Elle fut reconnue des plus grands sans jamais être beaucoup sortie d’Auxerre, sa ville natale. Elle resta célibataire toute sa vie, se vouant à l’écriture. Mais au-delà des apparences, et loin de toute spiritualité prosélyte, elle ne cessa de dire dans sa poésie, la charge du monde et de ses souffrances, refusant de s’incliner devant une fatalité. « À l’inspiration religieuse se mêlait un chant d’amour humain plein d’émotion, de pudeur, de crainte même avec un amour de la nature et des élans du cœur tournés vers l’espérance et la joie sereine. » écrit Robert Sabatier.
CHANSON
Quand il est entré dans mon logis clos,
J’ourlais un drap lourd près de la fenêtre,
L’hiver dans les doigts, l’ombre sur le dos…
Sais-je depuis quand j’étais là sans être ?
Et je cousais, je cousais, je cousais…
Mon cœur, qu’est-ce que tu faisais ?
Il m’a demandé des outils à nous.
Mes pieds ont couru, si vifs, dans la salle,
Qu’ils semblaient, — si gais, si légers, si doux,
Deux petits oiseaux caressant la dalle.
De-ci, de-là, j’allais, j’allais, j’allais…
Mon cœur, qu’est-ce que tu voulais ?
Il m’a demandé du beurre, du pain,
– Ma main en l’ouvrant caressait la huche –
Du cidre nouveau, j’allais et ma main
Caressait les bols, la table, la cruche.
Deux fois, dix fois, vingt fois je les touchais…
– Mon cœur, qu’est-ce que tu cherchais ?
Il m’a fait sur tout trente-six pourquoi.
J’ai parlé de tout, des poules, des chèvres,
Du froid et du chaud, des gens, et ma voix
En sortant de moi caressait mes lèvres…
Et je causais, je causais, je causais…
– Mon cœur, qu’est-ce que tu disais ?
Quand il est parti, pour finir l’ourlet
Que j’avais laissé, je me suis assise…
L’aiguille chantait, l’aiguille volait,
Mes doigts caressaient notre toile bise…
Et je cousais, je cousais, je cousais…
Mon cœur, qu’est-ce que tu faisais ?
In Les Chansons et les Heures
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CHANT AU BORD DE LA RIVIÈRE
La rivière qui n’est jamais finie,
Qui coule et ne reviendra jamais,
L’eau sans retour ni pardon m’a punie
Mais je ne sais pas ce que j’ai fait.
J’avais dans les mains, j’avais un cœur d’homme
— Je ne savais pas que je l’avais —
Léger sur mes doigts comme un souffle, comme
Un brin tiède et fol de duvet.
Comment si tard en mes mains sauvages,
Si prompt, si doux, avait-il volé ?
Et ces mains au vent, ces mains que ravage
L’automne, au vent l’ont laissé aller…
La rivière qui fuit dès qu’elle arrive,
Pleine sans fin d’amour offensé,
Sans fin repousse et chasse la rive
Où ma grand’faute aura commencé.
Tout le long de l’eau je cherche ma faute
Pour pleurer dessus et la laver,
Mais tout le long de l’eau l’herbe est si haute
Que je ne peux pas la retrouver.
Ce cœur en mes mains volant, ce cri tendre,
Où l’ai-je égaré ? Je l’aimais tant
Que je n’osais pas tout à fait le prendre
Ni le toucher qu’à peine en chantant.
Que j’avais peur de me dire un mensonge,
De le croire à moi, de l’éveiller
En le serrant trop, comme un cœur de songe
Qui n’est pas sûr et va s’effeuiller.
Je ne le tenais par un fil qu’à peine...
Un fil... Le vent l’a peut-être usé ?
Peut-être en tremblant de joie incertaine
Est-ce en tremblant que je l’ai brisé ?
Que je l’ai perdu ce cœur mien, pareille
À celle, ô Dieu ! qui fait un faux pas
Et laisse tomber un soir sa merveille
Son fils unique en l’eau qui s’en va,
En l’eau qui fuit, fuit, sans vouloir entendre,
L’eau que nul cri ne peut rappeler,
Et l’eau qui court, court, pour ne jamais rendre
Le flot où s’est l’amour en allé…
Je cours le long de l’eau toute l’année
Pour la rattraper… Le temps se tait.
Le ciel ne dit rien… Je suis retournée
Jusque dans l’homme où ce cœur était.
Mais je n’ai rien vu qu’un homme rapide
Qui s’éloignait en pressant le pas,
Un homme, un absent, où mon nom est vide
Et dont la voix ne me connaît pas
La rivière qui n’est jamais finie
Qui passe et ne reviendra jamais,
L’eau qui fuit pour toujours, l’eau m’a punie…
Ah ! Pour toujours, hier, qu’ai-je fait ?
In Les Chansons et les Heures
Internet
- Sur La Pierre et le Sel : Un jour, un texte : Le cœur humain selon Marie Noël, une contribution de Roselyne Fritel
- Marie Noël, à l’approche de Noël, un article de Roselyne Fritel sur Le Temps bleu
- Page Wikipédia
- Un site consacré à Marie Noël
- L’Association Marie Noël
Contribution de PPierre Kobel
De très beaux poèmes qui ne vieillissent pas . MERCI
Rédigé par : André FOUCHAQ | 16 juillet 2024 à 11:54