Yves Bonnefoy est né à Tours le 24 juin 1923 d’une mère infirmière et d’un père ouvrier-monteur aux ateliers des chemins de fer. C’est à l’âge de 13 ans que le futur poète est confronté à la mort par la disparition de son père Elie en 1936. Cette mort le bouleverse et initie au plus profond de son âme une réflexion et une conscience aigüe de la fatalité et de la perte. La mort est pour lui rupture de contact, éloignement à l’infini, réduction de l’être vivant à une figure lointaine. Son enfance décrite comme plutôt morose est égayée par des vacances régulières à Toirac dans la maison des grands-parents maternels. Cette maison représente pour lui l’exil et le refuge. Il baptise l’endroit « le vrai lieu » mais quitté par son père il quitte à son tour les moments d’éloignement et de bonheur pour ne plus jamais y revenir. Peut-être pour ne pas laisser seules sa mère et sa sœur Suzanne dont il se sent à présent responsable. Toujours-est-il que le « vrai lieu » est ce concept (Yves Bonnefoy se revendiquant l’ennemi juré du concept…) qu’il va décliner sous différentes appellations : « la vraie patrie », « le pays d’essence plus haute », « la réelle présence » ou encore « l’arrière pays ».
Après la mort de son père, il s’engage avec acharnement dans les études et obtient un baccalauréat de mathématiques et de philosophie puis s’inscrit en classe préparatoire de mathématiques supérieures et spécialisées à Tours. Il poursuit ses études à Poitiers puis à Paris où il s’installe en 1944.
Entre 1943 et 1953, il abandonne les chiffres pour les lettres au profit de la poésie, de la philosophie et de l’histoire de l’Art. Il fréquentera les surréalistes puis s’en éloignera petit à petit à partir de 1947.
C’est en 1953 qu’il publie, au Mercure de France, son premier recueil de poèmes Du mouvement et de l’immobilité de Douve dont voici un extrait :
Vrai nom
Je
nommerai désert ce château que tu fus,
Nuit cette voix, absence
ton visage,
Et quand tu tomberas dans la terre stérile
Je
nommerai néant l’éclair qui t’a porté.
Mourir est un
pays que tu aimais. Je viens
Mais éternellement par tes sombres
chemins.
Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,
Je suis
ton ennemi qui n’aura de pitié.
Je te nommerai guerre et je
prendrai
Sur toi les libertés de la guerre et j’aurai
Dans
mes mains ton visage obscur et traversé,
Dans mon cœur ce pays
qu’illumine l’orage.
La lumière profonde a
besoin pour paraître
D’une terre rouée et craquante de
nuit.
C’est d’un bois ténébreux que la flamme s’exalte.
Un
inerte rivage au-delà de tout chant
Il te faudra franchir la
mort pour que tu vives,
La plus pure présence est un sang
répandu.
Autre extrait venu du recueil Pierre écrite :
Une voix
Nous
vieillissions, lui le feuillage et moi la source,
Lui le peu de
soleil et moi la profondeur,
Et lui la mort et moi la sagesse de
vivre.
J’acceptais que le temps nous présentât dans
l’ombre
Son visage de faune au rire non moqueur,
J’aimais
que se levât le vent qui porte l’ombre
Et que mourir ne fût
en obscure fontaine
Que troubler l’eau sans fond que le lierre
buvait.
J’aimais, j’étais debout dans le songe éternel.
En 1955, il réalise avec le scénariste Roger Livet le film Royaumes de ce monde, sur le sens de l’annonciation en peinture. Ce film reçut le grand prix des premières Journées Internationales du court-métrage fondées à Tours.
Par la suite, trois volumes de poèmes marquent l’œuvre d’Yves Bonnefoy et confirment l’engagement poétique ainsi que le chemin éclairé et que sa poésie éclaire : Hier régnant désert (1958), Pierre écrite (1965), Dans le leurre du seuil (1975). Puis viennent les recueils de la continuité qui poursuivent la marche du voyageur immobile : Ce qui fût sans lumière en 1987, Début et fin de la neige (1991), La Vie errante (1993), Les planches courbes (2001).
«
(…) Ô poésie,
Je
ne puis m’empêcher de te nommer
Par
ton nom que l’on n’aime plus parmi ceux qui errent
Aujourd’hui
dans les ruines de la parole.
Je
prends le risque de m’adresser à toi, directement,
Comme
dans l’éloquence des époques
Où
l’on plaçait, la veille des jours de fête,
Au
plus haut des colonnes des grandes salles,
Des
guirlandes de feuilles et de fruits.
Je
le fais, confiant que la mémoire,
Enseignant
ses mots simples à ceux qui cherchent
A
faire être le sens malgré l’énigme,
Leur
fera déchiffrer, sur ses grandes pages,
Ton
nom un et multiple, où brûleront
En
silence, un feu clair,
Les
sarments de leurs doutes et leurs peurs (…) »
Extrait in Les planches courbes.
