Philippe Soupault s’est toujours passionné pour la peinture et fut l’ami de nombreux peintres. À la fin de sa vie, il rassembla en un seul volume tous les textes qu’il avait écrits sur eux. Cet ouvrage fut publié en 1980, sous le titre « Écrits sur la peinture ».
Or, de même qu’en 1917 Soupault découvrit Les Chants de Maldoror de Lautréamont, qui ouvrirent la voie au surréalisme, ainsi que l’œuvre de Tristan Tzara, on apprend dans ce livre qu’il fut aussi un découvreur de peintres de génie, qui étaient jusque-là restés dans l’ombre.
En 1914 par exemple, lors d’une visite de la Tate Gallery à Londres, il est fasciné par les dessins et gravures d’un certain William Blake, jusqu’alors méconnu hors de Grande-Bretagne. Il se met aussitôt au travail et publie en 1927 une étude de 43 pages consacrée à W. Blake, dont voici quelques lignes :
…Blake apparaît surtout
comme un visionnaire. Il n’explique plus ses visions, mais il les
constate le plus simplement du monde. Toutes ses gravures ont l’élan
d’un embrasement subit qui succède à une méditation. Un texte,
qu’il soit tiré du Livre
de Job, de Dante ou
même de Virgile, ne sert que de prétexte. Le plus souvent cette
vision s’impose sans que Blake la sollicite.
Ce qui frappe dans les gravures de la maturité de Blake, c’est une perfection dont les œuvres précédentes ne donnaient pas l’impression. Cette évidence de la perfection est due en grande partie à ce que Blake acceptait d’achever, alors qu’il se refusait jadis à « fignoler » ses gravures. Toutes les gravures du Livre de Job sont d’une exécution minutieuse. Pour ces gravures, Blake fit une quantité de dessins qui révèle le souci de perfection technique. Mais lorsqu’on a achevé d’admirer et que l’on considère la gravure, on se trouve en présence du même phénomène lyrique…
In Écrits sur la peinture, © Éditions Lachenal & Ritter, 1980, p. 119-120, extraits
Une autre fois, lors d’un voyage à Florence, il s’émerveille devant les tableaux de Paolo Ucello. Découvrant qu’il n’existe aucun ouvrage sur ce peintre, Soupault lui consacre une étude de 46 pages, publiée en 1928, et dont voici un bref extrait :
Lorsque l’on étudie la plus importante des œuvres de Paolo Ucello, cette Bataille de San Romano, grand triptyque dont un panneau est à Paris, un autre à Londres et le troisième à Florence, on est tout d’abord frappé par le souci de composition qui dominait le peintre. Le sujet, un combat de cavalerie et de fantassins, prêtait à la confusion, au désordre « effet de l’art ». Paolo Ucello évite cette tentation et se joue de cette difficulté : je ne connais rien de plus composé que ces immenses panneaux. Les lances des cavaliers forment de grandes lignes blanches qui donnent à l’ensemble une armature et forcent l’équilibre. Les chevaux massés dans les coins inférieurs forment un groupe compact de volumes sphériques d’où jaillissent les lances. Au fond, une colline couverte de prairies, dont les ondulations rappellent celles des groupes de cavaliers (…). Quant aux dons de coloriste d’Ucello, ils sont également frappants. Mais jamais le peintre ne se laisse dominer par ces merveilleux tons rouges qu’il aimait. Il les utilise pour l’équilibre de son œuvre. Il faudrait longuement décrire la puissance des rapports des rouges et des ors, les étonnantes profondeurs des noirs, les roses et les gris…
Ibid. p. 22-23, extraits
Dans son livre « Écrits sur la peinture », Philippe Soupault parle avec ferveur du peintre Robert Delaunay, dont il fut l’ami intime. Delaunay fut d’ailleurs le seul peintre qui ait réussi l’exploit de faire son portrait. Le poète trouvait les séances de pose trop ennuyeuses, demandant souvent si c’était bientôt fini. « Quand ce grand tableau (plus qu’un portrait) fut achevé, Delaunay me demanda si je me trouvais « ressemblant », je lui réponds (c’était le ton de nos conversations) que je ne me reconnaissais pas. Alors Delaunay, pour plus de sûreté, écrivit à la partie inférieure de son tableau : le poète Philippe Soupault » (Les Nouvelles littéraires, 3 juin 1976). Jugement subjectif du modèle, puisque le poète y est parfaitement ressemblant.
À partir de 1910, Delaunay, enthousiasmé par la beauté plastique de la Tour Eiffel, se mit à la peindre assez souvent, tandis que le public la trouvait affreuse et réclamait sa destruction. Delaunay fut longtemps célébré comme « le peintre de la Tour Eiffel ». La Tour est d’ailleurs présente sur le tableau représentant son ami Soupault.
Son regard de peintre fut également attiré par une autre construction de l’époque, la fameuse Grande Roue, qui eut moins de chance que la Tour Eiffel, puisque ses détracteurs obtinrent finalement sa disparition. Seuls nous en restent aujourd’hui le tableau de Robert Delaunay et le poème de Philippe Soupault (1922).
La Roue des Roues
Il y a aujourd’hui
et il y
a demain
il y a même après-demain
la grande roue
beau
monocle qu’un soir Robert
Delaunay donna à la Ville
de
Paris
attend
les quatre saisons
les quatre vents
les
quatre jeudis
les voyous passant en dansant
près de cette
grande baleine
qui s’agite comme un grand paon
près d’elle
il n’y a pas que des animaux
il y a des femmes qui dorment
il
y a aussi
Philippe Soupault
Dans ce Paris des années folles, nos deux artistes ont posé leur regard sur la ville, fascinés par la Tour Eiffel, la grande roue, les promenades infinies avec leurs rencontres insolites et le regard des Parisiennes. Un Paris magique et familier, une ville captivante et troublante, la ville enchantée du désenchantement, dont Philippe Soupault ne tardera pas à vouloir s’éloigner.
Bibliographie
-
Écrits sur la peinture, © Éditions Lachenal & Ritter, 1980
Sur l’auteur
-
Portrait(s) de Philippe Soupault, sous la direction de Mauricette Berne et de Jacqueline Chénieux-Gendron, © Bibliothèque nationale de France, 1997
Sur internet
-
Philippe Soupault, qui suis-je ?, sur la Pierre et le Sel (16/09/2011)
-
Philippe Soupault, un révolté désinvolte, sur la Pierre et le Sel (22/02/2012)
Contribution de Jacques Décréau
Commentaires