La Pierre et le Sel
part en vacances et fait une
pause entre Noël et le Jour de l'An
Bonnes fêtes de fin d'année à tous !
« novembre 2011 | Accueil | janvier 2012 »
La Pierre et le Sel
part en vacances et fait une
pause entre Noël et le Jour de l'An
Bonnes fêtes de fin d'année à tous !
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Le XIXe siècle n’a guère rendu justice au talent de Gérard de Nerval, qui l’a considéré comme un écrivain mineur, doux et gentil rêveur, dont les œuvres les plus ambitieuses, comme les Chimères, sont restées, à cette époque, méconnues et incomprises.
Le XXe siècle, plus réaliste, a rendu à ce poète, la place qu’il mérite, une des toutes premières.
Ses primes années sont marquées par la mort de sa mère, survenue en Silésie, où elle avait suivi son époux, médecin militaire de Napoléon.
Recueilli par son grand-oncle maternel, il vit dans le Valois, jusqu’en 1814, puis il est récupéré par son père, à Paris, où il fait ses études secondaires au collège Charlemagne.
L’été, il passe ses vacances en province, dans sa famille paternelle ou maternelle. C’est, au cours d’un de ces séjours qu’il tombe amoureux d’une de ses cousines sans être payé de retour. Première désillusion sentimentale, mais qui ne sera pas la dernière. Et comme tout négatif a son revers, il semble que ces insuccès sentimentaux aient contribué, dans une certaine mesure, à nourrir de délicate nostalgie son inspiration poétique.
Ainsi les trois quatrains suivants :
Elle a passé la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.
C’est peut-être la seule au monde
Dont le cœur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D’un seul regard l’éclaircirait !
Mais non, ma jeunesse est finie…
Adieu, doux rayon qui m’a lui,
Parfum, jeune fille, harmonie…
Le bonheur passait, il a fui !
In Odelettes, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
Ses études terminées, il mène à Paris une vie frivole et insouciante, et, en compagnie de Théophile Gautier, son condisciple de Charlemagne, fréquente le « cénacle » de Victor Hugo, participe à la bataille d’Hernani et se mêle à la bohème artiste des « Jeune- France ».
En 1834, il reçoit un petit héritage, qui lui permet de s’installer, impasse du Doyenné, dans un hôtel, qu’il meuble avec goût, et où il traite son groupe d’amis avec munificence.
C’est à cette époque, qu’intervient, dans sa vie sentimentale, une deuxième désillusion. Parmi les amis fréquentant son hôtel, il remarque une jeune comédienne et chanteuse, Jenny Colon, à qui il voue d’abord, une admiration silencieuse, puis plus active. Il s’ensuit une idylle, mais bien trop courte, au gré du soupirant, la belle préférant au romanesque, un mariage de raison avec un flûtiste de l’Opéra-comique.
Le tonneau des Danaïdes ayant parfois un fond, l’héritage est bientôt croqué, et le poète doit, pour survivre, faire des travaux d’écriture alimentaire pour des libraires, des journaux ou des directeurs de théâtre.
C’est à cette époque, qu’il commence à se passionner, de façon un peu délirante, pour les sciences occultes, alchimie, pythagorisme, pouvoir des nombres, harmonie des couleurs etc.…
Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toutes choses ?
Des forces, que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant : ...
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d'amour dans le métal repose :
"Tout est sensible ! " - Et tout sur ton être est puissant !
Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie :
À la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à un usage impie !
Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres !
In Les Chimères, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
Et comme Rimbaud, un peu plus tard, il part, en 1843, faire un voyage en Orient, d’Egypte au Liban, s’intéressant au passage à la religion des Druses.
A son retour, son esprit exalté le voue délibérément aux recherches ésotériques et l’amène à collaborer à des revues occultistes.
Dès 1841, cependant, il avait dû être interné pour troubles mentaux dans la clinique du docteur Blanche. Les crises vont se succéder, à intervalles plus ou moins rapprochés, avec des périodes de répit, au cours desquelles, conscient de son état, il travaille d’arrache-pied. Les deux dernières années de sa vie seront les plus fécondes.
Et, comme le raconte Marcel Jullian dans son anthologie de la poésie française : « Dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855, le thermomètre descend à –18°. Gérard marche dans la sinistre rue de la Vieille- Lanterne. Le froid pénètre ses os et dans son cerveau malade passent des éclairs de feu et de désespérance. Il monte sur le rebord d’une fenêtre munie de barreaux de fer, sort une tresse de sa poche, l’enroule sur un des barreaux, fait un nœud autour de son cou, et sans quitter son chapeau, se laisse glisser.
L’avant-veille, il avait écrit à une parente, chez laquelle il devait coucher : « Ne m’attends pas ce soir, car la nuit sera blanche et noire. »
Dans une des poches de son manteau, on trouvera le manuscrit d’Aurélia, dont une phrase dit ceci : « Je n’ai pas pu percer, sans frémir, ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde visible »
De cette vie chaotique, et psychiquement fragile, Gérard de Nerval a su transcender les blessures affectives marquées d’abord par l’absence de la mère, puis par les déboires sentimentaux, pour en faire, entre rêve et réalité, vie quotidienne et au-delà, une œuvre étonnante, dense, pure, douloureuse, à la fois sombre et lumineuse, au style limpide.
Les Surréalistes ne s’y sont pas trompés en le reconnaissant comme un précurseur et la figure emblématique du poète maudit, malmené par la société et incapable d’y trouver sa place.
