Jean Follain naît en 1903, à Canisy, près de Saint Lô.
Après de brillantes études de droit, il s’inscrit au barreau à Paris, puis, en 1952, il entre dans la magistrature, au tribunal de grande instance de Charleville.
Dès son arrivée à Paris, il se lie avec les poètes du groupe Sagesse, et publie ses premiers poèmes dans différentes revues littéraires telles que «les feuillets de sagesse », «le Journal des Poètes », «la Nouvelle revue française ». Son premier recueil ne sera publié qu’en 1937 par Denoël, soit une dizaine d’années après ses premières publications en revues.
En 1970, il reçoit le grand prix de l’Académie Française, au détriment de Jean Tardieu.
Et en 1971, en mars, à minuit dix, au retour d’un banquet où il a fait une causerie, il est renversé et tué par une auto, en traversant le quai des Tuileries.
Follain n’est pas un poète lyrique, aux grandes envolées, mais plutôt un poète intimiste, composant des textes courts mais denses et tout en résonances secrètes. C’est aussi une poésie intemporelle, qui, au détour d’un mot ou d’une phrase, entre en résonance avec notre mémoire, faisant resurgir des souvenirs d’enfance, parfois oubliés, où le temps s’étire dans un éternel présent, et comme dit Dhôtel : « Une maison, un jardin, quelques objets, des hommes passant et soudain, tout un monde se multiplie dans une gloire qui nous accable. »
Bien souvent, il n’y a pas, chez lui, de descriptions chronologiques ou logiques, mais des chevauchements simultanés, qui brouillent et divisent les perspectives et où se concilient le périssable et l’immortel.
C’est aussi, une poésie où, fréquemment la vie et la mort sont liées de toute éternité.
C’est encore une poésie où une description simple et anodine en apparence, dérape brutalement à la fin du poème, pour nous précipiter dans le fantastique et où le quotidien, le minuscule, l’insignifiant se transforment insidieusement en quelque chose d’universel.
Au fond, peu lui importent la musique des mots, les images, les métaphores et autres figures de style. Son art procéderait plutôt de la peinture, ou encore de la photo. Autrement dit, il nous donne à voir, et ce qu’il nous montre, pour peu qu’on se laisse porter, c’est nous-mêmes et nos propres visions d’enfant. Le banal, le trivial, le quotidien, méticuleusement décrits, tout à coup, au détour d’un mot ou d’un vers, basculent brutalement dans l’ailleurs et l’universel, dans un autre monde.
Comme l’indique Henri Thomas, dans sa préface au recueil « Exister » : « le poème dépouillé et comme dépoli acquiert une présence, plus exactement un présent, qui ne sont plus ceux de la parole, mais des objets. Une voix calme nomme et constate ce qui est là, ce qui survient.»
Dans la réédition de 1993 du livre consacré par Dhôtel à Follain, chez Seghers, il y a une présentation pleine de talent de Gil Jouanard, dans laquelle il indique notamment :« La poésie est sans doute l’art du langage. Et aujourd’hui, où les formes sont attaquées, où signe et sens sont acculés à leurs retranchements ultimes, cette écriture pondérée qui ne conteste ni elle-même, ni rien d’autre, cette écriture du constat narratif gène bon nombre de nos masochistes lecteurs de poésie : ne troublant rien en apparence, elle ne suscite ni leurs égards ni leur patience…Il suffirait pourtant d’un peu de patience, c’est-à-dire d’attention, pour que nos amateurs de turbulence finissent par découvrir que cette eau ne dort que d’un œil, que cette encre d’écolier, apparemment étale, porte en germe des torrents de rêve et des cascades de sensations, qui sans la déranger d’une ligne, font basculer l’apparence du monde. »
Et il termine ainsi sa présentation :
« Soudain, dans la banalité des jours et le ronron des habitudes, un passant de hasard fait négligemment sonner le tocsin ou le glas dans l’imagination de celui qui reconnaît sous une musique ce mouvement du cœur absolvant l’humanité entière. Follain ne nous dit pas combien ce reflet ou ces voix dans le lointain sont pernicieux. Il laisse le hasard défaire les choses, déstructurer le monde, délier les crèmes et les sauces pour retrouver les substances premières et les faire déferler, nouvelle voie lactée, d’où surgiront d’autres étoiles, d ‘autres routes…
Et puis enfin…il y a ceux qui proclament leur refus afin que personne n’en ignore rien, et qui meurent séniles dans leur lit, comblés d’honneurs. Lui, Follain, ne fait aucune déclaration publique quant à l’ordre du monde ou à l’ordre politico-infantile des hommes. Il dit simplement à ses amis son dédain des automobiles empoisonneuses de nos rues et de nos existences, et il meurt de ce mépris-là, le 10 mars 1971, à 24h10, âgé de soixante-huit ans, écrasé par une bagnole. Libre »
Les passants
De l’arsenal des fards
l’une s’approche au bord du soir
tandis que son amant
vole un pain miraculeux
et puis ses longues jambes
artificieuses frémissent
quand sur le pavé mouillé
passent d’illustres dandies
l’un laisse sur son épaule
une feuille morte tombée
de l’arbre qui n’a plus de voix
et lui non plus ne dit mot
parce qu’il pose pour l’histoire
le gris fin de son vêtement
attend la tache de sang
et son grand visage grec
ressemble étrangement
à celui qu’avait sa mère
au village de naguère.
