Poésie
D'où
vient-elle – la voix qui
nous déchira de l'intérieur,
qui
apporta la pluie noire
de l'automne, et s'enfuit parmi
les
brouillards et les champs
dévorés par les herbes ?
Elle
était ici – ici à l'intérieur
de nous, comme si elle s'était
toujours
trouvée là ; et nous ne
l'entendons pas, comme
si elle ne nous
parlait pas depuis toujours,
là, à
l'intérieur de nous.
Et maintenant que nous voulons
l'entendre,
comme si nous l'avions re-
connue jadis, où
est-elle ? La voix
qui danse la nuit, en hiver,
sans
lumière ni écho, tandis qu'elle
prend de sa main le fil
obscur
de l'horizon.
Elle dit : « Ne pleure pas ce
qui t'attend,
ne descends plus la rive
du fleuve ultime.
Respire,
d'un trait bref, l'odeur
de la résine, dans le bois,
et
le souffle humide du poème. »
Comme si nous
l'entendions.
In
Méditations
sur des ruines (1994)
© Poésie/Gallimard
1996, p.205/206
Nuno Júdice est un des poètes majeurs portugais. Né en avril 1949, en Algarve, à Mexilhoeira Grande, et ayant grandi dans ce petit village du sud du Portugal, il dit y avoir contracté, dès l'enfance, le virus poétique.
J'ai un souvenir d'enfance très précis : c'est un matin de décembre, très froid et très lumineux, comme il arrive chez moi, dans le Sud, sous le soleil d'hiver. Je suis assis dans l'escalier de la maison de ma grand-mère, et je lis un des livres que Noël m'a apporté : une adaptation pour enfants de l'Énéide.
(...) J'étais donc en bas de l'escalier, en lisant et, parfois, en regardant la rue, bien que le contraste entre l'obscurité de l'intérieur et la lumière du dehors m'empêchât de reprendre la lecture tout de suite. C'est peut-être dans cet intervalle, où j'étais obligé de me réadapter à l'intérieur de la maison, que la poésie a paru dans mon esprit : quelque chose qui lui ressemblait, en tout cas, a dû occuper ces instants de vacuité, et m'a poussé, un jour, bien avant l'adolescence, à écrire des vers dans un mouvement que j'avais moi-même quelque difficulté à comprendre.
(...) Il est vrai qu'au bas de l'escalier, dans le vestibule de la maison, j'étais à mon insu à la frontière de plusieurs mondes ; et, peut-être apprenais-je la façon de les mettre en contact, ce que seul peut faire le langage.
In Un chant dans l'épaisseur du temps, préface de l'auteur © Poésie/Gallimard 1996, p.7 à 9
Il grandit également sous le régime dictatorial de Salazar, fait ses études à Lisbonne, et opte pour la Philologie romane, par amour du langage probablement.
De 1969 à 1972, il est critique littéraire à la rédaction de la revue O Tempo e O Modo. Membre de l'Association Portugaise des Écrivains, il fait partie de sa direction jusqu'en 1976.
Les guerres coloniales débutent en 1960, elles sont la cause de l'exil de beaucoup de familles ayant des jeunes en âge de combattre et sont suivies du démembrement de l'empire colonial, du retrait du pouvoir de Salazar, en 1968, de l'enthousiasme populaire de la Révolution des œillets, en avril 1974, puis des tensions et divergences politiques, postérieures.
Ces événements affectent particulièrement le poète. Son écriture en porte les traces. En 1974, il se dit sujet à des accès de mélancolie, que la poésie et la musique, très présentes dans sa vie et son œuvre, heureusement atténuent.
Pour que cet auteur revienne
Survint
une époque de troubles : les valeurs, le climat, l'équilibre
des âmes... Même l'écrivain, quand il prétendait exercer son
travail d'analyse ou de création, trouvait devant lui les
insurmontables difficultés du brouillard, l'indécision du discours,
la carence des idées (des idéaux). Son intervention devint rare et
malaisée. Mais il ne désespéra pas. C'est lui qui, jour après
jour, tente de renaître, ou qui cherche seulement à ce que l'ancien
génie revienne subitement en plein cœur de la page.
(extrait) in Les degrés du regard, Dans les bras de la lumière exiguë 1976, traduit du portugais par M.Chandeigne © L'Escampette 1993, p.73
****
Pessoa
Là où tu es, sans être
jamais revenu de nulle part, sans volonté de partir là où tu
n'arriveras jamais, parce que là c'est déjà hier, je te rencontre.
