À la fin de cette semaine se tiendra la 26e édition du Salon de la Revue. Dans son tout récent Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, Pierre Assouline consacre une entrée aux revues dont il écrit que « c’est une pépinière de projets et de talents que ce rassemblement d’éclats de textes, de fragments, d’extraits et de work in progress. Elles exhalent le parfum merveilleux de l’avant-goût et de l’inédit. » Et de regretter aussitôt qu'elles ne soient pas plus lues et vivent aussi difficilement, entre incertitude et aléatoire pour nombre d’entre elles.
La poésie a depuis longtemps fait la part belle aux revues. J’ai été accueilli, il y a quelques décennies de cela, dans les pages de Résurrection que j’ai accompagnée jusqu'à sa disparition concomitante avec celle de son fondateur et animateur Jean Cussat-Blanc. Je reçois aujourd’hui d’autres titres, j’en retiendrai trois qui, chacun, avec leur identité, symbolisent l’expression de la poésie dans son actualité et sa diversité : Comme en poésie, Décharge et Diérèse. Il ne faut voir dans ce choix que ma subjectivité. Bien d’autres titres accompagnent mes lectures. On en trouvera la référence dans la page de liens de La Pierre et le Sel.
- Comme en poésie. Jean-Pierre Lesieur, artisan unique de son entreprise, continue fidèlement de construire numéro après numéro, une revue qui mêle à la poésie, le dessin, la photo, la peinture, l’humour. Une entreprise généreuse qui tient comme souvent à la passion et au dévouement d’une seule personne.
Irène Duboeuf
L’allée des donneuses d’eau
L’été. À nouveau. Ses places enfiévrées,
ses ciels griffés de cris d’hirondelles.
Clin d’œil à la vie
les soirs enveloppaient le soleil moribond
dans des draps roses et bleus.
On s’attardait au pied des palaces éteints,
groupés autour de la promesse
des sources aux noms de femmes.
La nuit, dans le vallon, creusait son sillon noir.
C’était l’heure où les donneuses d’eau, anonymes,
rangeaient dans l’ombre leurs écuelles
et regagnaient les pages des livres oubliés.
Châtel-Guyon, juillet 2016
In Comme en poésie n°67, p.57
- Décharge a déjà une belle longévité dans le cercle des revues de poésie. Vient de paraître le n°171. Jacques Morin et ses acolytes, Claude Vercey et Alain Kewes y poursuivent le travail de découverte entrepris depuis toujours quand ils ne composent pas des dossiers révélateurs des meilleurs auteurs, quand ils ne chroniquent pas les parutions avec curiosité et gourmandise. Pour illustrer mes propos, deux extraits de Françoise Ascal.
En réponse à une question de Bruno Berchoud, voici ce que dit l’auteur :
« […] chaque mot me semble si précieux en soi que je suis sommée de l’utiliser au plus juste. Bien sûr, cette impression de « justesse » est extrêmement subjective. Je n’ignore pas qu’il s’agit de mes propres oreilles ! Mais disons que je pousse mon texte au maximum jusqu'à approcher et parfois obtenir le son intérieur espéré. Lorsqu’il semble qu’aucun mot du poème ne peut plus être remplacé par un autre, on éprouve une sensation (éphémère) de délivrance. »
In Décharge n°171, p.19
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Un désir d’aube (extrait)
Mes mots aimeraient se rendre ailleurs.
Emprunter des chemins d’aube.
Saluer la mer, les grandes plages de sable fin, le vol des mouettes. Recueillir le bruit du vent dans les pins, le duvet des palombes.
Ce n’est pas possible.
Mes doigts glissent, dérapent, tombent dans des ornières tourbeuses.
Mes doigts en reviennent toujours au creux aux trous aux grottes.
Mes doigts déterrent les morts.
Inlassablement.
Mes doigts sentent la corde de chanvre de celui qui s’est pendu, dans le grenier de la maison, juste au-dessus du poêle où mijotaient les raves.
Mes doigts veulent encore une fois caresser les visages oubliés de ceux qui n’avaient pas de mots, de celles qui, enfantines aux tristes sourires, ne grandiront jamais.
Mes doigts n’ont pas de repos.
Peut-on croître sans racines ? Peut-on dresser des branches hors de son sol ? Peut-on quitter sans trahir ? Faire un pas de côté loin des mares des puits des sorts ?
In Décharge n°171, p.33
- Diérèse fondée en 1998 par ce lui qui en tient toujours les rênes, Daniel Martinez. Il publie le 68e numéro, chacun faisant plus de 300 pages par an. Une densité conséquente qui tient à la culture, aux affinités et à la curiosité, là encore, de son animateur.
James Sacré
N’importe où dans le monde, un silence
À quel endroit de ce monde maintenant
Pourrait-on rencontrer ton visage
Ton visage et ton corps
Avec son passé qui fut vivant ?
Ce que j’entends
C’est le seul bruit des mots
Donnés comme l’épaisseur noire du monde, et restant
Dans l’inconnu
De ce qui fut portant visible et vivant ?
(29 décembre 2013)
In Diérèse n°67, p.96
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Philippe Mathy
Printemps à Pouilly-sur-Loire (extrait)
Tu es assis
au bord du ruisseau
Tu ne bouges pas
Tu regardes l’eau qui va
C’est en toi
que chantent les petites cascades
C’est en toi
que s’éclairent les pierres blanches
sous les remous
Tu es immobile
Pourtant tout bouge en toi
C’est toi que l’eau traverse
peut-être pour te laver
du temps qui va
In Diérèse n°67, p.183
Internet
- Le 26e Salon de la Revue
- Comme en poésie
- Revue | Comme en poésie, un article de Jean Gédéon dans La Pierre et le Sel
- Décharge
- Entretien avec Jacques Morin fondateur et directeur de la revue Décharge dans La Pierre et le Sel
- Le blog de Diérèse
- La revue Diérèse – Un entretien avec Daniel Martinez dans La Pierre et le Sel
- Ent’revues le journal des revues culturelles
Contribution de PPierre Kobel
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