Si l’on disait « lumière », elle ne saisissait
qu’un bruit sans échos, sans couleurs.
Elle avait l’âge où les objets surprennent
un à un les enfants, ils glissaient de ses doigts,
elle en riait, elle recommençait. De la définir
par le mot d’« aveugle », on a honte, on mesure
combien notre vocabulaire est pauvre, est orgueilleux :
nos regards sont bornés, qui n’ont pour origine la tendresse,
la patience, l’espérance. Une vision suffit
sur un écran, nous n’avons eu d’yeux que pour elle
soudain, toute la nuit ensuite. Avec l’aube qui vient
vient ce poème aussi imprévu qu’un miracle,
il célèbre un miracle, puisqu’elle a découvert enfin
celle dont la voix éclairait le monde,
pour la comprendre elle se rapprochait
jusqu’à toucher les lèvres invisibles… La vue heureuse,
l’écoute heureuse réunies, elle convertira
les regards en rencontres, elle reconnaîtra partout
le visage augural.
Ce jour, nous le passerions à scruter
de si bas, dans la rue, la niche au-dessus de la porte,
nous ne saurions quels sont les yeux de l’ange,
la tête entière, l’obscurité la dérobe, la dévore,
et l’érosion sans doute a-t-elle dû meurtrir,
noircir les traits, on n’a pas à compter les siècles,
nos vies ne sont jamais trop courtes pour cela.
Des bras pourtant, juste au milieu de la poitrine,
comme s’il y avait quelqu’un en permanence
à prévenir, sortent du cadre afin de tendre
le demi-cercle de pierre où s’incrustent,
aussi fastueux qu’autrefois, les chiffres d’or,
la tige a disparu, par contre, qui permettait de suivre
la trajectoire du soleil de son ombre légère,
l’ombre patiente. Voir plus, le pouvons-nous ?
Il n’est urgent que de mieux voir. Quand viendra l’heure,
la maison s’ouvrira : l’ange nous le rappelle,
notre visage en se tournant vers lui s’éclaire,
il s’éclaire pour lui.
« Est-ce que tu m’entends ? » a-t-elle répété,
presque crié, à son compagnon sur le quai
dans le vacarme, la clôture des portes,
la rame allait partir. Toute séparation,
même jusqu’au soir, un arrachement. Furtive,
nous aurions pu oublier cette phrase,
elle a pris tant de fois à l’intérieur des chambres
où meurt un proche, la lampe étroite à son chevet
éclairant mal, isolant le visage, le sens d’adieu.
En ces moments les paroles sont rares,
les mains essaient en tâtonnant de rafraîchir un front,
d’en effacer les plis, mais si nous retrouvons les gestes
qu’avec la nuit prodigue une mère ou un père,
aucun souffle assez fort ne les emmène
dans le silence qui serait l’âme unanime.
Parfois nous observons par la fenêtre un orme,
nous le savons sans que l’oreille le confirme,
patiemment il reçoit les vents, rien ne se brise
quand se ramifie la rumeur.
In L’autre nom du vent, © L’herbe qui tremble, 2014, p.43
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Sur La Pierre et le Sel :
- Pierre Dhainaut | simplement pour desserrer nos lèvres
- Pierre Dhainaut « en la complicité des souffles »
Contribution de PPierre Kobel
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