Charles Baudelaire, naît à Paris en 1821. Son père, alors sexagénaire, meurt rapidement et sa mère se remarie avec Jacques Aupîck, chef de bataillon, et futur général dans l’armée. Charles ne pardonnera jamais à cet « intrus » de s’être introduit dans sa famille et de lui avoir volé l’amour de sa mère.
Il est bien sûr, toujours difficile de sonder les reins et les cœurs mais on peut supposer que ces événements eurent une certaine influence sur la vie du poète.
Dès le collège et le lycée, en effet, il se fait remarquer par des études chaotiques, une réussite border-line au baccalauréat, et une attitude en opposition si frontale avec la morale bourgeoise de ses parents, que son père exaspéré par cette conduite « scandaleuse » l’envoie effectuer un voyage en Inde et aux Mascareignes.
De retour à Paris, il s’éprend, avec une passion tumultueuse entremêlant ruptures et réconciliations, d’une jeune mulâtresse, Jeanne Duval, qui lui inspirera plusieurs de ses poèmes.
« Opposant divinité et bestialité, [ces] poèmes qui la chantent si magnifiquement s’opposent à ceux où l’amour se change en combat, laissant deviner l’histoire d’une liaison tempétueuse, faite de ruptures et de retrouvailles, de volupté et de férocité, de remords, de dévouement, d’égoïsme et de charité » in Griselda Pollock, Differencing the Canon. Feminist Desire and the Writing of Art’s Histories, Routledge, 1999, p. 263.
Les bijoux
La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière (…)
Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !
Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !
In Les fleurs du mal, Spleen et Idéal, © Le livre de poche, p. 35
Poème chanté par Yves Montand et Georges Cholon.
Menant une existence dissolue de dandy, il goûte à tous les paradis artificiels à sa portée et accumule tant de dettes qu’il est placé sous tutelle judiciaire.
Critique d’art et journaliste, il participe, en 1848, aux barricades, devient le traducteur attitré d’Edgar Allan Poe, à qui il voue une grande admiration, notamment pour ses essais sur la poésie qui lui inspireront ses propres réflexions sur le sujet.
Quelques jours après la parution des Fleurs du mal, en 1857, la critique, aux ordres, se déchaîne avec violence, contre le recueil, notamment le Figaro : « Il y a des moments où on doute de l’état mental de M. Baudelaire, il y en a où l’on n’en doute plus ;-- c’est la plupart du temps, la répétition monotone et préméditée des mêmes choses, des mêmes pensées. L’odieux y côtoie l’ignoble ; le repoussant s’y allie à l’infect…. » et on trouvera dans toute la presse de l’époque le même jugement dominant, matérialisé par une condamnation moins de deux mois plus tard, pour « outrage à la morale religieuse » et pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». En fait, seul ce dernier chef d’inculpation donnera lieu à une condamnation.
Plusieurs demandes de révision seront déposées, par la suite, sans succès et ce n’est qu’en 1949, à la demande de la Société des Gens de Lettres que cette révision sera enfin accordée.
Baudelaire, criblé de dettes, part séjourner en Belgique, pour une tournée de conférences sur l’art, qui n’attire pas les foules, et à partir de 1866, sa santé vacille de plus en plus.
Atteint de troubles cérébraux, hémiplégique et syphilitique, il meurt en 1867, sans avoir pu réaliser le projet d’une édition définitive des Fleurs du mal.
Son recueil Le Spleen de Paris ou petits Poèmes en prose publié en 1869, après son décès, regroupe cinquante textes, dont quarante ont été précédemment publiés dans divers journaux. Nous qualifierions aujourd’hui cet ensemble, de prose poétique, ainsi les trois textes suivants :
L’étranger
Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !
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Le chien et le flacon
« — Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. »
Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire, s’approche et pose curieusement son nez humide sur le flacon débouché ; puis reculant soudainement avec effroi, il aboie contre moi, en manière de reproche.
« — Ah ! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d’excréments, vous l’auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l’exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. »
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Enivrez-vous
Il faut être toujours ivre. Tout est là: c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est, et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront: « Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »
Baudelaire a beaucoup réfléchi au concept de modernité qui rejette les sentiments à la guimauve pour la réalité concrète des pulsions humaines qui représentent pour lui, en négatif, la modernité et le progrès, l’autre pôle « d’une diminution progressive de l’âme, une domination progressive de la matière, une atrophie de l’esprit »
Les descriptions morbides, les représentations obscènes sont, selon lui, le moyen paradoxal qui tend vers la beauté idéale et le spirituel. L’a-normalité et l’absurde seraient l’un des fondements de la poésie, en contraste avec le banal et le traditionnel représenté par le style poétique officiel, dans une société de son époque, le second Empire, corsetée, à la morale religieuse étroite et pudibonde, où il ne fait pas bon sortir des sentiers battus.
