Eugène Émile Paul Grindel, plus connu sous son nom de plume Paul Éluard est né en 1895 à Saint-Denis dans une famille modeste.
Il obtient le brevet en 1912 et atteint de tuberculose, il ne peut poursuivre ses études et doit faire un séjour de longue durée dans un sanatorium suisse. Il y fait la rencontre et tombe amoureux d’une jeune russe qu’il surnommera Gala. C’est une jeune fille très érudite qui lui ouvre des horizons en matière littéraires et lui sert de muse poétique.
En 1913, il publie à compte d’auteur, grâce à sa mère, sous le nom de Grindel et à quelques centaines d’exemplaires, un premier recueil de poèmes intitulé Premiers poèmes, qui laisse transparaître çà et là les prémices de son futur talent et dont voici un extrait :
Le fou parle
C'est
ma mère, monsieur, avec ma fiancée.
Elles passent là-bas, l'une
à l'autre pressée.
La jeune m'a giflé, la vieille m'a
fessé.
Je vous jure pourtant que je les aimais bien;
Mais,
constamment, j'avais le besoin bénin
D'exiger trop d'amour : ses
larmes et son sein.
Je vous jure, monsieur, qu'elles m'ont
bien aimé.
Ça n'est certes pas leur faute à toutes deux
Si
sans cesse je voulais être plus heureux.
C'est ma mère,
monsieur, avec ma fiancée.
Pour moi, elles ne sont qu'un même
être et leurs charmes
Sont égaux ayant fait verser les mêmes
larmes :
Ma mère a pleuré sur moi, qui sanglotais
Pour
l'autre, refusant d'être à moi tout à fait;
Je ne sais pas
lequel de nous trois fut blessé...
C'est ma mère, monsieur, avec
ma fiancée.
In Œuvres complètes © Pléiade/Gallimard 1984 p 3
Il commence,
par ailleurs, en 1914, à placer des textes dans des revues de
poésie.
En 1914, il est mobilisé et affecté à une section d’infirmiers militaires. Il épouse Gala en 1917, et en 1918, la famille s’agrandit, avec la naissance de leur fille Cécile.
Au cours des années suivantes, Éluard va prendre une part assidue, avec son ami André Breton, aux manifestations Dada puis à celles du surréalisme.
En 1924, et sans doute, dans le sillage de Rimbaud, il décide de tout quitter : littérature, et famille, et de s’embarquer pour un voyage au long cours de plusieurs mois autour du monde. Sa décision initiale de disparaître fera finalement long feu. Il reprendra contact avec famille et amis, dans un état d’esprit plus calme. Et chose étrange dans le cercle si autoritairement régenté par Breton, son absence de plusieurs mois ne fit pas scandale et son retour eut lieu sans commentaire et dans la discrétion.
C’est au cours de ce périple que paraît le recueil Mourir de ne pas mourir :
L’amoureuse
Elle
est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les
miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes
yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le
ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas
dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les
soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien
à dire.
In Œuvres complètes © Pléiade/Gallimard 1984, Mourir de ne pas mourir p.140
****
Le sourd et l’aveugle
Gagnerons-nous
la mer avec des cloches
Dans nos poches, avec le bruit de la
mer
Dans la mer, ou bien serons-nous les porteurs
D'une eau
plus pure et silencieuse ?
L'eau se frottant les mains aiguise
des couteaux
Les guerriers ont trouvé leurs armes dans les flots
Et le bruit de leurs coups est semblable à celui
Des rochers
défonçant dans la nuit les bateaux.
C’est la tempête et
le tonnerre. Pourquoi pas le silence
Du déluge, car nous avons en
nous tout l’espace rêvé
Pour le plus grand silence et nous
respirerons
Comme le vent des mers terribles, comme le vent
Qui
rampe lentement sur tous les horizons.
