Je caresse la matière de ces pages. Les feuilleter avec précaution, ne pas les tourner trop vite. Elles risqueraient de tomber en poussière. Les années ont passé. On n’a plus beaucoup de temps tous les deux. Maintenant que les circonstances familiales m’amènent à me séparer du vieux livret, vient l’idée de retrouver ce qui a été perdu. Le chemin qui fut le sien, qui sait, les présences qui l’habitent. Avancer pour cela dans la fréquentation des livres et des archives.
Extrait p.23
Marie-Hélène Prouteau est de ces auteurs dont la prose ne cesse d’être traversée et nourrie par la poésie. Qu’elle évoque la petite plage de son enfance, Nantes la ville aux maisons qui penchent ou qu’elle s’intéresse aujourd’hui avec ce Cœur est une place forte à la mémoire familiale et collective, aux désastres de la guerre sur les esprits, c’est toujours en référence à des poèmes qu’elle donne de la substance à son propos et accompagne ainsi son travail documentaire. Tout part ici du livret militaire de son grand-père qu’il perdit durant les combats de la Première Guerre mondiale et qui fut rendu à sa famille en 1961 après qu’on l’ait retrouvé avec bien d’autres au domicile d’un prêtre qui les collecta pour les préserver des Allemands. Anecdote familiale qui donne à Marie-Hélène Prouteau le prétexte de se pencher sur ce que furent les horreurs des combats durant des mois et comment la population civile sans distinction de sexe et d’âge fut soumise aux exactions cruelles de militaires à l’esprit égaré et devenu de sordides bourreaux.
Les tessons enflammés et la poussière pleuvent en averse – le peuple gémit.
À force d’entasser les cadavres, c’est un mur de corps que l’on élève – le désastre engloutit tout pêle-mêle.
Le peuple gémit.
Ur détruite. L’évidence, soudainement, on quitte la troisième Dynastie, ses énormes murailles de brique. Ses palmeraies, ses champs fertiles et ses canaux saccagés dans des nuées de poussière. Le désastre n’a plus nom Mésopotamie. C’est Brest, Maissin, Hambourg, Beyrouth, Sarajevo et Alep ravagées. Le vaste monde des villes en guerre émerge.
Extrait p.102
À cette quête pour retrouver la mémoire d’un grand-père mort avant sa naissance, Marie-Hélène Prouteau ajoute ses propres souvenirs quant à d’autres combats qui, de sa ville natale, Brest, à d’autres lieux martyrs tels Dresde, Sarajavo, ont détruit et tué. Et c’est là que la parole poétique vient traverser sa démarche, la soutenir et donner un écho résistant à ces drames. C’est le War Requiem de Wilfred Owen, c’est la parole inaltérable de Celan à qui elle emprunte le titre de ce livre. Et d’écrire : « Le poète dit l’insoutenable. Dit tout ce qui fut volé à ces hommes. Le visage des filles, la paix de la nature, la grâce ténue de chaque vie. »
Un livre écrit à la frontière poreuse de la quête mémorielle et de la poésie comme si cette dernière infusait la première pour garder le verbe haut, au-delà du désespoir.
J’écris sur les livres perdus dans la bataille.
[…] Je scrute les pierres arasées. C’est là, parmi les pierres : là, dans la patience de la poussière s’obstinent les particules de courage.
[…] C’est une écriture de fouilles. Un rien chiffonnière sur les bords.
[…] Écrire sur les déblais de vieux remparts dégagés des décennies après. Sur les puits d’ombre glacés où l’on entre en tremblant. Nos semelles sur les pavés de la mémoire. Là, les choses attendent dans leur insistance butée. Une levée de figurants s’avance et nous fait signe de leur mémoire pierreuse.
[…] Clameurs confuses, mots chuchotés. Ramener au jour ces bribes de vies revenantes. Se souvenir de la lumière qu’elles ont sauvegardée, aux heures noires.
Extraits p.140-141
Bibliographie partielle
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Marie-Hélène Prouteau, Le cœur est une place forte, © La Part commune, 2019
Internet
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Page Wikipédia | Marie-Hélène Prouteau
Contribution de PPierre Kobel
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