Le 7 juillet dernier, à l'orée des vacances, debout sur une plage du midi et les pieds dans l'eau, Bernard Mazo est passé de vie à trépas. Depuis, Vie foudroyée, froid mortel, absence infinie, ces bribes des titres de ses recueils nous rappellent l'insomnie de la mémoire et le passage du silence à sa dilapidation.
Au festival des Voix Vives de la méditerranée de Sète, qu'il devait animer du 20 au 28 juillet 2012, tous ses amis firent de leur mieux pour pallier son absence.
Michel Baglin rendit ainsi hommage au poète, hanté par le coté sombre de la vie, en le citant : on est quitte envers la vie en l'épuisant tandis que demeure l'ombre désespérée de la beauté au cœur de la vie carnassière.
Ailleurs, sur un calicot blanc de la rue haute, flottaient au vent ses quelques vers :
On est là
Au cœur des
choses
À défier la nuit
À défier le temps
La Pierre et le sel s’apprêtait à présenter son dernier recueil : Dans l'insomnie de la mémoire, illustré par Hamid Tibouchi et paru chez Voix d'encre fin 2011, qui s'ouvre sur ces mots :
Qui écrit
m'écrit
mystérieuse
injonction
qui n'est peut-être
qu'une
absence
de nom
Mystérieusement chacun de ces poèmes résonnent à l'oreille comme une injonction personnelle :
1
Dans la fragile respiration du poème les vocables ne sont là que pour désigner l'énigme qui pèse sans fin sur nos vies harassées.
2
C'est notre voracité envers tout ce qui est condamné à mourir qui nous rend tellement maladroits, tellement apeurés jusqu'à en être privés de parole face à la beauté désespérée du monde.
3
Dire la sombre fascination du soleil, décrire son éclat meurtrier puis s'effacer dans le mutisme forcené du silence .
In Dans l'insomnie de la mémoire, Dans la fragile respiration du poème, © Voix d'encre 2011.
Ailleurs, ils sont prémonitoires, comme dans La déchirure dédiée à Max Alhau
Soleil
plus altier
plus brûlant
que le plus brûlant des étés
Ô
saisons
de toutes mes douleurs !
Incendie
mes jours
consume ma vie
que je m'endorme enfin
dans l'oubli
secourable !
J'aurai
alors ce regard vide
des insectes sur la pierre
la mémoire
vraiment saccagée
le corps bien froid
**
C'est
toi ma vie
que j'écris
depuis tant d'années
sur l'ardoise
du temps
une
vie
que je ne parviens plus
à retenir
à travers mes mots
cette
vie que je vois
se détacher de moi
toujours plus
lointaine
dans le vertige des jours
**
Je
te parle du plus loin
d'un pays que tu ne connais pas
Je
te dis des mots
qui te rendront
la vie plus légère
cette
vie qui risque de t'échapper
et que tu serres contre
toi
désespérément
de peur de mourir
Plus loin, dans Ce brasier de solitude, qu'il dédie à Henri Meschonnic, poète dont il fit l'hommage posthume, il y a eu deux ans, au festival de Sète, il confie :
6
Certains
jours
plus noirs
que la nuit
la plus noire
on
ne sait plus
que faire
pour survivre
on
voudrait peut-être
tout simplement
demeurer là
terrés
à
ras des choses
loin
très loin
de la vie meurtrière
à
ne plus bouger
à ne plus parler
à
enfin oublier
la déchirure béante
de nos rêves calcinés
**
Mais il arrive que le poète, si désolé qu'il soit, retrouve la clef de l'invisible et qu'il déchiffre pour nous les signes et d'un vocable à l'autre laisse se déployer l'entre-deux du silence et cette ombre indéfinissable de la beauté cachée à l'arrière des choses. Dans la fracture du silence, retenons de lui cet ultime message :
Qui
d'autre que moi
pourrait dire
que je suis encore vivant
au
cœur des jours
qui
d'autre
que je suis toujours là
même
si je suis
désormais
muet parmi vous ?
Muet, Bernard Mazo vous ne le serez pas tant qu'un poème savouré dans l'intimité d'une chambre éveillera en nous les rumeurs de la vie.
Internet
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Sur le site de Jacques Ancet, Lumière des jours
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La réaction de Michel Baglin sur Texture
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La page consacrée à B.Mazo sur le site de la maison des écrivains et de la littérature
Contribution de Roselyne Fritel
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