Hanshan (v.584 – v.704)
La nuit étoilée
Par une nuit étoilée, le ciel semble gagner en profondeur ;
la lune, avant de disparaître, brille sur la falaise comme une lampe solitaire.
Toute ronde et brillante, elle s’apparente à un miroir clair même non poli,
fixée au ciel, c’est en fait mon cœur.
In Si profonde est la forêt, Anthologie de la poésie des Tang – © Les Deux-Siciles, 2020
Traduction de Guomei Chen
Il y a des coïncidences qui se méritent. À l’heure où J.M.G. Le Clézio est l’invité de tous les plateaux culturels et littéraires pour présenter Le flot de la poésie continuera de couler, le livre qu’il consacre à la poésie chinoise de l’ère Tang, Guomei Chen publie aux éditions des Deux-Siciles, Si profonde est la forêt, une anthologie de la même poésie. La notoriété de l’un n’enlève rien à la qualité du travail de l’autre. Guomei Chen nous a accordé un entretien dans lequel elle nous explique l’histoire de son projet.
La Pierre et le Sel : Tout d’abord peux-tu nous dire quel est l’itinéraire personnel qui t’a conduit de ta Chine natale en France où tu es aujourd’hui tout à fait installée ? Culture familiale ? Rencontres personnelles ? Études ?
J’ai passé une maîtrise d’anglais en Chine et choisi le français comme langue vivante. Mon mémoire portait sur la re-création dans la traduction poétique chinoise anglaise. Il s’agissait de traduire la poésie classique chinoise en anglais dans une optique créative et rénovatrice, tout en restant fidèle au texte original. C’est en rédigeant ce mémoire que m’est venue l’idée de poursuivre mes études universitaires en France pour devenir plus tard traductrice trilingue.
La Pierre et le Sel : Quelle place occupe aujourd’hui la littérature et particulièrement la poésie dans ton existence ? As-tu des activités d’écritures personnelles en sus de la traduction ? As-tu d’autres activités de création artistique ?
Depuis que je suis adolescente, la littérature, et en particulier la poésie, tient toujours une place importante dans mon existence. Je lis, je voyage, j’écris, je traduis ; de longue date je me suis accoutumée à ce rythme de vie attrayant, passionnant même. Bien que j’aie écrit des poèmes et de courts essais au fil du temps, directement en chinois ou bien en français, je n’ai toujours pas eu l’occasion de réunir l’ensemble de ces textes pour composer un livre. Mise à part la traduction, je pratique également la calligraphie et la peinture chinoise, restant fidèle à ce que j’ai pu apprendre, tout enfant que j’étais.
La Pierre et le Sel : Quels sont les poètes, contemporains ou du patrimoine, qui te sont les plus proches ? Parviens-tu, malgré l’éloignement, à conserver un lien avec la littérature chinoise contemporaine ?
Franchement, je n’arriverai pas à préciser quels sont les poètes qui me sont les plus proches, je les apprécie pour leurs qualités stylistiques d’abord et pour le sens véhiculé. Il n’y a pas de scission me concernant entre les anciens et les modernes, sauf d’un point de vue formel. À souligner aussi que la poésie n’a pas de frontières et n’est pas enclose dans un strict registre temporel. On peut aimer Les Yeux noirs de Gu Cheng (mort dans les conditions que l’on sait, en 1993) et la poésie classique de Wang Wei (mort en 761), dont l’un des vers a donné le titre au livre que je viens de publier.
Wang Wei (701-761)
Chant d’oiseau au-dessus d’un ruisseau de montagne
Oisif, je remarque la chute des fleurs de l’olivier à thé.
Si paisible est la nuit, et la montagne, comme déserte au printemps.
La lune vient à paraître, éclairant la vallée.
Surpris, les oiseaux pépient de temps à autre.
Ibid
Depuis que j’ai quitté la Chine en 2005, il est vrai que je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de rester en lien direct avec les auteurs qui constituent notre paysage littéraire, mais je continue à lire leurs œuvres, au fil de l’eau, à l’autre bout du monde. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, le courant continue néanmoins à passer, vaille que vaille. J’espère aussi qu’un jour, mes traductions seront également appréciées en Chine.
La Pierre et le Sel : Tu viens de publier aux éditions Les Deux-Siciles Si profonde est la forêt, une passionnante anthologie de la poésie des Tang. Comment est né ce projet ? Quel est ton attachement particulier pour cette poésie ? Et en quoi te semble-t-elle propre à avoir des résonances encore avec le monde contemporain ?
J’ai commencé à traduire la poésie des Tang pour la revue Diérèse en 2012, des poèmes choisis d’une dizaine de poètes y ont paru. Avec la naissance de mon premier enfant, un moment fort dans ma vie, mes études doctorales sur Bernard-Marie Koltès, mes traductions ont été impactées. Ce n’est qu’une fois que mon second enfant a été scolarisé que j’ai pu ainsi mieux m’investir dans le domaine poétique en particulier, domaine qui m’est cher, et mener à bien le projet en cours, laissé en veilleuse quelques années durant. Pour ajouter à ma motivation, force a été de constater que les anthologies de la poésie chinoise classique que l’on peut trouver dans le commerce actuellement en France ont été traduites soit avant les années 90, mais pas en bilingue, et sans la présentation détaillée des auteurs, ce qui me semble important, car le lecteur occidental n’est pas à même de noter les correspondances entre la vie des auteurs et leurs œuvres. De plus, l’ordre chronologique n’y est généralement pas respecté, et le contenu afférent n’embrasse pas les quatre périodes constitutives de la dynastie Tang, bien distinctes.