Tu me demandes de m'asseoir : et tous deux, à la table d'un des
cafés de l'Éternité, nous écrivons des lettres que jamais
personne ne recevra. Mais tu ris, sachant que Lui, l'inConnu, est en
train de les lire, et probablement aussi de les écrire, à travers
toi, pour un autre qui a ton visage et tes mains, et cependant ce
n'est pas toi, et qui me regarde maintenant. Et tu me dis :
c'est un fantôme ! Et tu ris davantage, dans ces limbes où
commence à tomber un crépuscule qu'ailleurs on appellerait la
Mort : mais que tu sais être plus que la mort et, en même
temps, une vie à laquelle nul n'oserait aspirer.
Et
tu fais silence, songeant à celle à qui tu as écrit des lettres
que personne d'autre que toi n'a jamais lues, même pas elle que tu
regardais , dans un bureau plein de soleil et de vent, rêvant à des
bateaux et à des voiles, tandis qu'elle pensait à ce que tu
sentirais pour elle, sans savoir que ce que tu sentais, elle seule
pouvait le sentir, dans ce reflet d'un temps où elle serait l'ombre,
à peine, de quelqu'un qui pourrait avoir été. (Et cette ombre
soudaine trouble ton ombre que je regarde, et qui me hante.)
11 juin 1985 –
Lisbonne
Écrit , comme d'autres, dans un café de Lisbonne, ce texte, daté du jour, ne paraît qu'en 1992 dans Un chant dans l'épaisseur du temps, à la page 35 et 36. Pessoa, le maître par excellence de tous les auteurs portugais, revient en filigrane à de multiples occasions dans l’œuvre de l'auteur, chaque fois qu'il est ici ou là, et en même temps lui et un autre, quand “rêve et réalité se confondent”, dans “cette déambulation entre être et ne pas être”, à la façon d'Hamlet.
Nuno Júdice s'installe par la suite à Berne, en Suisse, avec femme et enfants de 1985 à 1991.
Morte saison
Je
remontai la nuit jusqu'à l'enfer, dont je touchai
le cœur ;
ses noires écailles me blessèrent
et je bus le lait acide
d'aortes obscures
que m'ouvraient, béantes, des bouches tordues.
Je fuis
vers un hôtel d'été, au bord de la mer,
mais c'était
l'hiver, les portes se fermaient
devant moi ; il pleuvait sur
l'esplanade. Un
anglais fou dormait, debout, sur les
fleurs
calcinées. La servante lisait Virgile, en latin,
tandis
que j'ouvrais le lit. Je l'étendis près de moi
sur le sofa aux
feuilles violacées ; et je touchai ses
hanches, devinant sa
peau morte.
(extrait) in Les degrés du regard, © L'Escampette 1993, (Lyre de lichen,1985), p.107
****
Image, encore
La
maison – probablement intacte – mais non pas
sa voix,
disparue, qui flotte vers des
confins de mémoire. C'est ce qui
persiste de quelqu'un,
pour quelque temps : le souvenir d'une
inflexion,
des mots prononcés sans propos particulier, et qui
demeurent
– « il a dit », « je l'ai entendu
dire », etc...tant que
dure une relation avec son image.
Rien de profond,
puisque rien n'est profond – sinon notre
ignorance
sur ce que nous savons ou non des autres. C'est que
je
ne peux plus interroger sa mémoire : quel hasard
l'a fixée
à mon destin pour qu'elle m'habite , maintenant,
recoin intrus de
moi-même ? Cependant – elle se borne
à accentuer ma
solitude. Et celle-ci vient de loin,
sans secret, me rappelant
qu'il est inutile
de continuer à questionner : contente-toi
d'un destin.
– il te survivra, plus réel
que tu ne le seras
jamais.
Ibid La condescendance de l'être, 1988, p.117
****
Sud
Là,
tout est simple et complexe : la lumière,
la solitude, le
regard qui s'émeut de la tombée
de la nuit et du lever du jour ;
et, même,
les rires de femmes entendus de loin,
portés par
l'air dont la transparence se sent
dans notre propre respiration.
Cependant, je me penche
au balcon et je m'aperçois que quelque
chose disparaît,
au-delà des murs et des jardins,
m'appelant
sans que je puisse répondre. Alors je reviens
à
l'intérieur ; je prépare le café ; et
tandis que
l'eau frémit, le mystère disparaît,
inutile et excessif, au
début de l'après-midi.
Ibid, Les régles de la perspective 1990, p.133
Ayant préparé et soutenu avec succès un doctorat en Littérature comparée, il revient au pays et devient professeur à l'Université Nouvelle de Lisbonne.
