Les
orties, la fumée,
Les épines fleuries,
La cendre,
l’herbe
dans tant d’absence éparse,
une dépouille
humaine,
une rencontre nue,
un écho de plaisir,
une fleur
animale,
deux yeux perdus,
un été familier,
une mesure
d’ombre,
un soleil limité.
Boire très calme
la foudre
inattendue ;
la tige découverte après l’étang de
pierre,
et revenir encore à l’incendie parfait,
rêveur sous
la paille,
et vénérer la paille où l’incendie se fait,
tenter
contre la mort ce simple appareillage
Où ne pendent aux mâts que
des voiles de flammes
Quelqu’un au bord du vertige
une
doublure agile,
un miroir de blessures.
In « C’était hier et c’est demain – Anthologie » © Seghers, 2004 Page 27
Alain
Borne naît le 12 janvier 1915 à Saint-Pont, près de Vichy, dans
l’Allier. Plus tard la famille s’installe à Montélimar. Dès
l’adolescence il est grand lecteur de poésie, en écrit. Il
embrasse la carrière d’avocat, mais le poète reste toujours
vivant, dissimulé, (voire emprisonné), sous la tenue digne et
sévère de l’homme de loi. À
l’âge de 24 ans, en 1939, il publie son premier recueil,
Cicatrices de songes
qui obtient le prix Saint-Pol Roux. Cette même année il est
mobilisé. En 1940, il fonde avec Pierre Seghers « Poésie
40 », le mouvement poétique de la résistance. Il adhère
également au Comité National des Écrivains
en 1946.
Je connaissais l’amour
Je
connaissais l’amour
je connaissais le sang
et tout le masque
blême de la chair sur sa force.
J’avais goûté des
lèvres
étranges fruits rassasiés.
Mes mains avaient vêtu
mille corps dévêtus
d’inusables caresses.
Je n’avais
rien appris que l’ombre des cheveux
et la part la plus douce
où
la chaleur s’obstine
et le grand cri funèbre du bonheur
séparé
deux chairs dans la même joie
comme deux cœurs dans
la même poitrine.
Je connaissais l’attente
le glaïeul
éclatant du désir
et sa racine noire
et sa noire fenaison
la
statue qui vous brûle
puis tombe de l’odeur comme d’un
piédestal
et n’est plus qu’un peu d’os
dans son linge de
peau chaude.
Je connaissais l’amour
son sommeil et sa
veille
son miel de verjus et sa glace brûlante.
Je
connaissais l’amour
le geste noir des ombres sur l’écran
blanc du drap
le nœud bref et fervent au profond de la
lutte.
Mais je reprends ce mot des lèvres et de la plume
Lislei
si entre nous c’est aussi de l’amour
car qu’importe
le sang et ses bras invisibles
et sa faim de dents longues.
Je
ne connaissais rien me voici dans l’amour
où le désir est mort
où la vie est vivante.
In C’était hier et c’est demain – Anthologie © Seghers 2004 – Pages 28/29
Pierre
Seghers, son ami, considérait Alain Borne, aussi important que Paul
Éluard.
Aragon, en 1941 lui dédie un poème enthousiaste pour la publication
du recueil Neige.
Il reçoit également les hommages de René Char qui dira de lui :
« la mort l’avait
amarré à elle solidement et ses lendemains étaient pris par elle »
Intolérable jour
Intolérable
jour.
Changer le sang contre de l’eau.
Les moissons
crient le long des routes
où la poussière taille ses aveuglants
manteaux,
chair répandue,
pavot vifs des chars.
Le
soleil envolé
tire l’eau de nos puits
et les ruisseaux se
taisent sous les joncs fascinés.
Le désir est déjà dans la
proie convoitée
que la sueur habille
et le sang plus
épais
souffle dans les cœurs noirs
son espoir d’étincelle.
In «Poésie contemporaine de langue française » (Terre de l’été) © France Loisirs 1992 – P.181.
****
Le
grand champ de l’amour et de la haine, il y a beau temps qu’il a
fauché et mis en foin puis en feu et en cendres toutes les
marguerites de la terre.
Le sang est debout. Il attend et il
cherche. Je parle du sang de l’homme.
Il n’y a pas autre
chose.
Les bêtes qui rôdent sont comme transparentes de peu
d’importance.
Je parle de l’homme.
La plante n’est que
décor et paysage.
Le minéral c’est comme s’il n’était
point malgré son grand air d’éternité.
Je parle de l’homme
passager, je parle de ce rien, l’étant aussi.
Ibid « Le plus doux poignard » - P.184.
Ce
grand bourgeois, membre du Rotary club, sera toujours avocat de la
défense et non de l’accusation. Il défendra les prévenus FLN
toujours en contradiction avec la sévère stature du bourgeois
conservateur. Il dira :
« Pour moi la poésie seule est la vie, tout le reste est
subsistance ».
Il ne se délivre que dans la poésie, cris de douleur et de révolte
que ne pouvait entendre la bonne société de Montélimar.
Ce
n’est pas drôle de se dire que tout est fini de ce qui valait la
peine de vivre.
Ce n’est pas drôle de compter les tuiles des
toits et les gouttes de la pluie et les années de la femme qui dort
dans son lit.
Ce n’est pas drôle, appuyant son regard au
regard de la glace – tout ce qui est autour du regard a tant
vieilli – de se raconter sa vie en se mentant avec la vérité.
Si
peu, si peu de beauté même jadis et naguère : la passé ne
flambe pas non plus.
Pas drôle d’être ici maintenant avec
l’âge qui se visse aux tempes comme un vampire qui a trouvé la
bonne artère.