Li Bai (701-762)
Assis seul sur le Mont Jingting
Dans le ciel, tous les oiseaux prennent leur envol,
quand un seul nuage passe, en flânant.
Il n’y a que le Mont Jingting et moi
pour nous voir sans jamais nous quitter du regard.
Ibid
De tout temps la dynastie Tang a été considérée comme l’âge d’or de la poésie classique chinoise. Pour les poètes de cette époque, souvent malheureux, l’écriture leur permettait de donner une autre dimension à leur existence par le biais de la poésie, à laquelle ils se donnaient corps et âme, ce d’autant plus qu’ils n’étaient pas en mesure de concrétiser leur ambition politique, voire militaire dans le commun des jours. Pour ces auteurs, la poésie est un miroir fidèle, une réflexion de soi à soi, nourrie par leur expérience. Cette attitude idéaliste contraste bien évidemment avec les options matérialistes du monde, à travers l’histoire et les institutions sociales qui en sont le fruit.
La Pierre et le Sel : Tu es proche de la revue Diérèse dont le maître d’œuvre est ton mari Daniel Martinez. De ce fait quelle est ton opinion quant à l’état de la poésie en France et particulièrement de la petite édition ?
En France, comme un peu partout dans le monde, la place octroyée à la poésie est malheureusement bien minime, voire sous-estimée. De nos jours, les poètes ne vivent que très rarement de leur plume, et se voient contraints d’exercer des métiers très divers, dans l’enseignement plus qu’ailleurs. La poésie en France est tributaire de cet état de fait. Une scission s’est opérée à partir du surréalisme, avec un lectorat qui est allé se raréfiant. Dans le même temps, passé les avant-gardismes, il a bien fallu que se recréent deux courants non pas opposés, mais complémentaires : les classiques et les novateurs, rattachés à des maisons d’édition dédiées. De grands noms traversent l’histoire de la poésie en France, au vingtième siècle en particulier : Guillaume Apollinaire, René Char, Henri Michaux, Yves Bonnefoy… Ce dernier auteur laisse un grand vide et je ne vois pas trop de relève assurée dans les temps présents, tant les jeunes poètes ont à pâtir du talent de leurs aînés tutélaires.
Jia Dao (779 - 843)
À propos d’un poème
Trois années durant, j’ai composé ces deux vers,
à les réciter, toujours des larmes me viennent aux yeux.
Si jamais mon ami fidèle ne les estime à leur juste valeur,
je me retirerais dans la montagne pour y dormir sous le vent d’automne.
Ibid
Pour les petites maisons d’édition, elles survivent tant bien que mal selon les moyens qui sont les leurs, souvent conditionnés par les subventions étatiques ou régionales. De grands noms dans la poésie ont dû d’abord passer par de petites structures pour se faire connaître, vu les difficultés qu’il y a à se faire publier sans parrainage d’un aîné. C’est bien ici le berceau des grands poètes.
La Pierre et le Sel : Utilises-tu Internet en relation avec la poésie et ton travail ? As-tu un site personnel, un blog ? Consultes-tu ceux des autres ?
Actuellement, l’Internet est très utile pour faire entendre sa voix et communiquer librement, en particulier pendant cette période de confinement, où toutes les bibliothèques sont fermées. En ce qui concerne la traduction, on trouve aussi des dictionnaires en ligne qui peuvent servir de point de départ, mais rien ne remplace un bon dictionnaire, un outil de travail que je privilégie, bien naturellement. Les logiciels ont leurs limites, il suffit d’en être conscient.
Pour le moment, je n’ai pas de site personnel ni de blog, car il me faudrait plus de temps que je n’en ai pour les tenir à jour. En revanche, je lis volontiers et régulièrement les blogs amis, comme Terre à ciel ou La Pierre et le Sel, des blogs que j’apprécie beaucoup, par leur ouverture sur le monde des lettres, si précieuse et si documentée par ces temps de vaches maigres du côté des médias traditionnels, journalistiques ou télévisuels.
La Pierre et le Sel : Quels sont tes projets à venir ?
Ces temps-ci, j’ai deux projets en cours, le premier est une anthologie de la poésie des Song (960-1279), autre sommet de la poésie chinoise classique après la dynastie Tang ; le second est une anthologie moderne (1912-1949), débutée l’an passé dans la revue Diérèse, avec Dai Wangshu, juste après qu’ait eu lieu le Marché de la poésie. Il me faudra trois ou quatre années pour arriver à concrétiser ces projets, qui me tiennent à cœur.
Yu Xuanji (v.844 – v.871)
Ode aux saules au bord de la rivière
Tout au long des rives désertes le feuillage des saules s’épand,
les tours lointaines sont à peine visibles entre les branches.
Les arbres se mirent dans l’eau à l’automne,
une fleur tombe sur la tête d’un pêcheur.
Leurs racines plongent profondes dans l’onde où vaguent les poissons ;
les branches ploient vers un bateau de voyageur amarré.
Une nuit de vent et de pluie,
réveillée alors que je rêvais, la tristesse s’est emparée de moi.
Ibid
Internet
Contribution de PPierre Kobel