, © Arpa, 2024
Contribution de PPierre Kobel
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