La Pierre et le Sel : Quel est l’itinéraire personnel qui t’a conduit à la poésie ? Culture familiale ? Rencontres personnelles ? Études ?
Pas spécialement de culture familiale. Mais j’ai très tôt eu le goût des mots, des phrases que je recopiais dans des carnets. Plus tard, c’est par la chanson que la poésie s’est peu à peu imposée. Léo Ferré m’a certainement fait découvrir la poésie que ce soit celle de Verlaine, Rimbaud, Apollinaire (je l’ai vu à Monaco chanter et diriger l’orchestre lorsqu’il a créé La chanson du Mal-Aimé) Aragon, et certaines de ses chansons sont des poèmes. La découverte d’Éluard fut peut-être la plus intense. Un livre emprunté, je ne sais plus ou un poème appris, ce dont je me souviens c’est l’émerveillement. Les thèmes, les images, le travail sur les mots… J’ai lu tout ce que je pouvais trouver !
Mes études de Lettres à l’université de Nice n’ont fait que renforcer cette attirance. Découverte d’Apollinaire, sans doute celui qui m’a le plus marqué. Après la licence j’ai fait une maîtrise sur « la poétique de l’élémentaire dans l’œuvre d’Apollinaire ». Ce qui m’a permis de plonger dans la matière du poème, mesurer le « travail ». C’est vraiment un immense poète.
Les collages de vers de différentes périodes, les calligrammes, l’absence de ponctuation, son lien avec les peintres, la peinture, ce pont entre les arts qu’il soulignait, car certes il n’était pas le premier, mais pour moi c’était fascinant.
Autre rencontre déterminante, la découverte, grâce à l’ouvrage de Jean-Pierre Richard, 11 études sur la poésie moderne, de Philippe Jaccottet.
Prose poétique, vers rimés, libres, c’était une voix juste qui me parlait, que j’entendais. Elle m’a habitée constamment pendant les trois ans de mon doctorat effectué sous la direction de JP Richard, durant lequel j’ai tenté de cerner L’imaginaire du végétal dans l’œuvre de Philippe Jaccottet. La poésie tenait désormais une place déterminante dans mon rapport au monde.
Vaste
la feuille dé pliée étale
là si près
la blancheur d’un espace
Les mots y dessinent un chemin
brisent le silence
inscrivent des lieux
des instants fugaces fragiles
que l’on retient
au bord de la page
que l’on tente de restituer
Concordance de bruits
de parfums de lumière
Temps soudain suspendu
Une porte s’ouvre
Vers quoi
On l’ignore pourtant
On persiste
Peut-être
une intensité recueillie
On s’aventure
en singuliers parcours
avec ces mots
compagnons de voyage
Ils affirment
parfois même nous révèlent
la réalité de nos pas
Ces mots de lavande
et de thym
accrochés aux talus des sentiers
dans le bleu de nos jours
ces mots auxquels on croit
comme on tend une main
In Traversée nomade, © Sous la Lime
La Pierre et le Sel : Quelle place occupe aujourd’hui la poésie dans ton existence ? As-tu d’autres activités d’écriture ? D’autres activités de création artistique ? Si oui quelles sont les interactions avec l’écriture poétique ?
Il ne se passe pas un jour sans que je lise ou écrive (parfois les deux) de la poésie. Il m’arrive d’écrire des articles, des recensions, des récits de voyage, d’expérience comme celle que je raconte dans les étoiles d’Imoudal (Revue Étoiles d’encre, Éditions Chèvre feuille étoilée). Mais, spontanément, c’est vers la poésie que je me tourne, lorsque quelque chose me retient et cherche à naître sur la page.
Pourquoi la forme poétique ? Elle oblige à aller à l’essentiel, car elle reste dans l’épure, elle exige une grande attention aux mots, aux rythmes, aux sonorités, aux images.
Elle fait appel à tout notre être, pas uniquement notre intelligence.
