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La Pierre et le Sel : Vous insistez sur l’importance du travail pour écrire ? Pensez-vous comme Claude Roy que l’on n’écrit pas des poèmes, mais que ce sont les poèmes qui vous écrivent ?
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Charles Dobzynski : Sans reprendre à mon compte la belle formule de Claude Roy, je pense que toutes les strates des poèmes sont en nous, à l’état latent. Une nappe phréatique. Il faut creuser, la rechercher. Ensuite, le travail est essentiel pour mettre à jour l’enfoui.
Cet extrait d’un entretien que Charles Dobzynski accordait à La Pierre et le Sel en mars 2012 reflète ce que fut la vie de celui qui nous a quitté le 29 septembre 2014 à l’âge de 85 ans. Charles Dobzynski fut un homme de convictions et de curiosités. Dès l’enfance, il fut confronté aux épreuves et aux douleurs. Si cela l’amena à être un homme engagé, ce fut sans prisons intellectuelles ou idéologiques. La poésie fut au cœur de son écriture et, tant comme poète que comme passeur des autres poètes, à travers ses collaborations diverses et sa responsabilité à Europe en tout premier, il trouva en elle, le moyen d’expression propre à contribuer à la construction du monde. « (…) la poésie est faite aussi pour changer la vue, changer la vie, et sans être tributaire de l’engagement. Elle doit prendre au collet la brutale réalité de notre temps. Elle a donc, par nature, une fonction politique et sociale, qu’il ne faut pas surévaluer, mais non plus occulter. » nous disait-il encore dans l’entretien déjà cité.
Mouette
Je tourne la page de l’air
et là j’écris
d’un coup d’aile ou d’un coup d’œil
dans l’excédent qui trouble l’écriture
Mouette du large qui poursuit
sa propre vie dans le sillage
le soleil soluble dans les mots
Je ne suis rien sur cette terre
qu’un de tes pas de ceux qui s’évaporent
l’autocollant de ton regard
une mémoire à la margelle
de tous les balbutiements
la parole à côté des choses
qui boite dans la prescience
de ce qu’elle veut découvrir
Aile d’âme à géométrie variable
c’est elle qui bat et traverse ô mouette
ce qui de nous reste muet.
In Corps à réinventer, © La Différence, 2005, p.112
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Murmor (extraits)
1
La mort trouera la terre sous son masque
c’est par le vent qu’il la faudra tenir
l’entraver grâce à l’essieu stellaire
aiguille d’astre ayant perdu le Nord
et l’arracher rhizome de la foudre
à cette friche où sa gueule a flairé
chacal du ciel un lambeau de ta vie
sa trace en toi que le désir attise
trancher sa langue en terre travestie
la dévêtir des mots qu’elle a volés.
5
Ce dur noyau dans tout ce que tu touches
qui exproprie en toi ce que tu tiens
dans tout ce que tu fais cette défaite
ce lit de cendre en tout ce que tu dis,
il te suffit de baisser les paupières
pour arrêter l’incendie et renaître
voir dans l’étang resurgir les étoiles,
mais ce n’est pas la nuit qui monte en toi
cette nuit blanche où tout reste à écrire
sur tous ces murs qui murmurent ta mort.
In La mort, à vif, © L’Amourier, 2011, pp.86 ; 88
Internet
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Dans La Pierre et le Sel : Charles Dobzynski, poète et passeur | Charles Dobzynski, un entretien avec La Pierre et le Sel | Poème en regard - Charles Dobzynski, Si je dérive et Paul Delvaux, Les Adieux 1964
- L'hommage de Françoise Siri dans BibliObs
Contribution de PPierre Kobel
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