Un chant dans l'épaisseur du temps, superbe recueil, paraît en 1992. On y rencontre encore des bouts de couloir sans issue et autant de visages disparus mais la poésie demeure palpable comme une femme aimée, qui n'attend que votre retour.
Sans
issue
3
L'indécision
se résout au fond des couloirs
des vieilles maisons. Mais il n'y
a plus de vieilles maisons, et
les couloirs aboutissent à des
murs fermés,
des espaces sans écho, des miroirs sans vitre
où
réfléchir ton visage.
In Un chant dans l'épaisseur du temps © Poésie /Gallimard 1996, extrait p.29
****
« Ulysse »,
une page
Ayant écrit les mots qui, pensait-il,
seraient
les derniers, il revint au début
du poème ; et ainsi, il
s'obligea à poursuivre jusqu'à
la fin de la strophe, sans
interruption. La grammaire
le forçait à suivre les régles
anciennes, l'esprit
ne parvint pas à fuir la contingence de la
forme – et
l'attachant à la matière verbale du poème, il le
libéra
de la pensée, de l'abstraction, de la propre idée
qui
le gouvernait – navigateur du sublime. Mais
ce ne fut pas cela
qu'il rêva, un jour, quand il s'aperçut
que le langage pouvait
exprimer son trouble ;
et il ne trouva pas d'autres manières
de traduire
le doute qui l'empêchait désormais de classer
comme
« poétique » ou « lyrique » ce qu'il
écrivait.
« Le chant ne me satisfait pas, je cherche la
totalité. »
Cependant, cette voix n'était pas la sienne.
En elle, il entendait
l'écho que l'humidité étouffe en
automne ; et le cri
lointain d'un oiseau inquiet ; et le
murmure
des lèvres qui répètent le commandement
incomplet :
« dieu...qui est dieu ? » Lui,
s'il le savait, occuperait
le vide de cette voix. Aucune certitude
ne remplace
la conviction du néant ; nul ressac ne
blanchit
les cheveux de l'aube. « Croyez au
rythme »,
disait-il, comme si quelqu'un l'entendait. La mort
est une
femme
nue parmi les statues du parc ; une
femme nue à cheval sur
une machine à écrire ;
le sexe d'algues que la marée
découvre,
entre les derniers mots du poème et le corps,
qui
les entend, enchaîné à la mâture du vers.
Ibid p.32/33
****
Poème
« Le
vent a soufflé avec trop de force, as-tu dit,
c'était comme si
un dieu avait soufflé depuis l'horizon » ;
et ce
souffle a emporté les feuilles des arbres,
chassé les nuages,
pénétré les fenêtres du rêve,
bousculant les images et les
phrases. Je ne sais pas,
de fait, si la voix qui nous réveille,
la nuit, a
un destinataire en particulier. Bien que je me
lève,
guette le couloir, entrouvre les volets de bois,
nul
n'apparaît depuis la ténèbre. Les vieilles maisons, en
province,
ont des habitants inattendus : des visages qui se
confondent
avec le brouillard des miroirs ; des bras que la
mousse
de l'ombre a corrodés.
Ibid
p. 101
Paraît au Portugal, en 1994, son recueil Méditation sur des ruines. Le ton, comme le titre, en est nostalgique et parfois ironique. Traduit par Michel Chandeigne en français, il fait suite à Un chant dans l'épaisseur du temps, chez Poésie/Gallimard
Poème
La
pointe du compas, qui
marque le centre invisible,
ne chante pas
comme le bec pointu
de l'oiseau qui est au cœur du
chant qui
l'occupe. Et
pourtant, le compas tourne
comme si des ailes le
faisaient
bouger ; et il dessine sur le papier,
le cercle,
que dans l'air
l'oiseau suggère.
Ibid, p.181
****
L'ordre du monde
Le
matin, je cueille les herbes du jardin. La terre,
encore fraîche,
sort avec les racines, et se mélange
au brouillard de l'aube.
Alors le monde
s'inverse : le ciel, que je ne vois pas,
est
sous la terre ; et les racines montent
en suivant une
direction invisible. De
la maison, pourtant, m'appelle une
odeur
de café : comme si quelqu'un me disait
de me
réveiller, une seconde fois,
pour que les racines croissent
dans
la terre et que le brouillard, se dissipant, laisse voir le
bleu.
ibid p.224
À lire Le mouvement du monde, traduit par Michel Chandeigne, et publié en 2000, chez Le Taillis Pré, il semble qu'un événement dramatique vienne changer le cours de la vie familiale du poète, en avril 1995 ; sans qu'il y en soit fait clairement allusion, il s'agit vraisemblablement de la disparition de son épouse.
