Nous publions ce jour, une recension du numéro 58 de la revue Diérèse que nous fait parvenir son directeur Daniel Martinez. On ne répétera jamais assez combien il accomplit avec Isabelle Lévesque, un travail de fond qui met en exergue des textes importants et porte la poésie à des contrées nécessaires pour la réflexion.
Le cinquante-huitième numéro de la revue Diérèse fait la part belle au plasticien et poète Gérard Titus-Carmel qui, avec deux beaux ensembles : « Albâtre » (poèmes) et « Le Huitième pli ou le travail de Beauté » (poétique), ouvre le numéro double (automne-hiver 2012). Deux toiles, chacune intitulée Jungles, ornent la couverture de Diérèse, entièrement réalisée par l’artiste : arborescences où le pinceau trace et invente à mesure sa propre voie.
Gardons en mémoire que, dans son œuvre picturale, pour célébrer le végétal, Gérard Titus-Carmel a créé des séries différentes : Quartiers d’Hiver, *Jungles*, Feuillées, Forêts… Il y exprime la puissance de la Nature, les chances de la Terre. En ouvrant ce numéro 58 de Diérèse, le lecteur y découvrira donc quinze encres peintes (taille A5) par l’artiste spécialement pour la revue le 12/8/2012, qui inventent une « flore inconnue », « exubérante », « presque monstrueuse » : « palmes souples et alanguies, feuilles acérées, bouquets épineux, buissons fous » (citations de Gérard Titus-Carmel) . Elles figurent à leur manière les alternances de la création artistique, ses régénérations successives.
Pertinents, ses textes sur la Beauté : « Ainsi me voilà parvenu à la source de ton corps lumineux où j’ai cru me reconnaître inversé et tout entier vêtu de chair obscure » (p. 52).
Puis, à l’accoutumée, l’éventail s’ouvre sur les domaines du monde, italien (Giacomo Cerrai, traduit par Raymond Farina), allemand (Durs Grünbein, traduit par Joël Vincent), chinois avec ce poète de l’instantané : Du Fu (712-770, dynastie Tang), traduit par Guomei Chen : « Deux loriots chantent/ au creux des branches d’un saule verdoyant./ Une nuée d’aigrettes blanches alignées/ s’envolent dans le ciel bleu… » (p. 137).
Trois Cahiers suivent, tous empreints de cette intranquillité propre au poète lusophone, citons Isabelle Lévesque : « Ma seule esquisse,/ mon livre où des mots/ pauvres et fiers/ changent la mémoire. » (p. 169), un groupement extrait d’un recueil de poèmes de l’auteure, à paraître au premier semestre 2013, aux éditions Les Deux-Siciles : Un peu de ciel ou de matin, avec une postface de Pierre Dhainaut et des peintures et dessins de Jean-Gilles Badaire. . Puis Françoise Ascal dont nous restent en mémoire les Lignées (éditions Æncrages, livre illustré par le même Gérard Titus-Carmel) qui, à la manière d’un André Frénaud, interroge les profondeurs : « mots-poissons reclus sous la vase/ mots en copulation en guerre en soif/ votre vacarme est assourdissant// Qu’attendez-vous de nous… » (p. 178). Daniel Martinez, au feu des yeux, tente de retrouver « l’avant-monde où s’échinent jusqu’à midi les étoiles dans le puits » (p. 184). À suivre, ce poète rare et précieux, Emmanuel Moses, dont la mémoire nourrit le futur, sombre plus que lumineux : « Et derrière la vitre, le ciel respirait/ Il était insensible aux destinées/ Je l’aimais pour ça/ Comme on peut aimer une femme pour son indifférence », ita est (p. 189). Jacques Kober, un délicieux surréaliste amoureux de (autant qu’à) Venise et de l’Italie tout court (on renverra le lecteur curieux au n°9 de la revue NU(e), mars 1999, où ont paru ses fameux entretiens avec Daniel Leuwers) : « Ce matin votre tunique s’embarque/ dans l’éventail de ralentir Venise. L’opposite à blêmir c’est la planète jouvence. » (p. 220). Un troisième Cahier est consacré à Max Alhau, « pèlerin du silence », présenté par Monique Labidoire : « Pour le poète, le monde restera toujours une énigme. Il lui est offert dans l’ordre et le chaos avec ses règles et ses étonnements » (p. 228). Écoutons-le : « Abandonne tes yeux à la douceur du monde,/ même s’il est tard et que tes souvenirs/ ne remaillent pas le temps et ses accrocs./ Seul l’instant perpétue ton destin,/ ses failles et sa disgrâce. » (p. 233).
Dans les Figures libres, Joël Vernet, p. 250 : « Toute écriture impose la halte, la vie sédentaire, la claustration, la maladie. L’écriture est un labeur d’artisan qui a chaque jour la tête contre le mur. ». Puis le Toulousain Yves Charnet, p. 258 : « Une seule fois – me raconte Ludovic J., Beckett aura fait une confidence. Sur son travail. Une seule fois. Il avoua se sentir prisonnier d’une forme. » Quête ou contrainte de la forme, l’écriture ?, à décrypter dans les pulsations mêmes du cœur aveugle et transparent que l’auteur verrait battre dans les syncopes du sien. Plus loin, encore, car on ne se lasse pas de le citer : « La vie comme un verre renversé. L’amour à cloche-cœur. » (p. 259).
Viennent à point nommé les rubriques cinématographiques de Jacques Sicard, avec notamment deux vues sur Sans soleil & La jetée, de Chris Marker. « Le temps markerien : à la fois, un point fusionnel ; une mesure imaginaire ; un lieu immobile où seul se meut ce qui l’habite ; un feuilleté de dimensions subtilement reliées entre elles ; un cycle, tels ceux rythmant les phénomènes naturels… » (p. 282).
Les Bonnes Feuilles, avec lesquelles s’achève cette livraison, où l’on remarquera l’analyse pertinente que fait Pierre Dhainaut de deux livres de Michèle Finck : Balbuciendo (éd. Arfuyen) et Giacometti et ses poètes : “Si tu veux voir, écoute” (éd. Hermann). Évoquant ce poète : « La poésie qui excelle à chanter les moments heureux n’est pas la sienne, ne l’a jamais été. Elle est, pour l’auteur de Balbuciendo, un exercice de lucidité. Michèle Finck évoque les beaux voyages d’autrefois, mais quand elle séjournait en Sicile, elle ne parvenait pas à oublier que “toujours derrière les nuages” que filmait son compagnon, “un couteau” était là, déjà, “Prêt à disséquer les entrailles de l’amour” ».
Signalons que le numéro 59 de Diérèse, à paraître pour le Marché de la poésie (place Saint-Sulpice à Paris, du 6 au 9 juin 2013) où Diérèse & Les Deux-Siciles auront un stand, sera entièrement consacré au poète et plasticien Nicolas Dieterlé, avec la participation de 24 auteurs, dont celle de Gérard Pfister, éditeur de L’Aile pourpre et Ici pépie le cœur de l’oiseau-mouche.
Internet
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Comité de rédaction : Isabelle Lévesque & Daniel Martinez | Direction : Daniel Martinez
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Adresse mail : [email protected]
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Dans La Pierre et le Sel, La revue Diérèse – Un entretien avec Daniel Martinez
Bibliographie partielle
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Diérèse n°58, 338 pages, prix : 18 € (port inclus), disponible à l’adresse de la rédaction :
8 avenue Hoche, 77330 Ozoir la Ferrière
Règlement par chèque à l’ordre de Daniel Martinez
Contribution de Daniel Martinez
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