Une nuit je trouvai une étoile
couchée en chien de fusil
sur le côté du sentier
petite planète
froide que je réchauffai dans
mes mains
ce n’est pas un conte
ce que je vous rapporte
est authentique
ni montagnes ni rivières ni ciel
ni le chant disert d’un frisson tout
l’avait désertée
pas un homme debout comme
un poème rien
que la forêt noyée
pourquoi cette forêt
pourquoi ces arbres ne sont-ils
plus que des écorces flottantes
en bois mort
sur le silence ?
In Je compte les écorces de mes mots, © Rougerie, 2013, p.19
Il est des textes dont l'impact est immédiat. Que ce soit avec brutalité ou par une persuasion douce, une empathie évidente, ils vous saisissent et ne vous lâchent plus tant ils ont une résonance évidente, tant ils disent des choses graves qui vont à l'essentiel. Un essentiel personnel, mais qui, le plus souvent, touche au collectif.
De tous les recueils que j'ai lus en 2013, Je compte les écorces de mes mots de Sylvie E. Saliceti est sans conteste, un des plus remarquables et je voudrais ici, ajouter mon propos, aux échos favorables qu'il a déjà rencontrés.
Oraison pour une oraison
l’enfant dans le ventre de sa mère a
une bougie au-dessus de sa tête Il
sait tout
oubliant ce tout à sa naissance
il doit passer
le reste de sa vie à se souvenir
même Loin
loin même après le bleu dans l’Afrique tribale
la main des plaines et des troupeaux sauvages
trace bien une tombe - n’est-ce pas ?
pour la panthère sous le palissandre ?
n’y a-t-il que les moulins à cendre
trop fâchés par le feu
pour interdire la sépulture
un bâton qui grave une date à l’opinel ?
une coque de noix?
le souffle du vent ?
Isaïe a dit qu’il leur donnerait
dans sa maison et dans ses murs
un mémorial - Yad -
et un nom - Shem -
qui ne seront pas effacés
Ibid p.36
Sylvie-E. Saliceti a écrit Je compte l'écorce de mes mots pour rendre la parole aux morts. Elle a visité des camps de concentration et s'est particulièrement arrêté en Ukraine dans un lieu, La Sablière de Lissinitchi, où les allemands exécutèrent 200 000 personnes avant de planter là des arbres et que le silence retombe sur ces morts. À l'heure où certains réveillent, avec fracas grâce au tam-tam des réseaux sociaux, un antisémitisme qu'il ne faut décidément pas cesser de combattre, Sylvie E. Saliceti participe d'une mémoire plus que jamais nécessaire. Dans une postface éclairante, Bruno Doucey écrit :
La force du recueil de Sylvie-E. Saliceti est de faire entendre le chant des disparus. Leurs voix viennent sourdre dans le poème comme les molécules des êtres détruits instillent les forces vives de la nature: fleurs des champs, sève des arbres, pépiement d’oiseaux, coassement de grenouilles, bruissement des eaux, respiration de l’humus, métabolisation des terres. Dans un livre dont le titre fait écho à celui de Sylvie-E. Saliceti, Écorces, l’historien Georges Didi-Huberman signale qu’à Birkenau « le lessivage des pluies a fait remonter d’innombrables esquilles et fragments d’os à la surface des sols » et qu’il n’est, curieusement, pas venu à l’idée des nazis de détruire ces sols. Aussi y a-t-il dans cette résurgence des preuves quelque chose de comparable à ce que nous portons tous en nous: le souffle de l’aïeul dans la voix de l’enfant, cette part d’humanité venue de plus loin que nous-mêmes, cette rémanence de la pensée.
Ibid p.63
Deux silences pour un siècle
Sur le chemin pour
l’aurore et le siècle on
croise ces jolis noms : Birkenau Lissinitchi
la Kolyma - est-ce le nom
d’une berceuse ? Le lieu-dit
de la rivière ?
tout plutôt que le silence alors
Chalamov plante la croix de Mandelstam Il empoigne
le cercueil Le porte à
son épaule et
pose le bard de bois de part en part des
colonnes
de
livres
Ibid p.50
C'est avec un lyrisme mesuré, ainsi que l'écrit Sabine Huynh dans l'article qu'elle consacre au recueil dans Terre de femmes, que Sylvie E. Saliceti met à jour cette mémoire des disparus. 200 000 enterrés sous une forêt de chênes qui se dressent comme autant de signes de rappels de ce que fut le massacre organisé des juifs, des opposants, l'extermination programmée de la différence.
Alternant des textes qui se veulent stèles, tombeau, thrènes et de courte saisie proche de la forme du haïku :
Les clochettes de la fleur
ne tintent plus -
la forêt écoute les morts
Ibid, p.26
le recueil de Sylvie E. Saliceti vient s'ajouter aux paroles nécessaires quand s'estompe dans la mémoire collective, ce que fut l'insoutenable d'une époque moins révolue qu'on ne croit, quand se dilue, dans un temps médiatique explosé, les consciences indispensables.
Ce recueil fait référence à la voix d'autres poètes, Paul Celan le premier, mais également Rose Aüslander, Desnos, Primo Levi. Et si Sylvie E. Saliceti s'interroge elle-même en conclusion de son avant-propos : Existeront-ils jamais les mots justes, les mots pour la lumière des morts ?, on ne peut que souscrire à la force de sa voix, à une gravité qu'on voudrait dérangeante, à l'implacable singularité de l'écriture poétique, qu'elle rappelle.
Internet
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Un article de Sabine Huynh sur Terres de femmes
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et un autre de Pascale Trück dans Recours au poème
Contribution de PPierre Kobel
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