Adonis, considéré comme l’un de plus grands poètes arabes de ce temps était sur les rangs du prix Nobel de Littérature, attribué en 2011, à Tomas Tranströmer. Il a reçu, récemment, de son côté, le prix Goethe, considéré comme le prix de poésie le plus prestigieux au monde..
Ali Ahmed Saïd Esber, pseudonyme d’Adonis est né en 1930, le premier de six enfants, près du port syrien de Lattaquié, dans une famille paysanne vivant frugalement des produits de sa culture traditionnelle et sans aucun des «apports» technologiques de notre modernité. Son père, personnage intelligent, lui enseigne, entre autres, la lecture et l’écriture et lui transmet son goût de la poésie.
On raconte à ce sujet, qu'Adonis, à l’âge de douze ans, assistant à une joute poétique traditionnelle, à l’occasion de la visite officielle du président de la république, insiste avec une telle énergie pour y participer qu’il parvient à déclamer son poème, à subjuguer l’assistance, et obtenir du premier personnage de l’état son admission dans une école secondaire.
Dès lors, son destin va naviguer vers le grand large, à travers des études secondaires, puis universitaires. En 1954, sa licence de philosophie en poche, il publie son premier livre intitulé La terre a dit.
Après un séjour forcé dans l’armée, qui lui laisse un mauvais souvenir matérialisé par de nombreux séjours en prison pour subversion et une profonde aversion pour tout ce qui est militaire, armes et godillots, il quitte la Syrie pour Beyrouth en 1956. La capitale libanaise est, à cette époque, un foyer très vivant où peuvent s’épanouir, dans un monde arabe livré généralement aux dictatures, des notions plus ouvertes de différence et d’échanges. Adonis va pouvoir donner libre cours, dans ce milieu bouillonnant, à sa révolte contre des féodalités figées dans leur immobilisme, notamment sur les plans politique et culturel. Il donne un tour poétique à cette révolte, avec un texte en vers libres, intitulé Le Vide.
L’aube de nos légendes est enclose
depuis que la poussière a cousu ses paupières
nos enfants sont une fête qui s’efface
tombeaux, lamentations
la terre même a pleuré pour eux…
Dans les années 1960, avec un autre poète Youssef al-Khâl, il fonde une revue ayant pour ambition de renouveler, moderniser la poésie arabe et d’accueillir dans ses pages toutes les formes nouvelles d’expression. (Aujourd’hui, le poète n’a, sans doute, plus cette enthousiasme de la jeunesse, et un certain nombre d’intellectuels et de poètes actuels, souhaitant que justice et équité ne soient pas des formules creuses, regrettent qu’Adonis ait conservé une attitude de neutralité vis à vis du printemps arabe et plus précisément envers la répression sanglante orchestrée par le pouvoir de son pays d’origine. )
Au cours de ces années 1960, il fait un séjour d’un an à Paris où il rencontre une pléiade de poètes tels que Jouve, Michaux, Tzara, Prévert, Follain, Bonnefoy, Du Bouchet, Celan.
De retour à Beyrouth en 1961, il prend la nationalité libanaise, et continue son combat pour tenter de concilier les données inconciliables des deux cultures, musulmane et occidentale. De cette dernière, il criera son aversion de son matérialisme, un peu plus tard, en 1971, lors d’un séjour à New-York, qu’il définira comme la quintessence d’une civilisation de fer, de fric et de béton, inhumaine et sans pitié pour les faibles.
…New-York, - Wall Street – 125th Street- Fifth Avenue
Un fantôme de méduse s’élève d’entre les épaules. Marché d’esclaves de toutes races. Hommes qui vivent comme des plantes dans leurs jardins de verre. Pauvres invisibles, ils se faufilent : poussière dans le tissu de l’espace, spirale de victimes.
Le soleil est funérailles,
le jour tambour noir…
In Tombeau pour New-York, Mémoire du vent, Poésie/Gallimard, p.94
****
New-York, femme assise dans l’arc du vent,
forme plus lointaine que l’atome,
point qui court dans l’espace des chiffres,
une jambe dans le ciel, l’autre dans l’eau,
dis-nous où est ton étoile ? Le combat s’engagera entre l’herbe et les cerveaux électroniques. Notre époque tout entière est suspendue aux murs, et voici qu’elle saigne. Là-haut, une tête réunit les deux pôles. Au centre, l’Asie. Plus bas, deux pieds pour un corps invisible. Je te connais, cadavre flottant dans le musc des pavots. Je te connais, jeu du sein contre le sein. Je te regarde et rêve de la neige. Je te regarde et j’attends l’automne.