L’Arrière-pays, écrit en 1972, occupe une place particulière dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy puisqu’il s’agit d’un récit autobiographique qui se présente tout d’abord comme une rêverie née d’une impression de plénitude. De plus, une absence se déclare au cœur de la présence la plus vive qui petit à petit se dissipe. Pour le poète, la rêverie est un exercice spirituel et la règle fondamentale de l’intuition. Le rêve est l’ombre, ou l’arrière-pays, présent en tout écrit.
Ce récit prolonge sa réflexion sur la poésie en essayant de définir ce qu’elle est ou ce qu’elle devrait être.
Sa conviction est qu’il existe au sein de notre parole une expérience fondamentale enracinée si profond sous l’emploi des mots qu’elle peut assurer une spécificité authentiquement commune aux manifestations de la poésie. Il appuie son raisonnement sur quelques éléments de compréhension de la nature et du fonctionnement du langage et explore les conséquences dans notre rapport au monde de l’emploi du concept, de la pensée conceptuelle. Bien sûr le concept est indispensable mais il est aussi un péril si nous ne prenons garde à la réduction qu’il opère. Il prend pour exemple la rose qui ne dure qu’une journée là où les concepts hors du temps de fleur, de pétale, d’épine en caractérisant la rose ne peuvent nous faire revivre l’expérience du flétrissement de la rose réelle. Les concepts empêchent de pousser au bout l’expérience de soi qui peut pourtant permettre en retour de percevoir ce que les autres êtres sont pour eux-mêmes.
Le souci, le besoin de parler autrement, c’est ce que vise la poésie, ce qu’elle est en vérité. Trois critères pour la définir :
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Une appréhension plus poussée de la réalité.
-
Une sensibilité plus affinée
-
L’acquisition d’un savoir autre que spécifique.
Elle est aussi intuition. L’intuition comme ranimée par la forme qui permet l’accès à la puissance dormante dans la parole. Cela passe par la matière sonore, le son. Le son est l’indéfait du monde et conteste la prétention des concepts à monopoliser l’approche de l’être.
Yves Bonnefoy est par ailleurs ou plutôt de manière complémentaire essayiste, critique d’art et traducteur, de Shakespeare notamment.
A partir de 1960, il a été régulièrement invité pour l’enseignement dans les Universités françaises ou étrangères, en Suisse et aux Etats-Unis. Devenu Professeur au collège de France, il continua à donner des conférences dans de nombreux pays.
L’œuvre d’Yves Bonnefoy est traduite dans plus de trente-deux langues, en particulier en anglais, en allemand et en italien, langue dans laquelle toute l’œuvre poétique est rassemblée en un volume de la collection I Méridiani. Il est le premier auteur français à y être entré de son vivant.
Psyché devant le château d’Amour
Il
rêva qu’il ouvrait les yeux, sur des soleils
Qui approchaient
du port, silencieux
Encore, feux éteints ; mais doublés
dans l’eau grise
D’une ombre où foisonnait la future
couleur.
Puis il se réveilla. Qu’est-ce que la
lumière ?
Qu’est-ce que peindre ici, de nuit ?
Intensifier
Le bleu d’ici, les ocres, tous les rouges,
N’est-ce
pas de la mort plus encore qu’avant ?
Il peignit donc
le port mais le fit en ruine,
On entendait l’eau battre au flanc
de la beauté
Et crier des enfants dans les chambres closes,
Les
étoiles étincelaient parmi les pierres.
Mais son dernier
tableau, rien qu’une ébauche,
Il semble que ce soit Psyché
qui, revenue,
S’est écroulée en pleurs ou chantonne, dans
l’herbe
Qui s’enchevêtre au seuil du château d’Amour.
Extrait du recueil Ce qui fut sans lumière.
Bibliographie raisonnée et poétique
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Traité du pianiste (1946)
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Du mouvement et de l’immobilité de Douve (1953), © Poésie/Gallimard
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Hier régnant désert (1958), © Mercure de France
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Pierre écrite (1958 et 1965), © Mercure de France
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Dans le leurre du seuil (1975), © Mercure de France
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Ce qui fut sans lumière (1987), © Mercure de France
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Récits en rêve (1987), © Mercure de France
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Début et fin de la neige (1995), © Mercure de France
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Les planches courbes (2001), © Poésie/Gallimard
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La longue chaîne de l’ancre (2008)
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Raturer outre (2010)
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L’heure présente (2011)
Internet
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Yves Bonnefoy dans Wikipedia
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Yves Bonnefoy sur le site du Collège de France
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Une introduction à la lecture de l’œuvre de Bonnefoy par Jean-Michel Maulpoix
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Yves Bonnefoy sur Esprits nomades
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Voir et entendre Bonnefoy : dialogue avec Tahar Bekri
Contribution de Laurence Bouvet
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