Invocation
En état de bonheur d’amour parce que va mourir un de mes amis, le meilleur, on ne sait lequel et on ne sait qui, souffle le bonheur par quel porte-voix ? Je te remercie. Dieu ? De pouvoir pleurer de pouvoir aimer de pouvoir haïr. Mon chat également te remercie, encore qu’il ait dévoré les mulots et bien des poumons de bébé vache. Par moi achetés. Aux gémissements des chiens enchainés par les villageois leurs maîtres se désagrège ce que tu as convenu de nommer âme, qui trotte à petite allure parmi les graminées déployées, jusqu’au moment où elle y aura paumé son mésothorax, son prothorax, son métathorax. Tu n’es pas l’implacable goutte d’eau qui suinte du robinet. Tu es pétillant, tu es feu de cheminée, tu es la personne avec qui je trompe tout le monde – et réciproquement -, fut-ce la splendeur de votre majesté. Grâce à toi je sais déjouer les styles gouvernementaux. C’est l’heure de t’apporter ton offrande, quelque viscère d’ami mort, il m’agrée que pareille heure existe, que tu rêves à mes viscère à moi en te désaltérant de neige parmi l’éclatante suie des morts que tu as calcinés.
In « La Poésie contemporaine de langue française », - « La Portentule » - © éditions France-Loisirs, 1992 , Tome I, page 148
Étrange action de grâces, empreinte de violence, de révolte, de dérision, portée par la voix de la poétesse Thérèse Plantier. Cette dernière naît à Nîmes en 1911. Elle sera enseignante à Marseille. Elle publie son premier recueil, Les anges diaboliques, en 1945. En 1964, c’est la rencontre avec André Breton. Sa réponse à une enquête parue sur « les représentations érotiques », dans la revue La Brèche, enthousiasme André Breton. « Une violente volonté de vertige », tels sont les mots employés par le poète pour évoquer la poésie de Thérèse Plantier. La poétesse, bien que se sentant profondément surréaliste, s’éloignera de ce mouvement. Critique impitoyable des prérogatives masculines, elle devient l’amie de Simone de Beauvoir, de Violette Leduc. Ses revendications féministes, « le femonisme », ainsi baptisera-t-elle sa philosophie, vont s’exprimer avec virulence à travers ses poèmes.
Rien ne se répare sinon les mots
s’il n’y avait pas les mots
il n’y aurait que la mort
mots anti-mort mort anti-mots
rien ne se creuse sinon le lit
où coule l’eau torturée
chaque goutte perdant la vie
en touchant la goutte suivante
et ainsi et ainsi dans le fleuve des mots
qui se nomme Histoire
on se fout pas mal que
réparation soit due aux peuples
jamais ne se regonfleront
les mollets les enfants les martyrs
les morts de faim
un quelconque mai
on peut tirer en leur honneur
des salves d’adjectifs
qui ne les concernent pas
il n’y a que des transferts
jamais de justice
à moins que la douleur ne soit une justice
dans ce cas
plus besoin de mots.
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Mes membres fourmillent de reflets pétrifiés
je ne peux m’endormir sans devenir la terre
sans rabattre mon linceul
comme le vent rabat aux cerisiers
leurs jupons sur la tête
une fois devenue bloc
je porte en croupe les eaux
obsédantes
je ne sais jamais qui est en moi.
In « Site forum 1973, Vieux-z’hippies » - Internet
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Mon amour
Parce que j’avais ressenti la première odeur de l’été
j’avais cru que je vivrais mille ans
auprès de toi
mais j’étais en retard il aurait fallu
prendre le train tes yeux
puis descendre à contre-voie
parmi les bardanes et les orties violettes
battre les buissons tambouriner
dessus avec des paumes de laine
cardée par les ronciers
l’avenir se chargea de me détromper
vira au bleu-silence
tandis que les gousses des genêts-à-balai
percutaient sec sur le ciel
plié à gauche dans l’odeur de tes doigts.
Extrait de « C’est moi Diégo », © éditions Saint-Germain des Prés, 1971 – Internet – Wikipédia
Dans le très beau poème d’amour lesbien, « La Piscine », la nature passionnée de Thérèse Plantier s’exprime dans toute sa plénitude :
La Piscine
Réfugiées au fond du ciel les mers
pleuvaient sur nous par les fissures de la nuit
tes cheveux déroulés teignaient en pourpre notre abîme
tes seins pesaient sur mes paupières
tu m’aspirais entre des eaux damasquinées
tu laçais au long de mon buste
de palpables courants glacés
tu frayais ta semence dans le flot qui m’irrigue
j’étais saoule de ton indistinct contact
ramifié en éclairs à travers la piscine
où seules nous nagions dans l’obscur électrocuté
toi et moi
tu me dépassais parfois silencieuse
sporadique
tu te faufilais à travers mes membres
aussitôt détachés du tronc
à travers mes jambes égrenées loin derrière
filiformes difformes
je te perdais en me perdant
hululaient sur les quatre places des fantômes équivoques
vaticinant à convoquer d’autres ombres
en d’autres conques contaminées
par ton désir chu des étoiles molles
avec le bruissement du caramel brûlant.
