Luc Bérimont, de son vrai nom, André-Pierre Leclercq, est né le 16 septembre 1915 à Magnac-sur-Touvre, en Charente, dans une famille ardennaise qui s’y était réfugiée lors de la « Grande Guerre ». Il passe cependant son enfance près de Maubeuge et fera ensuite des études de droit à Lille.
L’année 1938 voit ses débuts en poésie. Il imprime avec Félix-Quentin Caffiau, « en taillant les caractères au couteau », une revue appelée « Prairie », initiative encouragée par Jean Giono, Jean Paulhan, Max Jacob. Il publie également dans la revue lilloise « la Hune », et rencontre le poète Maurice Fombeure.
Mobilisé lors de la seconde guerre mondiale, il combat en Lorraine, mais entre rapidement dans la Résistance, réseau Hunter-Nord. Il collabore alors aux Poètes Casqués de Pierre Seghers. Un résistant communiste le fait entrer à Radio-Paris où il présente des émissions poétiques. En 1941 on le retrouve à Rochefort-sur-Loire où il devient un des compagnons de Jean Bouhier fondateur de l’École de Rochefort. René Guy Cadou, Michel Manoll rejoignent cette école qui va rassembler de jeunes poètes sortant de la débâcle et qui cherchent une voie nouvelle pour la poésie.
À la fin de la guerre il fonde une radio en Allemagne occupée par les Alliés, Radio-Stuggart, et y rencontre sa première femme. À son retour en France, la passion de la radio ne le quittera plus. Il crée alors diverses émissions littéraires et musicales, dont la Fine Fleur, et poursuit parallèlement une œuvre de poète et de romancier.
Pour trouver la paix et la sérénité auxquelles il aspire, il va s’installer à Hermeray dans les Yvelines, où il cultive également avec tendresse un jardin. Sa poésie plonge ses racines dans son amour de la nature, de la terre profonde et de ses germinations pour se fondre dans un sentiment de plénitude cosmique. Poète de la fraîcheur ensoleillée de l’enfance, du rythme lent des saisons, il nous réconcilie avec l’amour de la vraie vie menacée par l’éclosion du béton glacé des villes tentaculaires. Il décède à Hermeray en 1983.
Poète, romancier, homme de radio, il fut un « passeur de poésie ». Membre de l’Académie Mallarmé, Président de l’Association Guillaume Apollinaire, Luc Bérimont était également un écologiste avant la lettre.
GIGUE
La guerre, on la dansait dans la cour de l’école
Bardés de cheveux fous et de tabliers noirs
On sentait l’encre amère, un peu la confiture,
Une mouche d’été dormait sur nos devoirs.
L’institutrice était une jeune bergère
Qui avait entendu la voix de Michelet.
Ses yeux fleurs préféraient le rêve à la lecture
Ses seins n’avaient jamais bourgeonné dans des doigts.
Parfois, les jeudis clairs, elle allait en voiture
Acheter à la ville un coupon de satin.
Son fiancé, était – disait-on – mort en guerre
C’est un très grand malheur quand on n’en compte qu’un.
Crève le ciel d’orage et meurt la bergère
C’est avec nos cœurs sourds que nous dansons la guerre.
In Cahiers de l’école de Rochefort
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DEMAIN LA VEILLE (extrait)
Les pousses adoptent sous la terre
Un comportement menuisier
Patience et géométrie
Un atelier sans liberté
Polit des linteaux d’étamines
J’apprends à retarder les mots
Par un mimétisme pareil
Une prudence de fraisier
Dans un printemps frileux
Par les tiges souples du feu
Je connais le vent, cru
l’ouest
Je vois par un ramier
J’entends par un renard
Le chat m’ouvre un été
La tulipe un soleil
Par les lettres vertes de l’eau
Et par le corps heureux des pierres
Je connais l’issue et l’entrée :
une population d’oiseaux
une mouche dont je suis l’aile.
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DEMAIN LA VEILLE (extraits)
C’est à la tombée du jour, en automne
Que j’ose confronter mes mots avec leur rugueux et leurs gerces
La forêt vire au nord
Le monde se fait moine
Les brouillards hasardent leur nappe aux creux du temps contaminé
Savoir que l’on peut s’éloigner, lucide enfin, avec les lampes
Qu’il n’y aura pas de retour vers quelque matin démarcheur
au carnet de commandes ouvert
L’espérance n’a plus son mot
Ni les aubes dans la sarriette
Ceux que nous avons dévoyés sont parqués vifs sur les pontons
Ils ont peur au fond de leurs os
du salon pourpre et des torchères
Des croupiers noirs sont alignés
qui vont ratisser les enjeux
En tirant les verrous d’acier
je pose du froid sur la glace
Je ne veux pas leur ressembler
Ni à moi – perdant, ni à rien
Je suis en quête d’un ailleurs qui sera mieux
(ou pis peut-être)
Un ordre qui m’épie déjà
par le judas des origines.
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LA NUIT D’AUBE
Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l’hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a tremblé sur la paille, à l’auberge
L’ange au gantelet noir roule sous les sapins
Une rose a tremblé, plus frileuse qu’un cierge
La neige lacérait le ciel ultramontain.
Édifice du temps un enfant vous renverse
Une rose, une lampe une larme au matin.
Il suffit d’un baiser qui réchauffe la neige
Et notre rose à nous brûle déjà ta main.
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UN FEU VIVANT (extrait)
Tout à coup, j’ai toute la vieillesse du monde dans les os.
Décembre allume ses fenêtres
Et c’est la benne des saisons qui bascule en me fendant l’être.
Voici le vieil hiver fumant, éventrés de soleils fourchus
On attend sur l’étang du gel l’écart éblouissant d’un prince
Mais le ciel de Seine a terni les feux mordorés des vitrines
Et la brume qui vient aux dents est trouble du brouillard des mots
Je suis étranger à ces lieux où la publicité, la mort sont sourdement complices
Je suis né contre des forêts où l’air vert était sec de houx.
Ma mère, à cette saison-ci rentrait des lessives gelées :
La chemise aux deux bras levés, le drap raidi comme un chemin.
J’ai trop vécu pour refuser fidélité à mon enfance
Fidélité à mon amour et belles rives au temps pourri.
Tu peux venir au creux de moi comme une barque qui s’amarre
Escomptant qu’un arbre haleur délimite la contrée.
Bibliographie
Son œuvre poétique complète comprend 3 tomes :
-
2000 : Coédition Éditions du Cherche-Midi et les Presses Universitaires d’Angers
-
2009 : deuxième et troisième volumes chez les Presses Universitaires d’Angers
( voir liste de ses recueils sur Internet)
Romans :
- Malisette (1949)
- Les loups de Malenfance ((1949)
- Le Carré de la vitesse (1958)
- Le bruit des amours et des guerres (1966)
- Les Ficelles (1974)
- Le bois Castiau (1963) – Prix Cazès 1964
Audio
Défenseur de la chanson de qualité, plusieurs de ses poèmes ont été mis en musique (Léo férré, Lise Médini, Michel Aubert, Reinhardt Wagner)
On recommandera particulièrement l'album :
- Bertin chante Bérimont © Velen 011, remixage 2000
Internet
- Sur Wikipedia
- Sur Youtube : vidéos
Contribution de Hélène Millien
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