À proximité du Centre Pompidou et tout près du Quartier du Marais, au cœur du 4ème arrondissement, Colette Kerber vous accueille dans sa librairie « Les Cahiers de Colette », au 23-25 de la rue Rambuteau, une adresse bien connue du monde culturel parisien.
Jacques Décréau et Roselyne Fritel sont allés la rencontrer, le 17 octobre 2012, pour La Pierre et le Sel.
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J.D. – Dans votre librairie, comment se passe la diffusion de la poésie ?
C.K. – D'abord j'essaie le plus possible d'avoir un beau rayon, avec évidemment des poètes que j'aime. Je présente pas mal de nouveautés et puis j'ai la vitrine. Je remarque qu'en période de crise, et en tout cas depuis plusieurs années, le besoin de poésie est plus prégnant que dans des époques plus légères. Je pense vraiment que mon rayon poésie est assez vivant et représente une part non négligeable du chiffre d'affaire. C'est une librairie, il faut donc aussi parler d'argent.
J.D. – Comment êtes-vous devenue libraire ? C'est une idée que vous avez eu très jeune ou cela s'est trouvé selon les circonstances du moment ?
C.K. – Non, ce n'est pas tout-à-fait cela. Ce n'est pas arrivé si jeune. Je voulais plutôt devenir éditeur, mais comme j'avais malgré tout les pieds sur terre, j'ai choisi d’être d’abord libraire, pour me familiariser avec le marché du livre. Après trois mois, j'ai su que je ne deviendrais jamais éditeur et que je resterais libraire, parce que c'est la partie la plus passionnante du métier du livre. La plus grande partie de la culture vient à moi, et le libraire est le dernier maillon entre l'auteur et le lecteur, tandis que les éditeurs restent sur leur petit créneau.
Enfant, j'ai toujours aimé les livres, j'ai toujours lu. Recevoir des livres, c'était devenir grand. J'étais aussi d'une famille où tout le monde lisait beaucoup.
J.D. – Avez-vous pensé à un moment écrire des livres ?
C.K. – Non, je n'y ai jamais pensé, cela ne m'a jamais effleurée. C'était le désir de mon père, en fait. Je sais que je ne sais pas écrire. Et pour moi, ce serait Proust ou rien ! Je suis meilleure libraire que je n'aurais été écrivain !
J.D. – Vous avez des rencontres assez exceptionnelles avec des poètes dans votre librairie, je crois.
C.K. – Oui, j'ai eu de beaux échanges avec des poètes. Un que j'adore, c'est Charles Juliet (Voir La Pierre et le Sel du 12/11/2012). Michel Deguy aussi, qui vient régulièrement, et Jean -Pierre Verheggen, dont j'adore l'humour et la profondeur. Oui, les plus belles rencontres ont été avec des poètes.
J.D. – Avez-vous rencontré René Char ?
C.K. – Non, je ne l'ai pas connu. Il était déjà malade, quand j'ai ouvert la librairie. Mais il reste mon poète préféré. Il y a eu aussi ce poète tchouvache, qui écrivait en russe, Aïgui, (Guennadi Aïgui). Dommage qu'il n'ait pas eu le Nobel. Je l'ai rencontré, il lisait en russe, je ne comprenais pas, mais j'avais lu des traductions, et la musique de sa langue me donnait la chair de poule. Il avait été traduit en français par un couple extraordinaire des Lettres Françaises, Marcelle Fonfreide et André Dalmas, des éditions Le Nouveau Commerce, mais on ne trouve plus ses livres.
(Toujours plus loin dans les neiges de Guennadi Aïgui, traduit et présenté par Léon Robert, a été réédité chez Obsidiane, en janvier 2012)
J.D. – Avez-vous ici des revues de poésie ?
C.K. – Oui, quelques unes. Certaines sont relativement difficiles à se procurer en province. Il y a là un grand travail artisanal et ils n'arrivent pas à diffuser. Un vrai travail se fait en poésie, surtout dans les régions, parce qu'ils ont des subventions. Alors qu'on ne peut pas en avoir à Paris.
