Murielle Szac l'explique : lorsqu'elle entra dans le groupe de presse Bayard, on lui demanda de s'intéresser à la mythologie et cela la ramena à la lecture des Contes et légendes publiées chez Nathan depuis longtemps. Mais il s'agissait pour elle d'écrire le récit de la mythologie en tissant les liens qui relient les héros et les dieux et déesses de ces histoires. Dans la préface au premier de ces deux albums, le psychopédagogue Serge Boimare écrit : « Dans le sillage de son héros qui veut toujours savoir ce qu'il y avait avant, elle revient, épisode après épisode, sur ces questions primordiales et essentielles qui sont au cœur de toutes les autres. »
En regard de cette œuvre, deux poèmes choisis par un autre passionné de la Grèce qui en fut un grand porte-parole, Jacques Lacarrière, dans son Dictionnaire amoureux de la Grèce.
Yannis Ritsos (1909-1990)
Racines
Ici,
nous avons pris racines.
Par le balcon, tu vis la mer pour la
première fois
Entre deux aubes – l'une rosé et l'autre noire.
Tu avais dans ta poche un peigne et un mouchoir.
Dans ton
dos, la crête du rocher tendait la toise torride de l'altitude
Et
aux portes du lazaret, tout sentait le thym et la rouille.
Quand
tu rentras dans la maison, les pièces étaient sombres, désertées.
La vaisselle avait changé de place.
La plus jeune servante
conspirait avec les pierres
Et les mots balbutiaient à l'aube de
leur sens.
Depuis, nous avons appris que les racines voyagent
sous
les pierres.
Et
cette même fenêtre, nous l'avons vue à Cnossos, à Mystra, à
Mycènes et à Thèbes.
La feuille du figuier, nous l'avons vue
sur les mêmes corps
Quand les belles adolescentes au front droit
Gravissaient l'escalier de marbre et déroulaient le voile
Processionnel décoré de chevaux, de dieux et de
corbeilles.
L'une d'elles perdit sa sandale.
Elle ne s'arrêta
pas pour la remettre
Ne lâcha pas son voile, continua son chemin
jusqu'au temple
En boitant imperceptiblement.
Démarche qui a
franchi, immuable, la profondeur du temps.
In Monemvasia | Traduction Jacques Lacarrière in Dictionnaire amoureux de la Grèce, © Plon, 2001, p.469
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Sikélianos Anghélos (1884-1951)
Je voyage avec Dionysos
Et
d'abord
Dans la nuit aveugle
Laissant peser mon corps sur des
mains invisibles,
J'ai marché, terre, sur tes sillons
gravides.
Ton sol était tendu
Comme une peau de bœuf sur
un tambour
Et sous mes talons je la sentais frémir
Au grand
rythme du monde.
Comme un aveugle de naissance
Qui, au
moindre bruit près de lui,
Lève machinalement ses yeux morts
vers le ciel
–
comme si toujours les sons venaient d'en-haut –
Et,
dès qu'il porte une flûte à sa bouche,
Marque le rythme de ses
talons et fait chanter
Toutes les voix du monde par sa voix,
L'âme éblouie d'invisible lumière,
Ainsi, dans la nuit
aveugle,
Je marche et je martèle des talons
Terre, tes
gravides sillons.
Mais
quand pour nous, les compagnons du dieu,
Vint l'heure du départ
–
Cette heure où sur la rive
Le sable crisse sous les pas comme une
voix vivante,
Où les voiles éclosent comme des lis
Sur
les plaines du large –
Nous avons poussé notre navire vers la mer
Et soudain
j'oubliai la terre
Et je sentis poindre en mon cœur
Une
lumière nouvelle, comme l'étoile de l'aube.
Une pluie fine
éraillait les sillons de la mer,
Une rumeur légère, un murmure
d'écume
Sourdait de sur les flots,
Le murmure de l'eau sous
les dents de nos rames.
Les îles blanches au loin mêlaient
leurs promontoires
Comme des palombes enlacées, et parfois,
Tandis que nous longions des rivages parfumés de thym,
De
géantes tortues nous regardaient passer
Immobiles comme des
rochers d'ombre.
Et moi, en ce vertige ultime du voyage.
J'aspirais de mes rames tout le sein de la mer
Et je tissais
ma route sur la trame des eaux
Et mon âme escortait le vaisseau
Comme, sur son sillage, une mouette obstinée.
Alors, mes
compagnons,
Dans le calme des choses,
Prièrent ainsi les dieux
:
« Oui, maintenant que nous avons
Les yeux brûlés par les
veilles et le sel,
Nos âmes immobiles pourront
réverbérer
L'horizon dans le sillage du silence.
Comme un
poisson quittant l'obscurité des fonds
Pour venir respirer sur la
surface étale
L'heure où se répand le corail de l'aube
Et
qui glisse et replonge et raye l'océan
Comme silex d'argent sous
le feu du soleil,
Ainsi nous-mêmes, à présent,
Pénétrons
l'espace étale de nos dieux
Et tout notre corps en éveil
Sent,
jusqu'en chaque doigt,
Un fort désir monter en nous
Au grand
rythme du monde. »
Alors, soudain, je T'ai aperçu,
Toi,
l'enfant-dieu, le Maître secret de la vie !
Car
Sans que la
proue fasse d'écume,
Sans que la poupe laisse sillage,
Sans
le moindre vent alentour,
Le bateau glissait sur les eaux…
Qui
nous menait, nu, à la proue,
Étendu
contre l'horizon,
Qui nous menait, sinon le dieu ?
Et l'air
tremblait autour de lui
Comme autour d'un rocher brûlant
À
midi, la fournaise des vents
Ou comme autour d'un autel blanc
Le
feu des prières et des danses !
Et moi, sentant sourdre en
mon cœur
Le chant invisible du dieu,
Je m'écriai : Libérateur
!
Tu m'as réveillé de l'oubli,
Tu m'as fait boire l'ivresse
des tempêtes,
Et tu m'entraînes aux extrêmes du monde
Et je
suis devenu, par ton ordre secret,
Comme l'oiseau de mer posé
entre deux vagues
Et qui monte et descend dans le cœur de
l'écume
Au grand rythme du monde !
1919
Traduction Jacques Lacarrière in Dictionnaire amoureux de la Grèce, © Plon, 2001, p.509
Internet
-
Murielle Szac sur le site Ricochet
-
Le feuilleton d'Hermès sur le Réseau Boimare
-
Le portail consacré à la mythologie grecque sur Wikipedia
Contribution de PPierre Kobel
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