J’ai dit que le silence est bleu
Je crie
pour éveiller son impatience.
Dans mes yeux le pollen
Raisonne comme l’or…
Mais
les oiseaux
Dressent un mur si haut
Que j’entends l’aube battre.
****
J’ai choisi de venir auprès de chaque chose
et de voir chaque jour se lever le silence.
****
L’espace d’un oiseau
Et le temps d’un oiseau
Traces vertigineuses
Imperceptiblement noyées dans mon regard
Si je ferme les yeux
La lumière répond.
****
Je dis qu’il est une parole entre les mots arrachés et laissés aux choses qui s’éloignent je dis que de sa forme émane le divin.
Extraits « La voix désabritée » - © Gallimard
Pierre Torreilles naît à Aimargues, dans le Gard, le 21 mai 1921, et décède à Montpellier le 22 février 2005. Il poursuit des études de lettres et de théologie à la Faculté de Théologie évangélique d’Aix- en-Provence dans le but de devenir pasteur, mais lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, il s’engage dans les maquis du Vercors et de la Haute-Loire pour échapper au S.T.O. Passeur de documents et de faux papiers, il travaille auprès du pasteur Trocmé du Chambon-sur-Lignon, fondateur avec son épouse d’une organisation destinée à sauver les enfants juifs. Au cours de ces années de résistance, il échappera à la mort à plusieurs reprises. Et c’est la rencontre avec Simone Sauramps, jeune fille d’origine juive, passionnée de poésie, qui va révéler en lui le poète.
Pierre Torreilles, homme du sud, fera baigner son œuvre dans une intensité lumineuse, poésie contemplative à la recherche des mystères du vivant.
Robe noire et passante
(Extraits)
Ô parfum souterrain
plus tendu que la mer,
lieu qui n’ose se dire
ô pur pays,
ô portes aérées !
****
Du sentier
chaque pierre
exsude l’huile lumineuse,
âge poli des marches
et déjà marbre de l’histoire.
****
Transparence douceur des puits
soudain espace du tragique,
dans l’au-delà de l’ombre
où s’édifie le jour
et ton visage dans le jour,
trace éphémère de l’effroi,
s’attarde,
délivrée,
l’approche difficile.
****
Village aux yeux blanchis,
ruelles d’une langue,
en leur aveuglement
les genêts poursuivis
dévalent vers la fête.
In « Les Dieux rompus »
****
Moulins foudroyés
L’après-midi descend, d’apparence incertaine ;
chaque pierre affermit ses murs.
Bivouac des vents migrateurs, les toits ont disparu.
Vers ces moulins énucléés
le chemin ruisselant, lumière déconstruite,
hisse la nuit ; d’une aube se souvient.
Je dis
qu’il est une parole entre les mots
arrachés et laissés aux choses qui s’éloignent.
Je dis que de sa forme émane le divin.
Ibid
****
Chants I, Ténèbres
(Extraits)
Tout en rien se déploie
La rose avec l’iris
Ont laissé la lumière exsangue,
Sans illumination dans la clarté,
La toujours proche
****
L’eau dans les herbes se dérobe
Inconnue murmurante…
Scintille doucement une dernière rose
La lumière du jour la ruine
En un visage enclos dans le silence de son art.
****
Profusément la terre s’offre aux cieux anciens
L’obscur rejoint l’ordre limpide de l’oracle
Et de l’être survient le sens.
In « Territoire du prédateur » (1984) © éditions France Loisirs, La Poésie contemporaine de langue française, 1992, pages 200-201.
Pierre Torreilles, comptera parmi ses amis de nombreux peintres (Miro…) et des poètes, Yves Bonnefoy, Ferdinand Alquié, André du Bouchet… Mais c’est surtout sa rencontre avec René Char qui fera naître entre ces deux êtres solaires une profonde et solide amitié. Échanges épistolaires et poétiques se poursuivront jusqu’à la disparition de René Char.
L’éblouissement solaire est comme à l’origine du regard ; et le silence lui-même « éblouit l’espace ».
Que deviennent les mots sous ces feux conjugués ? Que peut contre la mort notre perception de l’origine ? Comment nommer en harmonie ces Personnages que sont la pierre, l’olivier, l’herbe, le vent, la pluie si rare ? A travers le moule du verbe, quels pouvoirs ont-ils sur notre sagesse ? Le poète écrit avec panache : « Les mots ne viennent à bout de la réalité qu’à l’infini ».
Ainsi s’exprime, Jean Orizet dans la Poésie contemporaine de langue française, à propos de Pierre Torreilles.
Pierre Torreilles a publié plus de 40 ouvrages dont l’essentiel, chez Gallimard, Guy Levis Mano, le Seuil, Grasset, Fata Morgana, Rougerie. En 1960, il ouvre à Montpellier, la Librairie Sauramps. Il sera également conservateur du Musée d’Histoire Naturelle de Nîmes.
Distinctions
-
Prix de l’Académie française
-
Prix international de Nice
-
Prix Max Jacob
À propos de
-
Paule Pluvier, Entre splendeur hellénique et méditation hébraïque du souffle, © L'Harmattan
Internet
Contribution de Hélène Millien
Commentaires