Avril 95
(...)
En avril, on ne peut
savoir si le jour du lendemain existe, ou
si
le rideau noir de l'éternité tombe au cœur
d'une vie sans
hésitations ni angoisses – la fermant pour
les certitudes de la
mémoire. Se pourrait-il que ce soit cela que l'on attende
de
cette vie ? (…)
Ibid ( extrait) p.39
“Navigateur du sublime”, il surmonte l'épreuve et la transcende. Sa poésie, en référence à d'autres grandes œuvres, revêt une ampleur particulière.
Je
remonte le fleuve de ton corps sur une carte ancienne,
avec le
papier qui se déchire et les inscriptions effacées
par les
pluies de la nuit. Un navire de mots
m'emporte dans cette
expédition ; et les rameurs
ont tu leur rythme monotone, en
entendant
le battement de la coque dans les eaux
profondes.
Jadis, j'ai rêvé d'un débarquement matinal
sur
ces sables inaccessibles ; entendu les oiseaux
indiquer le
chemin des montagnes ; su
que les nuages étaient à ma
portée, comme
si la source n'était juste qu'un point abstrait
au
centre de la page.
J'éloigne tes doigts, comme des algues, à
la recherche
de poissons oubliés par l'hiver. Derrière eux,
un
troupeau immergé suit les pas du berger
sous-marin : Neptune
aveugle dont le trident se
confond aux racines fluviales. Je
traverse les limites
du songe que tu m'offres : et je trouve
le lac
stagnant de tes yeux ouverts
avec l'avidité des
ténèbres.
In
Le
Mouvement du monde ©
Le Taillis Pré 2000, p.37
Dans le poème qui précède, il évoque sans conteste Saint-John Perse, comme lui face à « l'éternité qui baille sur les sables ».
Saudade
Je
t'attends au bout du monde
ou à son commencement,
tandis que
les semences sèchent au soleil
qui ne se lève pas
et que les
mots se perdent dans un vers
sans poids ni mesure.
Tu es
celle qui ne vient pas :
promesse de l'amour qui emplit
les
miroirs, éclat
des ténèbres qui obscurcit
le cristal.
Et
quand je regarde par la fenêtre,
comme si tu venais du bout de la
rue,
seul le soir s'esquive au coin du trottoir
qui t'a vu
partir
avec les yeux humides du matin nu.
Ombre, cendres et
ruine
viennent à chaque printemps ; mais toi
tu reviens
seulement de je ne sais où,
alors que je n'attends pas
et là
où je ne suis plus.
Ibid, p.41
****
Libation tardive
Je
verse sur ma tête
l'or absurde des couchants.
Un pot de terre
tombe de mes mains :
il se brise sur le sol de pierre.
Ton
corps est un navire qui
rouille dans le port.
Cependant, je le
pousse vers le large :
et il prend le chemin du soleil.
La
main qui dessine ne sait pas
où finit la page : derrière
elle,
se soulèvent les collines, les arbres
agitent leurs
frondaisons sous le vent,
un aigle reste immobile
plus
longtemps que d'habitude.
Les lignes se croisent dans
les
yeux. Je vois leur profondeur :
le bleu se confond avec le
vert,
les cendres de l'âme teignent
d'automne
l'amour.
J'entends le chant nocturne des pierres
tachées
par le vol de ton désir.
Je t'entends – tu es loin, comme si
tu
me parlais entre les nuages et
les ombres.
Entre ce
chant et tes paroles
tombe le silence qui annonce
les premières
pluies.
Ibid p. 47 et 48
****
Mnémonique
(...)
Ensuite,
c'est l'hiver qui nous attend ! Mais
durant la nuit, si un
silence se crée
et les ténèbres deviennent plus intenses,
ton
image naît à l'intérieur de moi,
vient à ma rencontre, et
nous
répétons les gestes d'un amour
ancien.
(extrait) ibid, p.75
Parlant couramment plusieurs langues, il poursuit une activité critique soutenue dans son pays, crée et dirige successivement deux importantes revues de poésie. Conseiller culturel à l'Ambassade du Portugal à Paris, il a dirigé le Centre culturel de l'Institut Camões, à Paris.
Son œuvre est riche d'une vingtaine de titres. Une douzaine d'entre eux sont traduits en français, poésie, essais et romans. Il est également l'auteur de pièces de théâtre. Sa poésie lui a valu de nombreux prix prestigieux, dans son pays, dont le Grand Prix de Littérature DST pour son recueil Géométrie variable, paru au Portugal en avril 2005, soit dix ans après la mort de son épouse.
