Est-ce que le jour blesse chaque épine ? Faut-il pour rompre le chemin de ronces prononcer une parole (quelle ?), celle d’un enfant portant « [u]ne petite voix que nous connaissons bien » (Saint Augustin, cité par Pierre Dhainaut, in Diérèse 56, à propos de Thierry Metz) ?
Entendre l’enchantement, est-ce pour toujours garder le secret du conte, celui du recul où fut « il était une fois » ?
Cette présence secrète, Pierre Dhainaut l’entend, sa voix nous restitue l’écho d’une dispersion que le poème conjure. Poète, celui qui par son accueil confie au vent la force claire des mots.
Pierre Dhainaut est né à Lille le 13 octobre 1935, il est fils d’instituteurs. On pourrait penser qu’il naît là dans un milieu où le livre se partage et s’admire. Ce n’est pas le cas. Il ne visitera aucun musée durant son enfance, les livres qui l’entourent sont anodins (où, les poètes ?). Vers les écrivains, il se rendra seul, rêvant d’abord, utilisant ce qu’il trouve dans le jardin, coquilles d’escargots, feuilles ou cailloux, pour se bâtir des cités. L’imaginaire offre (ouvre) l’horizon, prépare l’accueil de l’écriture.
La lecture, celle de Victor Hugo particulièrement, conduira Pierre adolescent à écrire à son tour. Début d’une longue fréquentation des poètes qui se poursuivra avec la Pléiade, les Parnassiens, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud…
Trace d’enfance, elle demeure, le geste, le cerf-volant pris dans la trame du vent se mêle aux rires des enfants, sur la longue plage où regarder le ciel :
3.
Et des enfants aussi
nous accompagnaient, déjà
ils nous précédaient de leurs rires,
déjà ils lâchaient le cerf-volant
de toutes les couleurs
qu’ils avaient fabriqué eux-mêmes,
d’une main ferme
ils déroulaient, ils tenaient le fil
que très vite on ne voyait plus.
**
4.
Gravir, descendre,
prendre essor de nouveau,
ils n’obéissaient qu’au sable,
avant la cime
ils gagnaient le large,
la respiration libre :
nous n’avions qu’un but, les suivre,
les suivre en permanence,
ardeur intacte.
In Surlafoidessables,© LaPorte,2007
Choisissons parmi les nombreux livres de Pierre Dhainaut celui dont le paradoxe clair repousse les limites du possible, Plusloindansl’inachevé, recueil récompensé en 2009 par le Prix de Littérature Francophone Jean Arp. Signalons que c’est le poète lui-même qui a réalisé la gouache et noir de fumée sur papier qui figure sur la couverture :
D’instinct on regarde,
on affronte, on ne progresse pas,
il faut beaucoup plus à l’espace.
Les souffles qu’on emprunte,
le temps est venu de les féconder,
on en fera une parole.
Elle aura cette chair d’un fruit,
d’un caillou aussi bien qui s’ouvre
entre des mains ardentes.
**
On s’endort, on ne cherche
aucune issue : ce que l’on n’a pas vu,
on se risque à l’entendre.
Le ciel se courbe, le sol se courbe
à la rencontre l’un de l’autre,
le bruit se répercute, d’un même cœur.
Avec le rythme il unit le silence
au grondement des vagues,
la face obscure à celle qui rayonne.
**
On dit « les morts », ce n’est que par orgueil :
il n’y a pas de tombes solitaires,
de gisants immobiles.
Dès que l’on se redresse, un oiseau
prend son vol, la plaine jubile,
la mer toute proche.
On peut se taire à l’ombre de ses ailes
tremblante, éparse, tremblante et libre
de se recueillir, de naître à nouveau.
In Plusloindansl’inachevé,© Arfuyen,2010
L’un des derniers livres de Pierre Dhainaut se fonde sur la nuit (silence terrible, sera-t-il un commencement ?). Les silhouettes noires et torturées de l’artiste Nicolas Rozier dialoguent avec le texte. Qui aide ? Pour surgir, il faut tout l’accablement du doute et peut-être, « au cœur du sombre », une alchimie d’encre et de peinture. Le noir assurément dispense un espace, ancre la page d’un possible :
4
Revient-on en arrière ?
c’était autrefois un rivage,
on décelait parmi nos traces
des traces de mouettes,
depuis longtemps elles ont disparu :
la nuit vraie, la nuit lente,
celle où l’on rêve de la neige
et la neige descend
sur les vagues, sur les toits,
on la laissera nous franchir.