J.D. – Participez-vous aussi à des événements à l'extérieur ?
C.K. – Non, très peu. Je suis présente au Conseil d'administration de la Maison de la Poésie, mais c'est un autre problème.
Je participais au Salon du livre de Paris, quand le directeur du Centre National du Livre de l'époque – il y a plus de quinze ans – Jean-Sébastien Dupuis, qui adore la poésie, s'est rendu compte qu'il n'y avait pas un seul stand de poésie sur le Salon. Ce n'était pas acceptable. Il m'a demandé de m'en charger. Depuis, cela s'est fait, c'est devenu une tradition et j'aime beaucoup.
Le fait que le stand soit un lieu ouvert, je me rends compte que beaucoup de gens, qui n'osent pas entrer dans une librairie, y entrent plus facilement et s'y intéressent vraiment.
J'ai aussi un rayon de poésie pour les enfants. Ils y vont d'eux-mêmes, ils s'y initient spontanément, ils adorent ça.
Dans ma librairie, j'ai un beau rayon de poésie pour les enfants, mais les parents n'osent pas. Ils ne se rendent pas compte que les enfants aiment la poésie.
J.D. – Vous êtes située ici dans un quartier particulier.
C.K. – Je suis dans un quartier assez intellectuel, plus artiste que « bobo », comme il peut l'être un plus loin, dans le Marais.
J.D. – La présence du Centre Pompidou vous amène-t-elle des lecteurs ? Ceux qui vont aux expositions sont des gens qui lisent, je suppose.
C.K. – Oui, les expos jouent un rôle, mais ce n'est pas cependant le même public qu'aux expositions du Grand Palais.
J.D. – Qu'auriez-vous à dire de vos clients en librairie, après 25 ans d'expérience ?
C.K. – Bien sûr, je les connais. Je sais quel genre de littérature ou de poésie les intéresse. Les essais, j'en conseille moins, sauf s'il s’en trouve un qui soit spécialement original. Mais c'est plutôt morose dans le domaine de la pensée actuellement. Les Sciences Humaines ne sont pas très vivantes. La littérature et la poésie sont beaucoup plus inventives aujourd'hui.
En fait, je leur montre ce que j'aime, moi.
J.D. – Vous êtes entourée d'une équipe nombreuse mais chaque fois qu'on passe, vous êtes là.
C.K. – Oui, l'équipe me seconde vraiment bien. Mais j'essaie d'être là le plus possible et en plus j'aime ça ! C'est de la gourmandise !
R.F. – Des auteurs vivants, de jeunes poètes, avez-vous des contacts avec eux ?
C.K. – Oui, bien sûr. J'ai des contacts, mais en poésie, peu de jeunes sont publiés, sauf en revues peut-être.
R.F. – Je pense au travail que fait Bruno Doucey. J’ai vu des recueils publiés par lui dans votre librairie. Il s'adresse souvent à des voix nouvelles, comme Anne Bihan par exemple, qui vit de l'autre coté du monde et qu'il a publiée récemment.
(Dans le courant du mois, qui a suivi cet entretien, Anne Bihan a reçu le Prix de Poésie Camille Lemercier d'Ern 2012, décerné par l'association des poètes bretons, pour son livre Ton ventre est l'océan, paru aux éditions Bruno Doucey en octobre 2011)
C.K. – De toute façon les poètes vivants ne publient pas beaucoup. Une œuvre complète, de 4 à 5 opus en tout, c'est déjà énorme. Ils ne sont pas tous Yves Bonnefoy. Tiens ! Je l'ai reçu, ici, lui aussi, je l’oubliais ; pourtant j'aime beaucoup ce Monsieur. Lui, se vend sans aucun problème. Antoine Emaz par exemple ne publie presque plus ; ses livres sont épuisés et on m'a dit qu'il ne veut plus publier. Ce serait vraiment dommage.
R.F. – Jacques Décréau a fait récemment pour La Pierre et le Sel une présentation de son dernier livre, Sauf, paru en 2011.
J.D. – Oui. J’aime beaucoup son écriture, qui est très dépouillée.
