Tu sens le bord invisible
ses yeux de rat
des rumeurs
dans le portrait de ton père
vertiges !
avance
sur les trappes de ta chambre
jusqu’aux fenêtres
ici l’abîme est plat
la vue
aérienne s’y repose
sur des ailes de pigeon
que ton œil se promène
dans le vert des platanes
le ciel
est un grand trou là-haut
il suffit d’un regard et tu tombes
dans le remous des étoiles
In Revue « La poésie française contemporaine de Suisse », 1974, page 46 (Horizon vertical, © Rencontre, 1968)
Pericle Patocchi naît à Lugano (Tessin) le 11 mars 1911. Son père était suisse et sa mère italienne d’origine espagnole. Scolarité à Varèse et à Milan, puis études à l’université de Genève et à celle de Fribourg. Il deviendra professeur de langue et de littérature française à Bellazone, puis au lycée de Lugano. Il décède le 13 mars 1968 dans la station thermale de Loèche-les Bains, des suites d’une précédente opération chirurgicale.
Pericle Pattochi, bien que d’origine et de culture italienne choisit le français pour l’élaboration de son œuvre poétique. Seule sera publiée en italien « Nella chiara profondità » en 1944.
Il traduira en outre la poésie de son ami Salvatore Quasimodo, le grand poète italien couronné par le prix Nobel. Ces traductions seront publiées au Mercure de France en 1963.
En 1942 et 1960, le prix Schiller sera attribué à Pericle Patocchi.
L’Aventure
Avant le jour j’entendis
Ma mère chanter sur l’érable
Avec une voix d’oiseau…
les ténèbres
Roulaient un bruit lointain comme une mer
Se retirant d’un pays submergé.
Quand le plateau des mésanges
Parut dans l’azur, foudroyé,
Ma peine était mûre et je fus
Transpercé d’un sourire.
Le long éclair du songe
Touchait au méridien de l’aventure.
In Revue «La poésie française contemporaine de Suisse », 1974, page 40, («Vingt poèmes » © All’Insegna del Pesce d’Oro, Milan, 1948)
Léon-Gabriel Gros, dans les Cahiers du Sud, (N° 355, 1960), parle ainsi de l’œuvre du poète :
« …Ses images ne sont jamais si belles que lorsqu’elles sont des images d’abolition. Elles ne doivent rien au hasard ; elles marquent plutôt le moment où le raisonnement poétique s’achève en contemplation… Aucune contradiction, chez Patocchi, entre la méditation et la rêverie, la métaphysique et la fantaisie… »
Immense
Nous avions reconnu des amis
Dans les objets les plus simples :
Notre solitude frissonnait de louanges
Et le ventre de la nuit enfantait une journée
Au-delà des siècles, parfaite.
Mais devant nous les vagues des montagnes
S’entrechoquaient dans le silence,
Et chaque crête illuminée
Par ce lointain enflammé,
Etait le crénelage d’une muraille immense.
In Revue « La poésie française contemporaine française de Suisse », 1974, Page 40 – « Colombes délivrées © Marguerat, 1942.
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Étang
Surgissant des roseaux
le pêcheur murmura
la mort
seule est juste
les aulnes
remuaient dans la mare
soudain
la brise du sud ploya
les hautes herbes
demain
il pleuvra
deux cygnes en amour
s’élevèrent en vrombissant
In Revue « La Poésie française contemporaine de Suisse », 1974, page 44 – « Horizon vertical » © Rencontre 1968.
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Ici ailleurs
Les matins de Fontana sous les rochers
à pic sur mon cœur les midis
à la voix de cascade
et la mer
sur les récifs de Marseille l’accent
de notre ami Ballard
mon été
mon bel été partagé
ainsi tournent les hommes
quel vent
les secoue en dedans quand le jour
est plus haut et plus doux
il suffit d’un bourdon et l’écho
des rives lointaines revient
converser parmi nous
Ibid, Page 45
Un élan mystique transporte le poète et la mort semble être un appel radieux généré par la contemplation du vivant.
Éclair
Dans ces landes les chasseurs
sont la proie des oiseaux,
une grive décoche son chant,
je rayonne dans la mort
acheminée au fond du vent.
In Revue« La Poésie française contemporaine de Suisse » 1974, Page 41 – « L’Ennui du Bonheur » © Mercure de France, 1952
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Stèle
La fin des chants est la baie de la mort
où se calme soudain la marée de nos voix,
la mort est le chant délivré du chanteur.
In Revue « La Poésie française contemporaine de Suisse » 1974, Page 41 – « Gris beau gris » © Seghers 1954
Vahé Godel, (Le Thyrse, N° 2,1968), poète et également écrivain suisse de langue française lui rendra hommage :
…le domaine sidéral se confond avec le monde terrestre, « l’ici-bas » devient « l’ici-haut », l’obscur devient clarté, la croix se renverse et l’horizon s’érige… Tout se ramène ici à un dialogue ingénu entre les contraires, à un tissu d’oppositions, à une communion transparente et fragile, à un secret échange entre le visible et l’invisible. Patocchi investit le verbe d’un pouvoir unifiant. Il répond humblement d’un fief indivisible. Solitaire, émerveillé, il combat sur tous les fronts – « en pure perte » - avec la grâce candide des « Colombes délivrées ».
Pure perte
Je vous donne mes yeux
jetez-les à vos fleurs,
je vous donne ma voix
pour vos chambres sonores.
Je renais en tombant
de mon haut dans la mer.
Disparu ! Quel poisson
se nourrit de mon cœur ?
Oh, la paix d’être enfoui
quelque part, sans connaître
qui je suis où je vis
dans le feu clair de l’Être.
Pure perte, Désir
libéré par le chant.
Le passé, l’avenir,
quels beaux vents dans le vent !
Ces paroles ? C’est vous
qui les dites, amis
J’étais moi, je suis vous
et ma fable est finie.
In Revue « La Poésie contemporaine française de Suisse » 1974, page 42 – « Pure perte » © Mercure de France, 1959
Bibliographie
-
La fin des songes, Genève, Éditions Présence, 1936
-
Les Solitudes de la matière, Fribourg, P.U.F., 1939
-
Musiques légères, Lausanne, Éditions Marguerat, 1941
-
Colombes délivrées, Lausanne, Éditions Marguerat, 1942, (Prix Schiller)
-
Vingt poèmes, Scheiwiller, Milan, All’Insegna del Pesce d’Oro, 1948
-
L’ennui du bonheur, Paris, Mercure de France, 1952
-
Gris beau gris, Paris, Éditions Seghers, Paris, 1954
-
Pure Perte, Mercure de France,1959, (Prix Schiller)
-
Chemin de Croix, édition bilingue, Lugano, Topi, 1997
-
Horizon vertical, Lausanne, Éditions de l’Aire/Rencontre, Lausanne, 1968
-
L’Ennui du bonheur et autres poèmes, Éditions de la Différence, Paris, 1993
Internet
Contribution de Hélène Millien
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