Ibid p. 140
En 1926, publication de Capitale de la douleur, à propos de laquelle Breton écrit : « … plus encore que le choix que Paul Éluard impose à tous et qui est celui, merveilleux, des mots qu’il assemble, dans l’ordre où il les assemble —choix qui s’exerce d’ailleurs à travers , et non, à proprement parler, qu’il exerce — je m’en voudrais, moi, son ami, de ne pas louer seulement et sans mesure en lui les vastes, les singuliers, les brusques, les profonds, les splendides, les déchirants mouvements du cœur. » in Prière d’insérer pour Capitale de la douleur
Pablo Picasso
Les
armes du sommeil ont creusé dans la nuit
Les sillons merveilleux
qui séparent nos têtes.
À travers le diamant, toute médaille
est fausse,
Sous le ciel éclatant, la terre est invisible.
Le
visage du cœur a perdu ses couleurs
Et le soleil nous cherche et
la neige est aveugle.
Si nous l'abandonnons, l'horizon a des
ailes
Et nos regards au loin dissipent les erreurs.
In Œuvres complètes © Pléiade/Gallimard 1984 Capitale de la douleur p 178
****
Sous la menace rouge d'une épée, défaisant sa chevelure qui guide des baisers, qui montre à quel endroit le baiser se repose, elle rit. L'ennui, sur son épaule, s’est endormi. L'ennui ne s'ennuie qu'avec elle qui rit, la téméraire, et d'un rire insensé, d'un rire de fin du jour semant sous tous les ponts des soleils rouges, des lunes bleues, fleurs fanées d'un bouquet désenchanté. Elle est comme une grande voiture de blé et ses mains germent et nous tirent la langue. Les routes qu'elle traîne derrière elle sont ses animaux domestiques et ses pas majestueux leur ferment les yeux.
Ibid p 179
En 1930, publication par Breton et Éluard d’un ouvrage intitulé L’Immaculée Conception qui se propose de montrer, en utilisant des simulations, que les états de veille entre la démence et la vie dite normale sont parfois poreux et difficiles à analyser.
Breton a précisé, à ce sujet : « …L’intérêt principal de l’expérience tenait au fait qu’interrogés nous eussions sans doute pu fournir, partant des textes ainsi obtenus, des éclaircissements originaux sur le mécanisme de certaines altérations graphiques qu’on y relève et dont la psychiatrie, toujours hypnotisée par le contenu manifeste des élucubrations de malades, n’a guère entrepris jusqu’à ce jour que le classement » In Paul Éluard Œuvres complètes Préface de Lucien Scheler © Pléiade/Gallimard 1968 p xxxix
Essai de simulation de la débilité mentale
De tous les hommes, à vingt-quatre ans, j'ai reconnu que pour s'élever au rang d'homme considéré, il ne fallait pas avoir plus que moi la conscience de sa valeur. J'ai soutenu il y a longtemps que la vertu n'est pas estimée, mais que mon père avait raison quand il voulait que je m’élève très haut au-dessus de ses confrères. Je ne comprends absolument pas qu'on remette la croix de la Légion d'honneur à des personnalités étrangères de passage en France. Je trouve que cette décoration devrait être réservée aux officiers qui ont fait acte de bravoure et aux ingénieurs des mines sortant de Polytechnique. [Il faut en effet que le grand maître de l'Ordre de la Chevalerie n'ait pas de bon sens pour reconnaître du mérite là où il n'y en a pas. De toutes les distinctions, officier est la plus flatteuse. Mais on ne peut pas se passer du diplôme. Mon père a donné à ses cinq enfants garçons et filles la meilleure instruction et une bonne éducation. Ce n'est pas pour accepter un emploi sans rétribution dans une administration qui ne paye pas. En voici la preuve : quand on est capable comme mon frère aîné, qui a concouru plusieurs fois dans les journaux, de décrocher la timbale contre des bacheliers es lettres es sciences, on peut dire qu'on a de qui tenir. Mais à chaque jour suffit sa peine, dit le proverbe. J'ai dans la poche intérieure de mon veston d'été le plan d'un sous-marin que je veux offrir à la Défense nationale. La cabine du commandant est dessinée en rouge et les canons lance-torpilles sont du dernier modèle hydraulique, à commande artésienne. Les as de la route ne montrent pas une énergie plus grande que moi. Je ne suis pas gêné pour assurer que cette invention doit réussir. (…)
Ibid L’immaculée conception, p 317
En 1928, le couple Paul/Gala se désagrège. Gala rencontre Dali, et Éluard se console dans les bras d’une artiste de music-hall, Nusch, avec qui il se marie en 1934.