« C’est l’un des prodigieux privilèges de l’Art que l’horrible puisse devenir beauté et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l’esprit d’une joie calme »
Et écrit-il, avec sa conception rigide de la poésie, la beauté dans la forme est également nécessaire : « Il est tout à fait évident que les lois de la métrique ne sont pas des lois tyranniques inventées arbitrairement. Ce sont les règles qu’exigent la structure même de l’esprit. Elles n’ont jamais interdit à l’esprit original de s’exprimer. Le contraire est sans doute plus vrai : elles ont toujours aidé l’esprit original à parvenir à l’originalité. »
Harmonie du soir
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Tout souvenir en moi luit comme un ostensoir !
In Les fleurs du mal, Spleen et Idéal, © Le livre de poche, p. 64
Avec cette pièce, Baudelaire adopte la forme du pantoum, texte de forme fixe, hérité des poésies érotiques malaises, repris par la suite, par les Parnassiens et composé de quatre quatrains, dont les deuxième et quatrième vers de la première strophe sont repris dans les premier et troisième vers du quatrain suivant. Le poète obtient ainsi et en utilisant uniquement dans ce poème des rimes en oir et en ige, un effet d’incantation magique lancinant et sonore qui pourrait, à la limite, se passer du sens.
Pour lui, en effet, ce ne sont pas les sentiments, ou les états d’âme de l’auteur qui fondent le poème au départ, mais les mots et leur qualité sonore, comme dans une œuvre musicale, où ce n’est pas le sens qui prime, mais la qualité des sons et leur agencement harmonieux.
Ce n’est qu’à partir du vingtième siècle, que les poètes se libéreront des carcans traditionnels de la métrique et de la prosodie en adoptant progressivement le vers libre, la prose poétique ou bien encore, la poésie sonore, leur inspiration, entièrement débridée, étant la seule voie, en privilégiant la magie des sons, qu’ils emprunteront désormais pour y loger leur poésie,
Ils sont, à cet égard, en phase avec Baudelaire qui écrivait en 1859 : « L’imagination décompose toute la création, et avec les matériaux amassés et déposés suivant des règles dont on ne peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf ».
Correspondances
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs, et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
--Et d’autres, corrompus riches et triomphants.
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
In Les fleurs du mal, Spleen et idéal © Le livre de poche, 1991 p.16
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La vie antérieure
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’un façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
In Les fleurs du mal, Spleen et idéal © Le livre de poche, 1991 p.26-27
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La beauté
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris,
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
Ibid. p.32-33
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La géante
Du temps que la nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.
J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ses terribles jeux ;
Deviner si son cœur couve une sombre flamme
Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ;
Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.
Ibid p. 34-35
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Une charogne
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux.
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir. (…)
--Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !
Ibid p.43-44-45
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Le chat
Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.
Ibid p.51
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L’invitation au voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Dévoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l’âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent au bout du monde.
--Les soleils couchants
Revêtent les champs
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Ibid p.73-74-75
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A une dame créole
Au pays parfumé que le soleil caresse,
J’ai connu sous un dais d’arbres tout empourprés
Et de palmiers d’où pleure sous les yeux la paresse,
Une dame créole aux charmes ignorés.
Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse
A dans le cou des airs noblement maniérés ;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse
Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.
Si vous alliez, Madame au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
Belle digne d’orner les antiques manoirs,
Vous feriez, à l’abri des ombreuses retraites,
Germer mille sonnets dans le cœur des poètes,
Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.
Ibid p.83-84
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Spleen
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’espérance, comme une chauve-souris
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement,
--Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Ibid p. 92-93
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Les métamorphoses du vampire
La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc ;
« Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d’un lit l’antique conscience,
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants. (…)
Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus
Qu’une outre aux flancs gluants toute pleine de pus ! (…)
In Les fleurs du mal © Le livre de poche, p. 135
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Prière
Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du ciel, où tu régnas ; et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
Fais que mon âme, un jour, sous l’Arbre de la Science,
Près de toi, se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront !
In Les fleurs du mal, Révolte, © Le livre de poche, p. 151
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L’âme du vin
Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !
Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai pas ingrat ni malfaisant
Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.(…)
In Les fleurs du mal, le vin, © Le livre de poche, p. 153-154
Bibliographie
- Les Fleurs du mal (1857)
- Le Poème du haschisch (1858) )
- Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris (1869), poème en prose (posthume)
Internet
Un ensemble très fourni sur le poète et son œuvre, aller sur Google et cliquer sur Baudelaire, Les fleurs du mal, Petits poèmes en prose, Jeanne Duval, etc…
- L'article Wikipedia
Contribution de Jean Gédéon
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