Hier s’est ouvert le 35e Marché de la Poésie sur la place Saint-Sulpice. Durant cinq jours s’y retrouve la plus grande part de ce qui fait la poésie en France : poètes, éditeurs, revuistes. C’est l’occasion de retrouvailles, de rencontres, de lectures, de découvertes. Vie intense de la poésie et de ses acteurs dans l’espace d’une place parisienne qui n’est une caisse de résonnance que pour ceux qui s’y trouvent. Car il faut le redire : cette manifestation n’a pas plus d’écho dans les médias cette année que les précédentes. Et quoi me dira-t-on ? La poésie est-elle si importante qu’elle doive prendre le pas sur la marche du monde, ses heurts et ses malheurs ? Après tout Patrick Chamoiseau n’a-t-il pas raison quand il dit que « la poésie n’est au service de rien, rien n’est à son service » ? Pourquoi ne pas se suffire de la vie artistique d’un microcosme qui a perdu depuis longtemps un véritable contact avec le grand public ?
C’est oublier ou ne pas savoir combien la poésie aide à mieux vivre. C’est encore Chamoiseau dans un tout récent entretien accordé à Télérama qui dit que « le poétique précède le politique. […] Le poétique mobilise tous les possibles de la perception, libère notre esprit, vivifie nos systèmes de représentation, amplifie notre imaginaire. » Il réaffirme là, à sa façon, que la poésie ne peut se réduire au cercle fermé et autosatisfait de ses aficionados. Elle a besoin d’un souffle qui la dépasse et la met en prise avec l’homme et la société, c’est là une des conditions de sa survie.
Le Marché de la Poésie est la réunion chaleureuse, amicale des poètes. Il est la vitrine de l’offre éditoriale d’écritures qui ne doivent le plus souvent d’être lues qu’à la passion de quelques personnes pour les publier. Il ne peut suffire à leur diffusion et à la réconciliation de la poésie avec la société. Dans un temps plus médiatique que jamais, pour le pire comme le meilleur, elle se trouve en but à une temporalité qui n’est pas la sienne quand l’utopie qui est la sienne s’inscrit au-delà de ce temporel. Mais, c’est aussi par le moyen de ces mêmes médias qu’elle peut trouver le chemin d’un nouveau public élargi. Paradoxe à résoudre pour les acteurs de la poésie réunis place Saint-Sulpice.
On souhaite qu’ils sachent affirmer qu’elle n’est pas seulement une aventure individuelle. Comme l’écrit Flora Aurima Devatine :
Sur nos chemins de partage,
L’apport par chacun de son brin de conscience,
De réflexion, d’humanité,
Pour commencer à dire ensemble
Avec nos mots, nos sonorités, nos musiques intérieures,
La chose à transmettre,
L’esprit de juste mémoire :
Tailler, ajouter, renouer, rénover,
Aplanir, étendre, et retresser la natte humaine.
Extrait, in Au vent de la piroguière, © Bruno Doucey, 2016
Contribution de PPierre Kobel
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