In Exister, © Gallimard-Poésie p. 21
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Les jardins
S’épuiser à chercher le secret de la mort
fait fuir le temps entre les plates-bandes
de jardins qui frémissent
dans leurs fruits rouges
et dans leurs fleurs.
L’on sent notre corps qui se ruine
et pourtant sans trop de douleurs.
L’on se penche pour ramasser
quelque monnaie qui n’a plus cours
cependant que s’entendent au loin
des cris de fierté ou d’amour.
Le bruit fin des râteaux
s’accorde aux paysages
traversés par les soupirs
des arracheuses d’herbes folles.
in Exister © Gallimard Poésie, p. 33
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La mort
Avec les os des bêtes
l’usine avait fabriqué ces boutons
qui fermaient
un corsage sur un buste
d’ouvrière éclatante
lorsqu’elle tomba
l’un des boutons se défit dans la nuit
et le ruisseau des rues
alla le déposer
jusque dans un jardin privé
où s’effritait
une statue en plâtre de Pomone
rieuse et nue.
In Territoires © Gallimard Poésie p. 127
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Paysage des sentiers de lisière
Il arrive que l’on entende
figé sur place dans le sentier aux violettes,
le heurt du soulier d’une femme
contre l’écuelle de bois d’un chien
par un très fin crépuscule,
alors le silence prend une ampleur d’orgue.
Ainsi lorsque l’adolescent,
venu des collèges crasseux,
perçoit sous les peupliers froids
la promeneuse au frémissement de sa narine
émue par le parfum des menthes.
Toutes les lueurs des villages
se retrouvent dans le diamant des villes.
Dans un univers mystérieux
ayant laissé sur ses genoux
l’étoffe où s’attachait ses yeux,
une fille en proie aux rages amoureuses
pique de son aiguille le bout de ses doigts frêles
près d’un bouquet qui s’évapore
In Usage du temps suivi de Transparence du monde,© Gallimard, 1983, p.43
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Vie
Il naît un enfant
dans un grand paysage
un demi-siècle plus tard
il n’est qu’un soldat mort
et c’était là cet homme
que l’on vit apparaître
et puis poser par terre
tout un lourd sac de pommes
dont deux ou trois roulèrent
bruit parmi ceux d’un monde
où l’oiseau chantait
sur la pierre du seuil
In Territoires, © Gallimard Poésie, p. 131
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Les siècles
Regardant la marque du sabot
de son cheval de sang
le cavalier dans cette empreinte contournée
où déjà des insectes préparaient leur ouvroir
devina la future imprimerie
puis pour lui demander sa route
il s’approcha du charpentier
qui près d’une rose
en repos contemplait la vallée
et ne lirait jamais de livres.
In Territoires, © Gallimard Poésie, p. 133
Bibliographie
Pour l’essentiel de son œuvre, les recueils Exister suivi de Territoires et Usage du temps ont été réédités dans la collection Poésie/Gallimard, respectivement en 1969 et 1983.
Internet
- Sa bio-bibliographie complète sur Wikipedia.
- Jean Follain sur Esprits Nomades
Contribution de Jean Gédéon
Donner envie de lire ou relire les poètes, c'est le but que nous essayons d'atteindre...?
Jean Gédéon
Rédigé par : Jean Gédéon | 14 janvier 2012 à 10:13
Félicitations pour ce travail assidu sur le fonds poétique qui me donne envie de relire ma propre bibliothèque ! Tenez bon, amis poètes!
Rédigé par : Roselyne Fritel | 13 janvier 2012 à 16:40