La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Ce mois de mai 2025, les éditions Bruno Doucey fêtent leur 15 ans d’existence. Une longue aventure que j’ai partagé depuis ses débuts par l’amitié et des collaborations. C’est l’occasion durant quelques jours de célébrer cet anniversaire en mettant le projecteur sur les livres et les auteur(e)s de cette maison, emblématique de l’engagement et de la vitalité de la poésie la plus contemporaine, de l’ouverture au monde et du souci de le préserver contre les rapaces et les destructions de toutes sortes.
Murielle Szac
Les colonnes d’un temple
tutoient le ciel
un caïque nonchalant
au loin une île-forteresse
soleil levant
soleil couchant
petits cubes blancs dômes turquoise
et partout
la mer la mer
Clichés pour touristes
cartes postales au romantisme affecté
peu m’importe
je prends mes ciseaux
découpe les images
les colle sur mes cahiers
les recouvre de plastique
ne pas abîmer le rêve qui naît
cette mer cette mer
J’ai onze ans
j’ai douze ans
j’ai treize ans
et déjà ton bleu dans mes veines
Le papier des magazines jaunit vite
Sous les photos un slogan publicitaire
fleure bon les années soixante-dix
La mer a un pays la Grèce
Je sais déjà qu’Aphrodite
a surgi du ventre de la mer
et qu’Ulysse
bravant naufrages et tempêtes
est revenu d’entre les morts
où il a vu sa mère
je sais qu’un cheval creux peut sauver des vies
et en briser autant
je sais que sous les racines de l’olivier
poussent nos mots de tous les jours
vestiges d’amour
je sais déjà que la Grèce
c’est la mer
Je ne sais pas encore
que ce sera aussi ma terre
In Elles ont surgi d’une vague, © Bruno Doucey, 2025
***
Arthur Scanu
C’est le printemps
Les plantes reverdissent
les oiseaux nidifient en revnant d’Afrique
les jours sont de plus en plus longs
dehors
on pourrait presque en tendre les amours naissantes
un bisou sur la joue qui touche aussi les lèvres
on mange les premières fraises
avec les yeux fermés
pour pouvoir faire un vœu
et la poussière accumulée pendant l’hiver
a disparu
c’est le printemps
les blés les vignes les plants de tomates
sont obsédés par le soleil d’avril
bientôt les tournesols les parasols
tourneront lentement les jours de canicule
on attend les cigales
le bruit bleu des glaçons dans les verres en terrasse
c’est le printemps tout ressuscite
les nuages ont pris la forme des lendemains tendres
et nous avons pour nous ce printemps qu’on connaît
et qu’on n’épuisera jamais
même en vivant plusieurs fois centenaire
donc il faut qu’on survive
avec nos cicatrices et nos corps fracassés
pour continuer de voir que tout renaît
même nous
surtout nous
un peu plus chaque jour
In Second souffle, © Bruno Doucey, 2025
Internet
-
Wikipédia | Murielle Szac
-
Éditions Bruno Doucey | Arthur Scanu
Contribution de PPierre Kobel