Quel poète fut Yves Landrein ?
On connaît le travail d’éditeur d’Yves Landrein, aussi bien aux éditions Ubacs qu’aux éditions La Part commune. Cette fois, c’est le poète que fut Yves Landrein (1948-2012) que nous voudrions présenter. À l’occasion des vingt ans de La Part Commune, la publication intégrale de ses œuvres.
« Une bibliographie à la fois rare et dense, discrète et marquée, à son image » écrit Thierry Gillyboeuf dans la préface. Cinq livres au total.
- Sources des marées, son premier recueil est publié en 1967, aux Éditions Les nouveaux cahiers de jeunesse, Bordeaux.
Le poète a 19 ans et écrit sous le pseudonyme de Sévy Valner, anagramme d’Yves et de Nerval. Ce recueil a reçu le prix Gérard de Nerval, 1967. Les marques de l’héritage de celui-ci, tout comme de Lautréamont sont très présentes dans une écriture à l’énergie prolifique et radicale.
Folie
La raison s’éteint avec la nuit.
Eros veille sur les premiers vampires.
La folie reconnaît son heure.
Le fleuve d’ennui se distrait
Aux rivages sombres de la folie.
La nuit s’effare fébrile
Aux brumes de la tentation.
Le germe du désir éclos
Pleure déjà la pureté.
L’étincelle mauvaise brûle
La virginité des âmes trop faibles.
Au fond de la bouteille vide
Bacchus nargue la folie.
Le désespoir avale la ciguë du malheur
Hoquetant de regrets morts.
Satan, lumière tamisée de l’ombre
Jubile au fond sombre du péché.
Tes yeux se posent en mon cœur
Tes yeux qui enfin me rassurent.
In La Part commune, 2018, page 29
- Les concessions nocturnes, Sévy Valner, Éditions Pierre Jean Oswald, 1975.
Ce nouveau livre d’Yves Landrein est préfacé par Jacques Prévert. Il s’agit cette fois d’une suite de sept nouvelles oniriques et nocturnes. Dédiées à sa mère. « Le rire de la nuit ». « La dame blanche ». « Les images perdues ». « La ville est une femme ». « Le désert des mers ». « L’âge de bois ». « Derrière le miroir ».
Le poète a alors 27 ans. Dans son univers mental passent des figures de l’universelle humanité : la femme, le vieil homme, la ville, l’enfant. Et le mystérieux Roi vert. Ou le vieux de la nouvelle, « L’âge de bois », qui ressemble fort, comme l’écrit Thierry Gilliboeuf, à l’homme qui plantait des arbres de Jean Giono. Avec ses accents panthéistes et écologiques avant l’heure. Ici domine l’empathie avec tout ce qui vit dans le mystère de la nuit urbaine. Voici un extrait d’une autre nouvelle, « Le rire de la nuit » :
Il fait déjà un peu nuit, des masses sombres que je crois être des trains attendent. Il pleut timidement, comme à regret, déjà. Au-delà des gares éphémères, des lampes vont s’allumer, des lampes alcôves, des lampes tortionnaires, près desquelles, des hommes, des femmes, chercheront le jour […] Une jeune fille coule dans le plaisir de la nui, traînant une foudre défendue.
Les cortèges sombres attendent toujours, un cri au cœur, un cri à naître dans la nudité des prisons qui se retrouvent. Maintenant les ténèbres sont habitées, les ténèbres prisonnières d’une jeune fille. Elle lance de grands frissons au ventre noir qui se dérobe.
In La Part commune, 2018, pages 41, 45
- Zébrures, Sévy Valner, Éditions L’Athanor, 1978.
Yves Landrein a 30 ans et a rencontré au début des années 70 Georges Perros. Une rencontre déterminante et le début d’une amitié. Il vient aussi de créer en 1976 la revue Ubacs, avec Michel Barré et Claude Bargat.
Ce nouveau recueil se présente comme une longue suite de poèmes habités par un même élan. Et toujours chez lui, l’ombre foisonnante du rêve :
C’est un peu d’eau, de sel.
Un goût d’orphelinat à l’envers des mains.
Un rite éteint. La nuit, parfois un jour trop plein.
C’est la fiancée du silence, la paupière bleue du temps, le fruit du désert. Rien. La vitre humectée de songes. La ride du souvenir qui se déchire.
La vie qui tremble l’œil sur la joue.
In La Part commune, 2018, page 154
- D’un lieu, Yves Landrein, Éditions Seghers, 1980.
Cette fois, le poète écrit sous son propre nom. L’écriture est devenue fragmentaire, plus épurée. Évocation d’un lieu ? Ou d’aucun en particulier. N’est-il pas de plusieurs lieux, le Pierrot lunaire à la Chagall qui dit : Je suis une illusion de plus sur mon carnet de rencontres ? Infinie discrétion et auto-ironie, toujours chez le poète. Parmi ces fragments, cette magnifique évocation de la mère, si présente chez lui :
l’odeur du repassage, l’allure moins lente
qu’elle ne paraît ; en fond d’autres
respirations imperceptibles. Le noir
lève un angle de l’armoire,
l’expression y germe.
la petite mère
sur la page qui a tourné les pages, dans un grain autrement mensonger. Ses rides peintes selon témoin. Enfouie, les linges l’ont-ils abandonnée à la mesure des profondeurs ? En état de confusion. Le détail d’une pierre la dissimule. Sa géographie de naguère la prolonge.
Elle portait strict. […]
In La Part commune, 2018, page 279.
- Histoire d’un cahier, Yves Landrein, Éditions Seghers, 1984
Voici le dernier recueil écrit par Yves Landrein et signé de son nom pour la seconde fois. Le livre comporte 140 pages et est constitué de 13 parties. Les vers libres et les proses poétiques s’y trouvent mêlés. Il est beaucoup question ici de disparition, de déplacements, de dégagements. On pense à Henri Michaux. Lentement l’histoire de l’enfant qui se perd parmi les vitres. Ce qui frappe au cours de ces chapitres, c’est le flottement de l’identité, la différence de rythme, de temps des verbes. L’imparfait comme dans les Illuminations de Rimbaud parle du révolu. La guerre ? On ne sait. Quelqu’un est déraciné de la cuisine familiale. Froisse des photos. Est perdu au pied des statues.
Ce livre étonne par sa puissance d’étrangeté. Ainsi, dans le chapitre X, intitulé « Là-bas », ces trois lignes, seules au milieu de la page blanche :
De grands paquebots échoués, et les remous autour, sous la lumière jaune de la cuisine. J’ai froid ? Où ? Quand suis-je ? Je murmure et il n’y a personne. Je cours, pour ne pas être l’enfant perdu à qui l’on donne des images de consolation.
Nimbé au cœur du texte, ce elle, la morte, la mère, celle dont la disparition sonne la fin de l’écriture personnelle. Mais pas le repli. Au contraire, la perte scelle le pacte qui va lier Yves Landrein à l’écriture plurielle, celle des autres qu’il n’a cessé d’accueillir comme éditeur passionné des mots.
Bibliographie partielle
- Sévy Valner / Yves Landrein, Source des marées, Les concessions nocturnes, Zébrures, D’un lieu, Histoire d’un cahier, © La Part commune, 2018
Internet
- Les éditions La Part commune
Contribution de Marie-Hélène Prouteau
Commentaires