Ils poursuivent ensemble leur combat pour la liberté en France et à l’étranger, mais un soir de novembre 1946, Éluard qui séjourne pour raisons de santé depuis une semaine en Suisse apprend par un coup de fil le décès brutal de Nusch.
Le poète, terrassé par la souffrance, et le désespoir, écrit alors :
Vingt-huit
novembre mil neuf cent quarante-six
Nous ne vieillirons pas
ensemble.
Voici le jour
En trop : le temps déborde.
Mon
amour si léger prend le poids d'un supplice.
Aidé par ses amis qui lui apportent un soutien efficace il reprend peu à peu goût à la vie et à la lutte et entre 1948 et 1952, il participe à de nombreuses conférences et congrès pour la paix.
En 1951, il épouse Dominique Lemor, à son retour du Congrès mondial de la paix à Mexico
Le 18 novembre 1952, il est victime d’une crise cardiaque, il meurt à son domicile à Charenton.
Liberté
Sur
mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le
sable sur la neige J
J'écris ton nom
Sur toutes les pages
lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou
cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes
des guerriers ,
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur
la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho
de mon enfance
J'écris ton nom
Sur les merveilles des
nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons
fiancées
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur
l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
(…)
In Éluard, œuvres complètes © Pléiade/Gallimard 1984 p 1105
Le poème de guerre ci-dessus a fait l’objet de plusieurs réimpressions, dont la première en 1944 pour la libération de Cahors.
Le miroir d’un moment
II
dissipe le jour,
II montre aux hommes les images déliées de
l'apparence,
II enlève aux hommes la possibilité de se
distraire,
II est dur comme la pierre,
La pierre informe,
La
pierre du mouvement et de la vue,
Et son éclat est tel que toutes
les armures, tous les masques en sont faussés.
Ce que la main a
pris dédaigne même de prendre la forme de la main,
Ce qui a été
compris n'existe plus,
L'oiseau s'est confondu avec le vent,
Le
ciel avec sa vérité,
L'homme avec sa réalité.
In La poésie surréaliste Capitale de la douleur © Seghers 1970 p 166
****
L’aventure est pendue au cou de son rival…
L'aventure
est pendue au cou de son rival
L'amour dont le regard se retrouve
ou s'égare
Sur les places des yeux désertes ou peuplées.
Toutes
les aventures de la face humaine,
Cris sans échos, signes de
mort, temps hors mémoire,
Tant de beaux visages, si beaux
Que
les larmes les cachent
Tant d'yeux aussi sûrs de leur nuit
Que
des amants mourant ensemble,
Tant de baisers sous roche et tant
d'eau sans nuages,
Apparitions surgies d'absences éternelles,
Tout
était digne d'être aimé,
Les trésors sont des murs et leur
ombre est aveugle
Et l'amour est au monde pour l'oubli du monde.
In La poésie surréaliste Défense de Savoir © Seghers 1970 p 166
****
Je te l’ai dit pour les nuages
Je
te l'ai dit pour les nuages
Je te l'ai dit pour l'arbre de la
mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour
les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l’œil
qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa
couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour
la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l'ai dit pour
tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se
survivent.
In La poésie surréaliste L’amour de la poésie © Seghers 1970 p 167
****
Sonnant les cloches du hasard
Sonnant
les cloches du hasard à toute volée
Ils jouèrent à jeter les
cartes par la fenêtre
Les désirs du gagnant prirent corps
d'horizon
Dans le sillage des délivrances.
Il brûla les
racines les sommets disparurent
II brisa les barrières du soleil
des étangs
Dans les plaines nocturnes le feu chercha l'aurore
II
commença tous les voyages par la fin
Et sur toutes les routes
Et
la terre devint à se perdre nouvelle.
