En épluchant des poireaux
Un
après-midi d'automne
sujette à une anémie violente
j'épluche
des poireaux
pour préparer l'offrande habituelle aux ancêtres
En
épluchant des poireaux je verse des larmes
Fruits rouges à
l'est fruits blancs à l'ouest, alcool fruits
viande séchée
boisson sucrée de riz fermenté
Suivant les instructions qui
circulent comme une rumeur
depuis quelques siècles
lorsque
je m'affaire à préparer la table
mon petit garçon dévoué à
ses ancêtres me dit
« Maman, on va commander un bol de
Chajangmyeon*
pour l'offrande.
Une assiette de Tangsu-yuk**
aussi»
*
Plat de nouilles à la sauce de haricots noirs, cuisine chinoise
très populaire en Corée.
**
Plat de porc frit à la sauce aigre-douce, cuisine chinoise appréciée
particulièrement par les enfants coréens. (NdT)
In Celle qui mangeait le riz froid, traduction Kim Hyun-ja - © Bruno Doucey, 2012, p.41
Note de l'éditeur
Qui est l'auteur de cet hommage rendu à toutes les mères du monde, celles qui remplacent humblement les dieux dans les foyers? Elle se nomme Moon Chung-hee. Née en Corée du sud en 1947, elle est l'une des figures majeures de la poésie coréenne contemporaine, mais n'avait encore jamais été publiée en France. Ses textes rassemblés sous le titre Celle qui mangeait le riz froid ont souvent pour point de départ une réalité prosaïque : un légume, une lessiveuse de linge sale, la cuisson d'un repas, un parfum, une fleur, un examen médical. Mais l'auteure possède le don de transfigurer les choses les plus ordinaires pour en révéler la profondeur et la charge émotive. Sa poésie touche au cœur avec des mots simples. C'est pourquoi je forme le vœu qu'elle trouve, comme une flèche, le chemin qui mène au cœur d'un large public. « Une fois enfoncée dedans, qu'elle s'épanouisse en une fleur. »
Contribution de PPierre Kobel
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