Je crois surtout que la poésie change notre regard. On porte un regard différent sur ce qui nous entoure, on n’accepte pas le réel tel qu’il s’offre à nous il me semble qu’on questionne, interprète, associe, bouscule…
Tu avais choisi
Tu avais choisi
De dénouer les larmes
D’emporter
Dans la poche du soir
Un parfum de bonheur
D’apercevoir
Dans le creux de sa main
Les lignes d’un chemin
In Traversée nomade, © Sous la Lime
Parallèlement, mais avec moins d’assiduité (questions d’espace, de temps), je peins, je dessine à l’encre de Chine. Depuis peu je travaille avec des encres typographiques, du pastel. Singulièrement, ou sans doute est-ce logique, je me suis
rendu compte que mes encres prolongeaient mes poèmes. Sur certaines, je colle des poèmes inscrits sur des calques, d’autres figurent dans mes recueils.
Je ne cherche pas à représenter le réel, j’essaie de créer un lieu imaginaire, une atmosphère, un univers dans lequel chacun peut se projeter. Non pas imposer un regard, un sens, mais suggérer, ouvrir un espace.
Saxifrage
Rocher où s’arrêtent
nos pas
Mur dressé âpre
à la main figée
Noir de peine
de silence
le cœur s’écorche à
cerner ses contours
trop dur trop lourd
inutiles discours
Trouver la faille
Chercher l’entaille
Là dans le roc
l’espérer
Voir le silence se lever
dans la rumeur rose du jour
dans la brume blanche
la cendre égarée
la voix distante
insistante des oiseaux
Dans ces mots heurtés
à la poignée de l’aube
apercevoir frêle une tige
quelques pétales
un éclat
dénouer l’ombre
s’aventurer
Poème inédit
La Pierre et le Sel : Quels sont les poètes, contemporains ou du patrimoine, qui te sont proches par leur écriture ? Quelle place accordes-tu à la lecture des autres poètes dans votre travail personnel ?
Je lis de nombreux poètes contemporains. Difficile de les nommer tous !
Je relis aussi beaucoup. On peut admirer, aimer une écriture tout en en étant soi-même très éloignée.
Aragon, Saint John Perse, Ritsos, Reverdy, Loran Gaspard, Juarroz sont des poètes que je lis, relis, avec toujours autant de bonheur. Mais il faut surtout trouver sa voix, loin des « modèles », dans ce qui va tenter d’être le plus juste par rapport à ce que l’on ressent, que l’on veut dire, partager peut-être !
La Pierre et le Sel : Même si tu n’enseignes plus, les problèmes relatifs à l’enseignement te tiennent toujours à cœur ? Que penses-tu de la place de la poésie à l’école ?
Spontanément, je serais tentée de dire : presque inexistante ! Or ce serait injuste pour tant d’instituteurs, de professeurs qui se démènent pour qu’elle survive. Ne serait-ce que dans l’apprentissage par cœur de poèmes, car c’est là que l’école peut espérer réduire les différences de classes sociales. Se forger une culture c’est pouvoir choisir. Or comment choisir si l’on ne possède pas des éléments de comparaison ?
Par ailleurs, tout dépend de l’enseignant. En primaire, j’ai été invitée dans des classes de tous les niveaux. Si le maître ou la maîtresse sont convaincus de l’importance de la poésie, les enfants adhèrent et ce sont des instants rares certes, mais qui resteront mémorables pour l’enfant.
Dans le secondaire et surtout au lycée, la plupart des collègues rejettent en fin d’année « l’objet poésie » ! la plupart du temps ils transmettent davantage des techniques d’analyse, ce qui est au programme, que de « passion ». Sans doute parce qu’à travers la poésie on craint de livrer une part de soi-même. On perçoit souvent une gêne, une crainte de l’interprétation, d’où cette présence si fugace de la poésie dans les cours de littérature. Bien entendu, il y a des exceptions ! De plus en plus de professeurs font intervenir des poètes, montent avec eux des ateliers. C’est toujours une découverte pour les élèves et la plupart du temps ils s’aperçoivent que ce qu’ils pensaient illisible devient non seulement lisible, mais leur plaît !
La Pierre et le Sel : Fais-tu des passerelles entre ton écriture et les voyages que tu fais ainsi qu’avec les actions que tu mènes auprès des femmes du Maroc ?
Les passerelles se font par l’écriture, je prends toujours des notes. Celles-ci pourront peut-être un jour devenir poème. Tu fais allusion à l’Atelier « Les étoiles d’Imoudal »dont j’ai le récit dans la revue Étoiles d’Encre, aux éditions Chèvre feuille étoilée. En fait là j’ai répondu à une demande de Marie-Noëlle directrice de la publication de la revue.
