Au Musée Maillol, à Paris, se tient actuellement et, jusqu'au 15 juillet 2012, une exposition des toiles d'une artiste femme du XVIIème siècle, Artemisia Gentileschi , née à Rome en 1593, fille d'un peintre célèbre, qui fut l'une des premières femmes à être reconnue pour son talent par de riches mécènes, et par ses contemporains artistes, et à parvenir à s'affranchir de la tutelle de son père et de son mari, pour mener sa carrière.
Ses toiles révèlent non seulement sa virtuosité mais la force de caractère d'une personne hors du commun. En sautant au visage du visiteur, elles étalent toute la sensualité d'un corps qui se prend pour modèle et de celle, qui, en s'affichant à travers des sujets antiques ou bibliques, s'affranchit des hommes et règle leurs comptes aux mâles cupides et violeurs.
Voici, en écho à quelques unes de ces toiles, des poèmes d'André Frénaud, (1907-1993).
Pour introduire, La Sibylle, 1608-1609, peinte par son père.
La Sibylle vivait avec le mort dans une excavation ménagée plus bas. Il empruntait la voix de la femme pour laisser entendre une vérité au-delà des premiers signes. Le sens qui traversait, incertain, les paroles grommelées par cette fameuse devineresse, oscillait dans le cœur de ceux qui interrogeaient, à l'entrée de la caverne.
In Nul ne s'égare,précédé de Hæres © Poésie/ Gallimard 2006, p.84
Pour accompagner Danaé, vers 1612
Se renfle, se tend, le ventre virginal. S'évase le col, s'entrouvrira la vulve...Quelle fleur n'en finit pas de se gonfler en fruit ! Nom de Marie, vase, ventre en son développement paisible, hommage de la main façonnière
Le feuillage d'or à l'entour de la blancheur n'est pas là pour effacer la faute que serait le primordial jaillissement dans un vase intact, immensément le vide.
(…)
Fascination de cette imperceptible, triomphale SEVÉE ! Comme d'une plante qui, sous nos yeux, gagne vers son accomplissement ! Comme de la jeune fille, sur le point de parvenir à l'extrême de son éclat, encore appelée, pensive...déjà va se confondre et tout soudain frémit, dans cet état le plus proche de l'épanouissement, le sommet qui fulgure au-devant de la beauté !
Le tressaillement est si fort qu'il dépasse le désir. Toute l'énergie du monde irradie à partir de là, et tout se trouve justifié, immobilisé un instant dans la splendeur.
...Éphémère ! La vie éphémère. Le malheur est là, qui a tout pénétré !
Ibid p.196, 197
Pour illustrer Judith et Holopherne, vers 1612
CETTE NUIT-LÀ, À FLORENCE
...À un sentiment d'échec au comble du désespoir, succédait celui de liberté et de domination, d'orgueil comblé...Oui, l'orgueil se confondait avec la joie, il en était conscience de la prise de possession, le rayonnement amer. Une joie m'inondait comme d'un sang qui m'aurait recouvert ; mon sang et un autre. Une joie charnelle, volumineuse ; c'est pourquoi je ne peux parler de ravissement, ce qui ne va pas sans une dépossession de soi totale, une purification telle que l'on n'existe plus alors dans sa peau d'homme...
Ibid p.93, 94
JE LES MORDRAI TOUS
Je les mordrai tous, mon père et ma mère,
l'annulaire, le poitrail de l'âne, la boue.
Je hurlerai comme un chien raillé par la lune.
Habile à circonvenir, avec des flots de sang
en réserve et la science de remplir des douves
et de les dégorger là où il faut,
grands jeux d'eau de bidet et les petites eaux.
Je sais les délices du démon mesquin.
Je te ferai dire ce qu'il faut, ma bonne.
Prends garde !
La rage n'a pas toujours beau visage.
In Les Rois mages suivi de L'Étape dans la clairière © Poésie/Gallimard 1987, p.65
Et pour conclure sur Corsica et le Satyre, vers 1635-1640
L'AMOUR COMME
Comme un amas forestier la fille consentante.
Comme une source en haut de l'arbre la fille convoitée.
Comme une statue d'amiante une femme interdite.
Comme un ventre de jument une bouche embrasée.
Comme une rayure de quartz une femme attendant.
Comme un chaos de pierres une femme perdue.
Comme un cuivre qui luit l'épouse aimante.
Comme une branche reverdie la femme aimée.
In Il n'y a pas de paradis © Poésie/Gallimard 1967, p.170
Internet
- Le musée Maillol
- Wikipedia
- Le point de vue de « Lunettes rouges », un amateur d'art
- La fiche du film Artemisia sur Allocine.com
Contribution de Roselyne Fritel
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