Pas drôle non plus de se dire que cela passera,
qu’il y de jolis caisses odorantes de bois bien choisi qui nous
attendent et que nous glisserons dans ces traîneaux vers la neige de
vermine.
Pas drôle.
Mais qu’elle est belle l’épaule de
cette enfant et qu’il est doux ce regard qui parmi mon âge tri
vingt années.
Ibid «Le plus doux poignard » - Page 183
****
Pourquoi
encore un pas, encore un baiser, encore un jour ?
Pourquoi
passer encore un chiffon de ferveur pour que luise le cuivre du
soleil une fois de plus ?
Pourquoi tenter de le nettoyer de
l’ennui ?
Pourquoi se redresser comme la colonne vertébrale
d’un homme accablé qui a de l’orgueil à être la colonne
vertébrale d’un homme ?
Le chardon est promis au feu et
semblable est le destin de l’homme.
Que le glas de l’homme
laisse en repos les clochers.
Qu’il soit sonné par les fleurs
des champs avec le battant de la rosée.
Puis qu’on fasse un
foin serré de cette fausse tristesse et qu’on la brûle.
Et
qu’on casse la coquille de Dieu dans un casse-noix d’éclairs.
Et
qu’avec l’huile on sacre un autre Adam.
Ibid « Le plus doux poignard » - Page 182.
****
De
nouveau, non. De nouveau ajuster le sang de la tunique, non.
Je me
suis crevé les yeux et j’ai garni mes orbites d’une cendre
encore enragée de braises : une meule double a passé sur mon
sexe ; j’ai chassé mon sang comme un renard étranger ;
parmi les fusains noirs puis parmi les ronces j’ai trouvé une
coupe d’or où j’ai bu la sagesse du froid. J’ai rangé mes
membres pour la tombe. J’attends.
De nouveau, non. J’ai brûlé
mes oreilles avec du plomb chaud.
Je n’ai plus de vivant que ma
voix. Ne m’appelez pas. Je veux être sourd. Je ne sais plus d’où
vous me parlez.
Que me parlez-vous de vivre alors que je puis vous
donner des nouvelles de la mort ?
Ibid « Le plus doux poignard » - Page 184.
Alain Borne, longtemps méconnu, presque oublié, doit son enlisement à la distance qu’il a toujours entretenue envers les éditeurs parisiens diffuseurs de la notoriété. Écoutons-le parler de la vie :
« C’est le passage du noir au noir à travers la lumière que je chante. Ecoutez mon histoire elle va de la mort à la mort, mais j’ai vécu et surtout je sais que tout est néant, mais j’aime le néant et je le chante » et encore :
« Je fais taire mes jours, j’écoute la montagne…Je voudrais que ce chemin soit moins seul d’être redit. Je voudrais y retrouver ma trace et que la même neige conserve les mêmes marques »
Cette mort souvent courtisée, il va la rencontrer dans un accident de voiture, non loin d’Avignon le 21.12.1962. Dernier clin d’œil de la vie au poète, les cloches de Noël sonneront pour son enterrement.
La moitié de son œuvre sera posthume et sa diffusion se heurtera à l’opposition de sa famille.
Bibliographie
-
Cicatrices de songes © Feuillets de l’îlot, 1939
-
Neige et 20 poèmes © Seghers, 1941
-
Contre-feu © Cahiers de Rhône, 1942
-
Seuils © École de Rochefort, 1943
-
Brefs © Confluences, 1945
-
Regardez mes mains vides © PAB, 1945
-
Poèmes à Lislei © Seghers, 1946
-
Terre de l’été © Laffont, 1946
-
L’eau fine © Gallimard, 1947
-
O P. 10 © PAB, 1951
-
En une seule injure © Rougerie, 1953 (Prix A. Artaud)
-
Orties © Henneuse, 1953
-
Demain la nuit sera parfaite © Rougerie, 1954
-
Treize © PAB, 1955
-
Adresses au vent © G.A. Brunelli, Capitoli (traduction italienne), 1957
-
Encore © Rougerie, 1959
-
Encres © Club du poème, 1961
Plus de vingt œuvres posthumes seront publiées entre 1962 et 2006 dont les plus mémorables :
- La nuit me parle de toi © Rougerie, 1964 - Réédition © trident neuf, 2006
-
Les fêtes sont fanées © Club du poème,1965
-
Vive la mort © Chambelland, 1969
-
Le plus doux poignard © Chambelland, 1971 - Réédition © L'Arachnoïde, 2012
À ces œuvres posthumes s’ajoutent cinq rééditions.
Internet
Contribution de Hélène Millien
manque également à cette bibliographie la réédition de " le plus doux poignard " paru chez - l'arachnoïde - en 2012 et dont le trident neuf éd. a effectué le tirage de tête avec une aquarelle originale de jean-paul héraud. merci de bien vouloir le rajouter à votre bel article / bien cordialement / marie bauthias trident neuf éditeur
Rédigé par : marie bauthias pour trident neuf éditeur | 22 janvier 2018 à 09:51
bonjour hélène millien je m'étonne de ne pas voir mentionné dans cet article la réédition de " la nuit me parle de toi " a borne paru au trident neuf éditeur en 2006 ( épuisé chez rougerie depuis bien longtemps ) il y a sur ce site un article mentionnant cette belle publication . je vous serai très reconnaissante de bien vouloir le rajouter à votre bibliographie. merci à vous. marie bauthias ( trident neuf éditeur et aussi illustratrice de l'ouvrage )
Rédigé par : marie bauthias pour trident neuf éditeur | 22 janvier 2018 à 09:46