La Pierre et le Sel : Tu as déjà publié chez divers éditeurs ? Comment les as-tu rencontrés ? Qu’attends-tu d’eux au-delà de la publication ?
Le premier éditeur, Hélices, en l’occurrence Emmanuel Berland, par courrier. Une adresse qu’un ami m’avait donnée. Vincent Rougier, Robert Lobet sur le marché de la Poésie place Saint Sulpice, et en envoyant mon manuscrit. Daniel Repoux par l’intermédiaire de Bruno Doucey, Dominique Sierra à une lecture faite par Cécile Ouhmani.
Au-delà de la publication, des liens amicaux se nouent.
La Pierre et le Sel : Que penses-tu du rôle des revues ?
Très important. C’est d’abord en revue qu’on publie, qu’on parvient peu à peu au cours de lecture que ces mêmes revues organisent, à partager, à rencontrer d’autres poètes, puis des éditeurs. De même en lisant des revues on découvre soi-même de nouvelles voix.
La Pierre et le Sel : Quelle est ton opinion quant à l’état de la poésie en France, et particulièrement de la petite édition ?
Quand je participe à des lectures, des salons, je ne peux que constater le grand nombre de petites maisons d’édition. Des hommes et des femmes passionnés, courageux qui se démènent et s’investissent pour que la poésie circule. Mais peu ou pas de place dans les médias, donc dans les librairies, d’où sa marginalisation. Paradoxalement dès qu’on fait une lecture et que des gens arrivent par hasard, qu’ils écoutent, ils sont souvent conquis.
La Pierre et le Sel : Utilises-tu Internet en relation avec la poésie ? As-tu un site personnel, un blog ? Consultes-tu ceux des autres ?
Très peu honnêtement. Je n’ai ni site ni blog et je ne consulte que très rarement ceux des autres, à moins qu’on ne m’y invite expressément.
La Pierre et le Sel : Quels sont tes projets à venir ?
Poursuivre les « cafés poésie » créés il y a 6 ans. Mon but était de faire découvrir la poésie contemporaine en invitant des poètes que j’aimais à lire leurs poèmes, convier les éditeurs à vendre leurs ouvrages. J’ai ainsi créé une Association, Métaphores. Cela me permet de nous réunir, d’inviter des musiciens et de partager un moment convivial ensuite. Plus de soixante poètes ont pu ainsi dire leurs poèmes, devant un public devenu très fidèle. Le prochain aura lieu à la Fondation de Monaco, à la Cité Universitaire de Paris, le jeudi 8 novembre prochain.
Daniel Repoux, des Éditions sonores Sous La Lime, qui avait réalisé Traversée Nomade, un recueil de poèmes dits par ce formidable comédien qu’est Claude Aufaure, m’a proposé une nouvelle aventure : lire les poèmes d’un de mes derniers recueils, Rumeurs du Monde, sur une création musicale de Benjamin Lauber. Un CD devrait sortir au mois de mars 2019.
Aux Éditions La tête à l’envers un autre recueil devrait voir le jour dans un avenir proche.
Plus proche de nous, la revue Étoile d’Encre, Éditions Chèvre Feuille Étoilée, m’a invitée comme artiste dans son numéro qui sortira en novembre. Marie-Noël Arras m’a fait le grand honneur de mettre en couverture une de mes encres.
Une exposition aura lieu à la Librairie L’Autre Livre, 13 rue de l’École Polytechnique, 75005, du 1er au 14 novembre 2018.
Quand s’entrouvre la nuit
elle dépose ses mots
sur la soie des pinceaux
s’aventure sans bruit
vers d’étranges tableaux
où les couleurs se fondent
où les rives s’estompent
Quand s’entrouvre la nuit
elle suspend aux rameaux
un treillage de pluie
fontaine de paroles
feuillage d’oublis
ruissellement sonore
tissage d’éclaircies
Quand s’entrouvre la nuit
elle inscrit les lambeaux
de rêves déchirés
d’ espoirs désertés
puis sur la toile fine
lentement imagine
ritournelles rengaines
berceuses mélodies
elle laisse derrière elle
un rideau d’étincelles
pour éclaircir le ciel
In Faire un trou à la nuit, © La tête à l’envers
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Contribution de PPierre Kobel
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