La remarquable rétrospective de Georges Braque (1882-1963), qui se tient actuellement à Paris, au Grand Palais, nous propose 250 de ses œuvres, allant de la période fauve, 1905-19007, en passant par le cubisme et les papiers collés jusqu'aux grands oiseaux de sa fin de vie.
Il se dégage, de ce qui fut la quête de toute une vie, un profond sentiment d'intégrité et d'inventivité renouvelée.
Féru de musique et de poésie, Braque fut un grand ami de Pierre Reverdy et d'Apollinaire avant de devenir celui de Picasso.
Entre 1962 et 1963 paraîtront, illustrés par lui, Si je mourais là-bas d'Apollinaire, L'ordre des oiseaux de Saint-John Perse et Lettera amorosa de René Char.
Stanislas Fumet, essayiste, poète, éditeur et critique d'art de sa génération écrivait dans le petit livre illustré, consacré à Braque, par les éditions Braun & Cie, dans la Collection des Maîtres : « La poétique commence où la la peinture produit l'objet. Mais si le style, c'est l'homme, Braque a son style, d'un haut lyrisme, qui rend étroite la nature, froide la géométrie. Il porte en lui de la grandeur, qui s'exprime par ces verticales sur lesquelles s'articulent ces vastes compositions. Il porte en lui de l'humilité, qui apparaît dans sa honte des effets, toujours à répudier pour lui comme des mensonges. »
Le tableau choisi en est un exemple. Il date de 1951 et provient d'une collection privée. Il s'impose par sa taille, – 162 x 73 centimètres –, et l'attitude altière et mystérieuse du personnage figurant La nuit.
C'est également de l'intime dont parle le poème de Rainer Maria Rilke (1875-1926) dans les extraits ci-joints, tirés du Livre de la Vie Monastique, dans une traduction de Jacques Legrand.
J’aime
les heures sombres de mon être
où s’approfondissent mes
sens;
j’ai trouvé en elles, comme en de vieilles lettres,
mon
quotidien déjà vécu,
vaste
et surmonté, comme une légende.
Elles
m’apprennent que je possède
l’espace
suffisant pour une vie seconde
et large et hors du temps.
Et
parfois je suis comme l’arbre
qui, mûr et bruissant, accomplit
sur la tombe
le
rêve que l’enfant d’autrefois
(que ses chaudes racines
enserrent)
perdit dans les tristesses et les chants.
****
Qu’un
jour, un seul, se fasse le silence.
Que le fortuit et
l’imprécis
se taisent, et les rires d’autrui,
que le
bruissement de mes sens
ne m’empêche plus de vieillir...
Je
pourrais alors en pensée multiforme
te penser jusques à tes
bords,
te posséder (serait-ce le temps d’un sourire),
à
toute existence t’offrir
comme un remerciement.
****
Ma
vie n’est pas cette heure abrupte
vers quoi tu me vois me
hâter.
Je suis arbre devant mon décor,
ne suis que l’une de
mes bouches,
celle qui se clôt la première.
Je suis la
pause entre deux notes
qui s’harmonisent mal :
la note de la
mort veut monter à l’aigu.
Mais dans la nuit de
l’intervalle
toutes deux frémissantes
s’accordent.
Et
le chant reste beau.
Rainer Maria Rilke in Œuvres 2 Poésie, © Seuil, 1972, pp.91-94
Internet
-
L'exposition Braque sur le site de la RMN
Contribution de Roselyne Fritel
Commentaires