In « La Portentule « - Internet « Poésie Communauté »
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Mon amour
Ton âme-oiseau vole au-dedans de moi
et j’introduis en toi mon mortel ennemi
le corbeau
ai-je rêvé de foules ?
il n’est venu que toi dans mon sommeil
couronné de murs
bien que la houle ait rongé les jetées
ce qui enfle restera longtemps solide
bien que le flot lèche mes pieds
je te mangerai pour que tu renaisses
des eaux de la mort des Sorgues
où un cheval compréhensif
pointe son oreille vers tes indistinctes paroles
In « C’était hier et c’est demain » - © éditions Seghers, 2004, - Internet – hippies,1973. forumactif
Dans la « Poésie contemporaine de langue française », Jean Orizet évoque ainsi Thérèse Plantier :
Nous voici embarqués dans un tourbillon qui nous trouble, nous donne le vertige et nous terrorise Ici l’ordre est profané. Une femme repense sa condition à travers les faux semblants. Elle nous entraîne à tous les refus, dans un collationnement des fantasmes du rêve et du réel trépidant.
La voie
La mort n’a qu’un nom c’est
EMPIRE
vais-je l’apprécier
cet abécé ?
ils sont jolis les bidonvilles
le printemps leur fout des claques en passant
un dame a oublié de s’habiller
parce qu’elles me ressemblent
je convoite les machines à vapeur
il pleut républicainement
dans l’École Primaire Supérieur de Garçons
dans les gares détoiturées
sur les mâts sur les drapeaux sur les voitures à la casse
sur les peupliers aux ganglions enflés
sur les champs et même les bicots
pourtant enfin embourgeoisés
on leur a fait cadeau d’un train démantibulé tout entier
sur voie de garage
sans deuxième service-déjeuner à clochette
et d’une pièce à leur culotte
ils peuvent coucher dedans
cadeau de moi également qu’ils regardent se trimbaler
comme une vache que je suis
dans le vent à l’envers
de chouettes tas de tessons
d’une ficelle pour attacher leurs marmots
à défunte signalisation
lorsque défile le Mistral
et comme il pleut pas mal en France
ils trempent leur soupe dans l’eau de la tonne rouillée
par canicule ils la mangeront à l’ombre des rails
ils sont bien
ils voyagent gratuit en famille
sans cahots sans même bouger
les rapides leur cuicuitent des cris d’hirondelles
et les wagons de marchandises tapent du cul pendant des heures
par pure camaraderie
où ils pissent je n’en sais rien
peut-être dans les bardanes qui
pour se venger
les mitraillent de petites graines.
In « La Poésie contemporaine de langue française » © éditions France-loisirs, Tome 1, 1992, page 145/146, extrait de « C’est moi Diégo »
Thérèse plantier aura fait sienne l’assertion de Montaigne : « les femmes n’ont pas tort quand elles refusent les règles qui sont introduites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont introduites sans elles. »
Par moi revit ton désespoir
ô père
ce que tu n’as pu dire
filtre à travers tes os jusqu’aux miens
que tu engrosses
je voudrais
quel beau mouvement !
crier que je comprends
crier
ce que tu n’as pas dit
ce fut difficile
mon père
l’orage n’éploie jamais sa violence
le feu ne gronde qu’à demi
je voudrais
venger ta vie à demi
je sais
car je te ressemble
je ressemble à ton espérance
pour toujours
oubliée dans le sommeil
qui te dissout
que tu m’as rêvée.
In « La Poésie contemporaine de langue française », © éditions France-loisirs, Tome 1, 1992, page 147 – extrait de « La Loi du silence »
Thérèse Plantier disparait en 1990 à Faucon dans le Vaucluse. Seule la revue HSE lui rendra hommage en signalant sa disparition. Son quatrième mari, de quarante-cinq ans son cadet, la suivra dans la mort en se suicidant.
Bibliographie
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Les anges diaboliques, © éditions Confluences, 1945
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Leçons de Ténèbres, © éditions du Scorpion, 1959
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Chemins d’eau, © éditions Guy Chambelland, 1963
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Mémoires inférieurs, © éditions la Corde,1966
-
C’est moi Diégo, © éditions Saint-Germain des Prés, 1971
-
Jusqu’à ce que l’enfer gèle, © éditions Pierre-Jean Oswald, 1974
-
La loi du silence : Omerta, © éditions Pierre-Jean Owwald, 1975
-
La Portentule, © éditions Saint-Germain des Prés, 1978
-
Le Discours du Mâle – Logos Spermaticos, © éditions Anthropos, 1980
-
George Sand ou ces dames voyagent, © Atelier de Création Libertaire, 1986
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Je ne regrette pas le père Ubu, © éditions Cerisier/ Coïncidence, 1988
Internet
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Un article de Christophe Dauphin dans Recours au poème
Contribution de Hélène Millien
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