En 2012 les éditions Gallimard publièrent sous le titre Une voix, un regard, un gros volume de textes retrouvés de Jean Grosjean. Cette édition sous la direction de Jacques Réda regroupe des textes du poète, du prosateur, du traducteur et du lecteur que fut Jean Grosjean. Ce dernier, méconnu du grand public, est un auteur des plus importants du XXe siècle. Dans sa préface J.M.G. Le Clézio dit de lui qu’il est « l’homme qui manque à notre temps, qui laisse un vide dans le cœur de ceux qui l’ont fréquenté. Rien à voir avec la gloire, ni avec les prétendues leçons d’écriture, Jean Grosjean est à mille lieues des lieux communs. » Ce dernier ajouta à la place importante qu’il occupa aux éditions Gallimard durant toute sa vie d’écrivain, un rôle essentiel de découvreur et de passeur, loin de tout a priori et des conventions. Adepte d’une spiritualité sans prosélytisme qui tenait à une relecture permanente des grands textes, pratiquant de la nature, Robert Sabatier écrivait à son propos dans son Histoire de la poésie française : « Ne jouant pas la comédie, ni prophète, ni mage à majuscule, ni grand initié, Grosjean est simplement un guide qui cherche en nous guidant, qui nous cherche en se cherchant […] »
NOS JOURS
Il a fallu différer
les départs dont nous rêvions
et recevoir tour à tour
les jours inconnus
lourds de soleil ou de pluie.
Les uns donnaient des pépites,
de l’encens ou du pavot,
mais d’autres d’un air candide
lançaient les questions
qui n’ont jamais de réponse.
L’un posait des chrysanthèmes
sur le lit de nos parents,
l’autre offrait aux fronts d’enfants
pour leur faire ombrage
les lauriers des forts en thème.
Comment vouliez-vous qu’on parte
quand tant de futurs arrivent
et qu’aucun d’eux ne retire
son rire ou son deuil
sans qu’un autre lui succède ?
Mais dès que les nouveaux jours
seront moins nombreux aux portes
nous irons sur l’autre berge
voir quels anciens jours
sont prêts à nous recevoir.
In Cahiers de l’ENS Meknès, n° 4, 1983
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Les délais
Toujours poussés vers de nouveaux automnes
nous découvrons sans fin les fins d’été.
Dès le matin nous courions aux ténèbres
comme un marcheur qui songe à l’arrivée,
mais la plage est immense et les détours
que font nos pas tout le jour sont sans fin.
Il reste en haut d’un peuplier trois feuilles.
Le vent fait balancer les nids d’oiseaux.
Le ciel aussi semble osciller sur nous
sans trop savoir où s’en vont ses nuages.
In ARPA, n° 50-51, mars 1993
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La nuit s’est retirée sans rien prescrire
comme un charroi dont s’est éteint l’écho.
Le soleil monte effleurer les coteaux
avec ses mains de matinée timide.
Le vent court comme un fou le long du bois
parmi les papillons qu’il laisse en berne.
L’oiseau qui s’est envolé de guingois
heurte un nuage au détour des luzernes.
Ainsi le jour se réveille et s’affaire
avec l’entrain des grands velléitaires
à rétrécir les ombres qu’il déploie.
In Phréatique, n° 70, 1994
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VISIBILITÉ
Les empreintes de pas s’effacent
avec le temps, mais la rivière
redéploie les reflets du ciel
dont le pont la dépossédait.
Quand s’évaporent dans les chambres
les phrases qui nous enchantèrent
le soleil se baisse à la porte
pour pénétrer dans la pénombre.
Un souffle arrache à la forêt
quelques feuilles qu’il oublie vite
avant de les reprendre au sol
pour des envols plus imprévus.
Les roues ferrées des chars de gerbes
ont retenti le long des granges
dont la nuit attend jusqu’à l’aube
l’appel d’un sifflet de batteuse.
Notre soif descend d’heure en heure
boire à la source. Ah le travail
le finir et s’asseoir le soir
sur le bord du lit comme en rêve.
Ce matin le gel blanchit l’herbe
et le ciel est couleur de fleurs.
Ô douceur de l’hiver. Les jours
vont grandir comme des enfants.
Le clocher sonne sur la place
parmi les marchands et les bœufs
mais la carrière abandonnée
fait vivre les buissons sauvages.
N’aie pas trop peur de l’ignorance
puisqu’un révélateur viendra.
— Mais c’était lui qui te parlait.
In Théodore Balmoral, n° 49-50, printemps-été 2005
Internet
- Une page Wikipédia
- La lueur des jours, le site des amis de Jean Grosjean
- Une présentation de Jean Grosjean par Jacques Réda
Contribution de PPierre Kobel
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