Ce livre, traduit en français par Cristina Isabel de Melo, paraît aux éditions Vagamundo, en mai 2011.
Il est présenté et lu, à Sète, dans sa version française, en 2012, au festival des Voix vives en Méditerranée.
« C'est un livre très sensuel et musical » dit alors son présentateur, Gérard Meudal.
« La poésie est ma respiration – confie en retour Nuno Júdice – le premier poème est écrit sur un air de Bach ». Le voici :
Égloge blanche
(...)
Alors
j'ouvre la fenêtre de la nuit. Je compte
les fils de chaque point
lumineux, dans le ciel, comme si
je touchais les cheveux où
brillent encore
les murmures de l’après-midi,
et je sens une soudaine
inquiétude, lorsqu'un bruit
d'ombre
s'immisce entre les amants. Quel
lieu plus retiré
accueillera leur étreinte ? Ou
quel écho solitaire
atteindra soudain la plénitude
de leurs voix ? Je
collectionne le rythme de ces
cœurs dans la musique que je dérobe
à leurs poitrines
accordées. Puis, j'allume des couchants,
j'éclaircis
des pénombres, je fais en sorte que le coursier de
la folie
dévale la colline de la passion, foulant de ses
sabots
les gradins de son art. Et
je répète leurs gestes,
sous un compendium
d'arbres, apprenant le chant
des feuillages
dans un bruissement d'horizon,
afin que jamais plus ne se perde la
racine
de l'amour planté en cette terre,
rosier éphémère
dans un rêve
d'arbre.
(extrait) in Géométrie variable © Vagamundo 2012, p.15 et 16
Tout au long de ce recueil, le poème vient combler l'absence de l'aimée, lui donner sens. À partir d'un air de musique ou d'un tableau, naissent des poèmes étrangement sensuels.
Robe d'absence
Si
je pouvais commander aux images, une seule
existerait, celle de
ton profil, et à travers lui,
ce que je touche dans l'absolue
solitude de l'être ;
et si je ne le pouvais, dans leur néant
je trouverais
encore le souvenir que tu as laissé en moi, la
courbe
parfaite de ton sein qui éclot,
soudain, et
rayonne dans le sombre de la nuit ;
et s'il
n'y avait, en cet unique centre, point d'éclat,
dans son
obscurité même, ton absence ôterait le vide
de la mémoire,
pour le remplir de ce qui, un instant,
troubla ta quiétude et
aussitôt s'enfuit
en un vol d'oiseau que je poursuis.
Ibid p.126
À sa rencontre, il parcourt espaces et paysages, qui débouchent encore parfois sur des couloirs. L'essentiel est de “mettre des mondes en contact”, disait-il dans sa préface, au début de cet article. Pari tenu.
Marée
Je
parcours les mers aux rivages
de papier ; dans les détroits
couverts de brume,
je plie les dernières tempêtes de la mémoire.
Je franchis
cet horizon fermé comme les yeux
d'Adamastor,
déchirant la peau des tropiques jusqu'à trouver
le
sang de la terre. Je me laisse porter par la lenteur
des rythmes,
par la houle nonchalante des voyelles,
perdu dans l'immensité de
la phrase.
Je reviens au poème. Je m'abrite sous
d'infinies
strophes obscures ; je me heurte aux vers,
ballotté
de tous cotés ; puis j'arrive dans ce couloir
où
tu m'as attendu, et je vois ton image
se refléter encore sur le
mur des mots, avec
l'écho lumineux qui naît de ton
visage. « Viens
avec moi », je te dis, « trouver
ce port où les bateaux
reviennent de leurs voyages silencieux, où
des êtres
dépourvus d'yeux nous attendent qui nous
offriront
leur abri de pierre ».
Là-haut, sur le
sommet des dunes, j'ai dessiné
une plage aux contours de tes
lèvres,
le bruissement d'ailes qui traverse tes yeux
en un
battement de paupières, et la marée montante
déferlant son drap
d'écume blanche.
ibid p.72
Bibliographie
consultée
-
Les degrés du regard, anthologie, © L'escampette 1993
-
Un chant dans l'épaisseur du temps, suivi de Méditations sur des ruines © Poésie/Gallimard 1996
-
Le Mouvement du Monde © Le Taillis Pré 2000
-
Géométrie variable © Vagamundo 2011
Internet
-
Une page sur Bibliomonde
-
Une page sur Poezibao
-
Un article de Matthieu Baumier dans Recours au poème
Contribution de Roselyne Fritel
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