Ta neige est porteuse de nuit, ta nuit emporte les hommes - chauves-souris mortes. Tout mur en toi est cimetière, toute clarté est fossoyeur noir
Portant un pain noir, un plat noir,
Avec lesquels il trace l’histoire
De la Maison-Blanche…
In ibid. p. 99
Les prises de position politique et religieuse d’Adonis ont beaucoup servi sa notoriété dans le monde. Il a, en matière de religion des idées iconoclastes, propres à exciter la colère de ses coreligionnaires, porteuses d’une mystique entièrement tournée vers l’homme, et dit-il:
« C’est un mysticisme sans dieu, païen si l’on peut dire. Mais il faut préciser que je ne pense pas à un dieu quelconque, à une expérience religieuse, quand je parle de mysticisme. Et lorsque j’évoque la verticalité de l’expérience, j’ai en tête l’existence de la dimension ontologique au sein de l’expérience de l’amour, de l’expérience du rapport entre l’homme et la femme, au-delà de l’expérience amoureuse. »
Il se trouve donc partagé entre deux cultures aussi puissantes l’une que l’autre et c’est la poésie qui lui permet de faire la synthèse entre son rejet de l’une et son regret de l’autre.
« La poésie, dira-t-il, a sa politique, sa réalité. Elle est son propre chemin, son unique but. Elle est le monde.
La poésie rend la vie sur terre plus belle, moins éphémère et moins misérable. La guerre, lutte collective, relève de l’esprit de troupeau et fait régresser l’homme vers la barbarie et la fin de l’humanité. »
Adonis, un des grands poètes de notre temps, de la taille du Palestinien Mahmoud Darwich, une autre grande figure qui a, lui aussi, flambé sa vie de contestation en révolte au moyen de la poésie.
DIALOGUE
« Où étais-tu ?
Quelle lumière pleure sous tes cils ?
Où étais-tu ?
Montre-moi, qu’as-tu écrit ? »
Je n’ai pas répondu. Je n’avais plus de mots
Ne trouvant pas d’étoile sous le brouillard de l’encre
J’avais déchiré mes feuilles
Quelle lumière pleure sous tes cils ?
Où étais-tu ?
Je n’ai pas répondu
La nuit était hutte bédouine
les lanternes étaient tribu
et moi soleil émacié
sous lequel la terre changeait ses collines
et le vagabond croisait la longue route
In Le charmeur de poussière, Mémoire du Vent, poésie/Gallimard, p.46
****
VOYAGE
Je voyagerai au creux d’une vague
d’une aile
Je visiterai les âges qui nous ont quittés
et les sept galaxies
Je visiterai les lèvres
et les yeux lourds de glace
et la lame étincelante dans l’enfer divin
Je disparaîtrai
la poitrine ceinte de vents noués
laissant mes pas au croisement des chemins
loin
dans un désert
in ibid, p.49
****
MIROIR POUR UNE QUESTION
J’ai questionné et on m’a dit
La branche couverte de feu
est oiseau
On m’a dit que mon visage était la houle
Et le visage du monde miroirs
peine du matin, phare
Je suis venu
Encre était le monde sur ma route
Phrase tout frémissement
J’ignorais qu’entre nous
un pont était jeté – foulées
de flammes et prophéties
Un pont de fraternité
Et j’ignorais que mon visage
était vaisseau
Naviguant dans une étincelle
In Un refuge dans l’éclair, Mémoire du vent, Poésie/Gallimard, p.70
****
La poésie, de nos jours, s’expose à un danger qui ne vient pas d’elle, mais de la parole qui s’y réfère.
Elle est offusquée par cette parole. Le lecteur ne lit plus le poème, il lit le poète, ses références, ses inclinations. Il lit ce qu’on lui déclare du poète et de la poésie. Le poète est devenu pour le critique un moyen d’affirmer ses options, d’exposer ses théories, non de donner accès au poème en tant que tel. Il s’agit là d’une critique qui déchiffre la poésie par le truchement du monde. La véritable critique est tout le contraire, elle dévoile le monde à travers la poésie. Elle accède aux énergies de la langue elle-même sans autre instrument que la seule poésie.
In Six notes du côté du vent, Mémoire du vent, poésie/Gallimard p.189
Bibliographie poétique
- 1954 - La Terre a dit
- 1957 - Premiers poèmes
- 1958 - Feuilles dans le vent
- 1961 - Chants de Mihyar le Damascène
- 1961 - Mémoire du vent (Poèmes 1957-1961)
- 1971 - Tombeau pour New York
- 1975 - Singulier
- 1982 - Le livre des migrations, préface de Salah Stétié, éditions Luneau-Ascot
- 1983 - Ismaël
- 1984 - Les résonances, les origines, éd. Les Cahiers des Brisants
- 1985 - Kitab al-Hisar (Le Livre du siège)
- 1988 - Désert : Journal du siège de Beyrouth, Les cahiers de Royaumont.
- 1990 - Le Temps des villes, Mercure de France
- 1991 - Célébration, La Différence
- 1991 - Chronique des branches, Orphée/La Différence
- 1991 - Mémoire du vent, Poésie/Gallimard
- 1994 - Soleils seconds, Mercure de France
- 1995 - Singuliers, Sindbad./Actes Sud
- 2009 - La forêt de l'amour en nous, Mercure de France
Internet
- Wikipedia, une bio bibliographie complète
- Esprits Nomades, une étude, bio bibliographie et choix de textes
Contribution de Jean Gédéon
Commentaires