In La poésie surréaliste, L’amour de la poésie © Seghers 1970 p 167
****
L’univers-solitude
Une
prison découronnée
En plein ciel
Une fenêtre enflammée
Où
la foudre montre ses seins
Une nuit toute verte
Nul ne sourit
dans cette solitude
Ici le feu dort tout debout
À travers
moi.
Mais ce sinistre est inutile
Je sais sourire
Tête
absurde
Dont la mort ne veut pas dessécher les désirs
Tête
absolument libre
Qui gardera toujours et son regard et son
sourire.
Si je vis aujourd'hui
Si je ne suis pas seul
Si
quelqu'un vient à la fenêtre
Et si je suis cette fenêtre
Si
quelqu'un vient
Ces yeux nouveaux ne me voient pas
Ne savent
pas ce que je pense
Refusent d'être mes complices
Et pour
aimer séparent.
In La poésie surréaliste, A toute épreuve © Seghers 1970 p 169
Paul Éluard, outre son étroite collaboration avec les surréalistes, et malgré une santé fragile, a été certainement, avec Aragon, parmi les poètes rassemblés sous la bannière surréaliste, le poète le plus fécond et probablement le plus talentueux de sa génération, inspiré, sa vie durant, par l’amour et le désir.
Bibliographie
Œuvres
surréalistes et pré-surréalistes :
-
Le Devoir et l'Inquiétude, AJ. Gonon, Paris, 1917
-
Poèmes pour la paix, hors commerce, Paris, 1918
-
Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux, Au Sans Pareil, Paris, 1920
-
Nécessités de la vie et les conséquences des rêves, Au Sans Pareil, Paris,1921
-
Répétitions, Au Sans pareil, Paris, 1922
-
Mourir de ne pas mourir, NJtJF., Paris, 1924
-
Au défaut du silence, hors commerce, Paris, 1926
-
Capitale de la Douleur, N.RJ., Paris, 1926
-
Les dessous d'une vie ou la pyramide humaine, Les Cahiers du Sud, Marseille, 1926
-
Défense de savoir, Éditions surréalistes ,Paris 1928
-
L'Amour, la Poésie, N.R.F., Paris, 1929
-
A toute épreuve, Éditions surréalistes, Paris, 1930
-
La vie immédiate, Les Cahiers libres, Paris, 1932
-
Comme deux gouttes d'eau, Éditions surréalistes, Paris, 1933
-
La Rosé publique, N.RJ, Paris, 1934
-
Nuits partagées, G.LM., Paris, 1935
-
Facile, G.L.M., Paris, 1935
-
La Barre d'appui, Cahiers d'Art, Paris, 1936
-
Les Yeux fertiles, G.LM., Paris, 1936
-
L'évidence poétique, G.L.M., Paris, 1937
-
Appliquée, hors commerce, Paris, 1937
-
Les Mains libres, Jeanne Bûcher, Paris, 1937
-
Quelques-uns des mots qui jusqu'ici m'étaient mystérieusement interdits, G.LM., Paris, 1938, Cours naturel, NJI.F., Paris,1938
-
En collaboration avec Max Ernst : Les Malheurs des Immortels, Librairie Six, Paris, 1922
-
En collaboration avec Benjamin Péret : 152 Proverbes mis au goût du jour, Éditions surréalistes Paris, 1925
-
En collaboration avec André Breton : L'Immaculée Conception, Éditions surréalistes, Paris, 1930
-
Dictionnaire abrégé du surréalisme, Paris, 1938
-
En collaboration avec André Breton et René Char : Ralentir travaux, Éditions surréalistes, Paris, 1930
Internet
-
Un article Wikipedia sur le poète.
-
Sur le site de l'INA, vidéo, portrait par des amis et contemporains du poète
-
Paul Éluard sur La Pierre et le Sel
-
Peinture et poésie | « Des alliés substantiels » | Paul Éluard
Contribution de Jean Gédéon
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