C.K. – Elle me bouleverse. Il y a aussi Tarkos, un poète qui est mort très jeune. (Christophe Tarkos, 1963-2004). Il n'a jamais voulu faire quelque chose, ici, mais il était souvent dans ma librairie. C'était sublime.
J.D. – Vous organisez dans votre librairie de nombreuses rencontres, plusieurs par semaine. Est-ce que tout le monde désire passer chez vous ?
C.K. – Beaucoup veulent passer chez moi. Mais certains, je ne veux pas qu'ils passent. L'année en littérature est très, très forte. Il y a de très beaux livres, tous ne se vendront pas, certains vont passer à la trappe, et c'est très dommage, mais c'est aussi tant mieux que la littérature française soit en pleine créativité ! Les périodes de crise n'ont pas que du mauvais.
J.D. – Je crois que vous n'êtes pas trop inquiète face au livre électronique, cela ne veut pas dire que le livre va disparaître ?
C.K. – Je ne pense pas que le livre va disparaître. Il y aura deux formes de lecture. L'une davantage réservée aux Sciences Humaines, mais pas forcément pour des livres de référence. Il se trouve que si je devais partir longtemps et avec beaucoup de livres à lire, je partirais avec une « liseuse », pour éliminer du poids dans mes bagages et aussi les mauvais livres de la rentrée littéraire. Mais la poésie sur la « liseuse » ce n'est pas impossible, surtout pour les formes brèves. Je n'ai pas encore essayé, mais cela pourrait donner l’occasion à de jeunes poètes d'être lus.
R.F. – Les blogs jouent ce rôle. Allez-vous parfois sur les blogs ?
C.K. – Oui, cela m'arrive forcément.
R.F. – Sur Poezibao, par exemple ? Ce blog a été créé il y a dix ans par Florence Trocmé, avec la parution tous les jours d’un article court sur un poète.
C.K. – Non, je ne le connais pas. Vous m'aurez appris quelque chose.
R.F. – Quel est votre avis sur la petite édition ?
C.K. – Je l'ai crue longtemps « beautiful », mais à présent je le crois moins. Il existe le revers de la médaille, c'est qu'étant bien subventionnés, ils n'ont pas de frais, – les subventions suffisent à publier pour ceux qui ne sont ni diffusés ni distribués – ils n'ont donc plus besoin de vendre et on a l'impression, pour certains, qu'on les embête si on leur commande un livre.
R.F. – Mais c’est une catastrophe pour les poètes !
C.K. – Il faudrait qu'ils s'engagent à « mettre en place » et que les subventions soient surveillées, après.
J.D. – Pour conclure, quels sont vos souhaits ?
C.K. – Que les petits éditeurs, qui ont des pépites, les fassent partager davantage !
J.D. – Quel est le prochain poète que vous nous proposez de rencontrer ?
C.K. – Michel Butor avec Une nuit sur le Mont Chauve, en décembre prochain. Il s'agit de poèmes, écrits sur la musique de Miquel Barchelo, qui viennent de paraître aux éditions La différence.
J.D – La rencontre aura lieu dans la librairie ?
C.K. – Oui, avec des micros, quelques chaises et on peut aussi s'asseoir par terre.
J.D. et R.F. – Merci de votre accueil et d’avoir bien voulu répondre à nos questions pour les lecteurs de notre blog.
Internet
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Le site Les Cahiers de Colette, avec le calendrier des prochaines rencontres d’écrivains
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Les Cahiers de Colette, un article de François Bon
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Colette Kerber invitée de Musique Matin, le 28 décembre 2011, vidéo, durée 18 min.
Contribution de Jacques Décréau et Roselyne Fritel
Antoine Emaz vient de publier "Cuisine" chez Publie.papier (depuis cet été) , un ensemble de notes tirées de ces carnets...
http://publiepapier.fr/contemporain-textes/article/emaz-antoine-cuisine
et en version numérique ( depuis janvier )
http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504356/cuisine
Rédigé par : Eric Dubois | 22 novembre 2012 à 22:11