Le poème
n’est pas
seulement
le poème
mais la mémoire
préservée
du monde…
On tisse
des mots
on creuse
le silence
on s’entête
comme si
on était là
pour toujours
In La Revue des Archers, n° 8, 2005
Lorsque Bernard Mazo disparaît brutalement en juillet 2012, il laisse derrière lui les recueils qui constituent l’œuvre personnelle d’un demi-siècle d’écriture. C’est cette œuvre complète que les éditions Jacques André ont éditée en 2018. L’édition préfacée par Jean Orizet et Max Alhau, établie par Jean Poncet et enrichie par le pinceau de Hamid Tibouchi, retrace un parcours d’écriture qui va de 1967 à 2012, une écriture qui traduit souvent les inquiétudes de Mazo quant au monde, ses doutes et son désespoir. L’homme avait des activités multiples et débordait d’énergie. Dans le domaine de l’écriture, il ajoutait à son œuvre personnelle un inlassable travail de passeur. Journaliste pour Aujourd’hui poème, collaborateur à Europe, biographe de Jean Sénac dont il partageait le tragique, animateur très présent à Sète pour le festival Voix Vives, il savait aussi reconnaître l’émergence des plus jeunes, établir des passerelles avec les autres arts.
C’est ainsi que Bernard Mazo savait faire face aux ombres de l’esprit.
Que reste-t-il des poètes sinon leurs textes ? C’est ainsi qu’ils restent vivants au-delà de leur disparition. La publication des œuvres de Bernard Mazo en est une démonstration. Le déroulé de son écriture au fil du temps les inscrit dans une permanence qui dépasse sa personne, celle des questions, des fragilités, des incertitudes autant que des convictions qui nous fait hommes et donne un souffle à l’intellect de nos expressions, qui transmue le discours intérieur en art.
Vivre
Il faut dire
Que la vie n’est pas simple
Il faut dire
Que dans la nudité du matin
Il est lourd parfois le poids des choses
Et qu’il faut continuer
Durer pourtant
Jusqu’à l’extrême zone du vivable.
In Passage du silence, © Rougerie,1964
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Liberté
Où est le vent
Où est la parole qui me délivrera ?
Je vis prisonnier d’un état sans mémoire
Temps aboli que ne traverse nulle colombe
Ô pays marin pavé de froids soleils
Où des oiseaux vont déliant des pouvoirs du sommeil
Mais les hauts murs seront écartés et toutes entraves déliées
J’irai tremblant de n’être plus au ras des choses
Comme la mouette épouse l’espace
Parmi les ombres légères et l’odeur de la mer.
In La chaleur durable, © Rougerie,1968
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1
La poésie n’est pas celle que l’on peut circonvenir. La poésie n’a pas de comptes à rendre. Elle tisse son espace avec des mots indestructibles. Ni le temps ne l’arase ni moins encore les hommes déroutés de leurs rêves.
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4
Elle n’a pas d’offrandes particulières à nous faire. Si parfois elle nous requiert, c’est à son corps défendant et certes pas pour nous attacher à elle car ivre d’une beauté qui, tout à la fois, la meurtrit et la consume, elle n’a que mépris pour ceux qui voudraient la séduire.
In La parole retrouvée, © Saint-Germain des Prés, 1985
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J’écris seulement
J’écris seulement pour vous sauvegarder
tendres respirations
suspendues dans le tourbillon des heures
J’écris seulement pour vous préserver
battements obstinés du cœur
cloués dans le tumulte des jours
J’écris seulement pour vous protéger
choses éphémères de la vie
emportées dans les remous du temps
J’écris seulement pour vous
mes pâles compagnons de voyage
et tous ceux que je ne connais pas encore.
In Le froid mortel de l’exil, © Rougerie,1998
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En ces temps-là les hommes ne se nourrissaient pas de certitudes. La clarté assourdissante d’un soleil immuable leur tenait lieu de croyance.
Les oiseaux, vigies sereines, gardaient les frontières d’un pays qui était sans limite, tandis que nous allions, épaule contre épaule, vers des contrées lointaines, avec dans les yeux l’éclat trouble d’un bonheur intraduisible.
In Le froid mortel de l’exil, © Rougerie,1998
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L’espoir est une veilleuse fragile
Sur cette terre vouée au désastre
Nous tenons nous résistons
Nous nous arc-boutons
Contre vents et marées
Car il faut persister sans fin
Dans l’âpreté des jours
Comme si l’on ne devait jamais mourir
Dans ces poèmes ce n’est pas moi qui vous interpelle
Dans ces poèmes ce n’est pas ma voix que vous entendez
Mais ce qui me traverse et me maintient :
L’ombre désespérée de la beauté
Cet espoir infini au cœur des hommes
Car entre nos mains qui tremblent
Cette petite lueur d’espoir
Est une veilleuse fragile
Au cœur de la nuit carnassière
In La cendre des jours, © Voix d’encre, 2009 – Prix Max Jacob 2010
Internet
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Page Wikipédia
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Sur le site Tipaza | À Bernard Mazo
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L’Oiseau de feu du Garlaban | Le souvenir de Bernard Mazo par Jean-Luc Pouliquen
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Dans La Pierre et le Sel : Bernard Mazo, dans la chaleur partagée de la poésie par Roselyne Fritel
Contribution de PPierre Kobel
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