**
Soudain la tête se redresse,
vacille, et avec elle
le corps cessera d’être inerte,
les mots qui subsistent
reprendront du sens,
retentiront de toutes parts,
peu à peu, par à-coups,
qu’importe, personne
n’a gouverné le rythme
du sac, du ressac, des rafales,
mais lui obéir dans l’écoute,
ne plus redouter de conclure,
de nous mettre à l’écart,
que les forces manquent,
il passe outre, il les retrempe.
**
Un cœur bat en écho, plus vite,
de plus en plus.
In La Nuit, la nuit entière, ©Æncrages&Co,2011(dessins de Nicolas ROZIER)
Bibliographie
-
Le Poème commencé, MercuredeFrance,1969.
-
Bulletin d'enneigement,Sud,1974.
-
Efface,éveille,Seghers,1974.
-
Jourcontrejour,Oswald,1975.
-
Coupes claires,Le Verbe et l’Empreinte,1979.
-
Au plus bas mot,J.-M.Laffont,1980.
-
Le Retour et le chant,ThierryBouchard,1980.
-
L’Âge du temps,Sud,1984.
-
Pages d’écoute, Dominique Bedou,1986.
-
Chemins d’Aubrac,éditions du Rouergue,1987.
-
Fragments d'espace ou de matin,Hautécriture1988.
-
Un livre d'air et de mémoire, Sud (Prix Antonin Artaud1990).
-
Prières errantes, Éditions Arfuyen,1990.
-
Mise en arbre d'échos,Motus1991.
-
Fragments et louanges, Éditions Arfuyen,1993.
-
Dans la lumière inachevée, Mercure de France,1996.
-
Passage par le chœur, La Bartavelle,1996.
-
Paroles dans l'approche, L'Arrière-pays,1997.
-
À travers les commencements,Parolesd'Aube,1999.
-
Introduction au large, Éditions Arfuyen,2001.
-
Relèves de veilles (avec la collaboration de Jacques Clauzel),Alain Lucien Benoît, 2001.
-
Voix d'ensemble, Éditions des Deux-Siciles,2002.
-
Entrées en échanges, Éditions Arfuyen,2005
-
Au-dehors, le secret, Voix d’encre, 2005
-
Pluriel d’alliance, L’Arrière-Pays, 2005
-
Dans la main du poème, Écrits du Nord, 2007
-
Levées d’empreintes, Éditions Arfuyen, 2008
-
Sur le vif prodigue, Éditions des Vanneaux, 2008
-
Plus loin dans l'inachevé, Éditions Arfuyen, 2010 publié à l'occasion de la remise du Prix de littérature francophone Jean Arp
-
Vocation de l’esquisse, Éditions La Dame d’Onze Heures, 2011
-
La Nuit, la nuit entière, Æncrages & Co, 2011. DessinsdeNicolasRozier.
Sur Pierre Dhainaut
- Sabine Dewulf, Pierre Dhainaut, collection Présence de la poésie, © Vanneaux, 2008
-
Revue NU(e), numéro 45, en 2011
-
Revue Linea6, en2006 (entretien avec Marc Fontana sur le site poezibao)
Internet
-
Sur le site de Sabine Dewulf, auteur du livre sur Pierre Dhainaut aux éditions des Vanneaux
-
Des éléments de présentation et quelques articles sur le site des éditions Arfuyen
- Un commentaire de Murielle Compere-Demarcy sur Traversées
Contribution de Isabelle Lévesque
Bonjour,
je vous adresse un lien vers un article que j'ai écrit récemment sur Pierre Dhainaut
et qui a été publié sur le site de Traversées (P. Breno / Belgique), le 14/04/2014.
Merci de votre attention,
Bien cordialement
Murielle Compère-DEMarcy (MCdem)
Rédigé par : COMPERE-DEMARCY Murielle (MCDem) | 26 avril 2014 à 12:15
Le cerf-volant de l'imaginaire se lève presque toujours au dessus des espaces de solitude et d'ennui, ces bienheureux terrains de jeu de l'enfance.À vous lire, le mien rejoint avec délices celui de Pierre Dhainaut, pour une danse bienheureuse. Merci à vous, Isabelle, de me l'avoir fait connaître à travers cet article sur La Pierre et le sel. Roselyne Fritel
Rédigé par : Roselyne Fritel | 11 mai 2012 à 14:21