Nerval, un de nos grands poètes romantiques, dans la lignée d’André Chénier.
Je suis le ténébreux, — le veuf, — l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
In Les Chimères, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
Et enfin l'incontournable mais si belle…
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets !
Or chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit…
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière,
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue…et dont je me souviens !
In Odelettes, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
Contribution de Jean Gédéon
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La Cité de la musique à Paris présente jusqu’au 15 janvier 2012 l’exposition Paul Klee, Polyphonies, confrontant l’artiste peintre des poèmes en couleurs à son double, interprète et fervent mélomane. Une occasion rare de parcourir l’univers sonore d’un peintre qui fut partagé entre figuration et abstraction, avec la musique comme principale source d’inspiration.
Paul Klee (1879-1940), né à Berne dans une famille de musiciens, joue du violon dès l’âge de 7 ans et fréquente assidûment les salles de concerts et les opéras. Alors qu’une carrière musicale s’offre à lui, il choisira pourtant l’aventure picturale, inédite dans sa famille. Après 15 ans de travail constant, où la musique lui sert en même temps de gagne-pain et de nourriture intellectuelle, il affirme en 1914, à son retour de Tunisie « Je suis peintre ! ».
En contact avec les peintres Franz Marc, Kandinsky et le compositeur Schönberg au Blaue Reiter (Le Cavalier Bleu) à Munich, Robert Delaunay à Paris, et le groupe Dada à Zurich, il s’oriente de plus en plus vers une construction « polyphonique » de la couleur. En 1920, invité par Gropius, directeur du Bauhaus de Weimar, où il rencontre Stravinski et Bela Bartok, il approfondit et conceptualise ses recherches sur la transposition des principes de l’écriture musicale en peinture. Naissent alors ses « tableaux échantillons », qui, à partir des transparences de l’aquarelle, répètent les motifs en les faisant divaguer à la manière d’un contrepoint de J.S. Bach.
En 1930, il poursuit à l’Académie de Dusseldörf ses recherches sur un nouveau langage « polyphonique » ; mais en 1933, à l’arrivée d’Hitler, il doit retourner à Berne. En 1935, la maladie l’oblige à renoncer à la pratique du violon.
L’exposition montre combien l’œuvre de Paul Klee est plurielle. Et le concept musical de polyphonie reflète bien cette diversité. Des tableaux aussi célèbres que Fugue en rouge ou Harmonie de quadrilatères en rouge, jaune, bleu, blanc et noir en témoignent. De plus, l’originalité de cette exposition tient au fait qu’un parcours musical, par audioguide, accompagne le visiteur, lui permettant de rentrer plus avant dans l’univers sonore du peintre.
Fugace
Tiens, purpurine. Tiens,
pomme, extrémité de sexe,
bouteille de vernis, fuchsia.
Attrape un peu de chaud.
Éclaire auprès, au loin,
L'étroitesse de l'heure heureuse.
Petit tracé de briques
à suivre pied à pied
dans le corps, hors du corps
jusqu'à pomme croquée
sexe encapuchonné
vernis cassé, fuchsia flétri.
Tiens, l'éclair. Je me cramponne à toi.
In Rituel d'emportement, Mouvantes (1991) © Obsidiane et le Temps qu'il fait 2002 p.173
****
Sur la face invisible de la lune
quelqu'un joue du piano
très doucement
près de lui est assis un chien
de la tendresse plein les yeux
près de lui un pommier
atténue le bruit de chute de ses pommes.
Ils ont oublié ce qu'ils étaient sur la terre
peut-être ont-ils voulu
passionnément
connaître l'autre côté des choses
peut-être les a-t-il déçus.
Mais la musique reste
celle qui était là, et qui demeure.
in Entre marge et présence © Les Écrits de nord Éditions Henry p115
Contribution de Jacques Décréau et Roselyne Fritel
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C'est ma vie
que je mets là en mots
que je traduis en images
plus ou moins heureuses
que j'interroge, bouscule
et presse comme un citron
Abdellatif Laâbi est un poète et écrivain marocain, présumé né en 1942 à Fès. Sur son site personnel, sur internet, on peut lire – je le cite pour l'ensemble de sa biographie – que cette date de naissance a été donnée au jugé par les autorités du protectorat, qui avaient décidé de généraliser l'état civil au Maroc .C'est« un flou qui sied à un homme qui s'insurge contre l'étiquette ».Sa mère est en révolte permanente contre sa condition féminine, avant l'heure et sans le savoir ; son père est artisan sellier ; lui grandit dans un quartier populaire et fréquente l'école franco-musulmane. Il y découvre pêle-mêle la lecture, la langue française, la condition de petit colonisé, la langue imagée des conteurs sur les places, l'atmosphère de la rue, la pauvreté et aussi la beauté des paysages, il en restera très sensible à l'humain.
Il rêve d'étudier le cinéma ou à défaut la philosophie, mais il est inscrit d'office en section Lettres à l'université de Rabat, qui manque cruellement d'aspirants professeurs.
Marqué particulièrement par la découverte de l’œuvre de Dostoïevski, il écrit à ce propos : « je découvrais, avec lui, que ma vie est un appel intérieur et un regard de compassion jeté sur le monde des hommes. »
En 1956, année où le Maroc accède à l’indépendance, (le Maroc était sous protectorat français depuis 1912), il a 14 ans, et commence à écrire, en révolte silencieuse contre le régime oppressant d'Hassan II, qui se lance dans une véritable chasse aux intellectuels.
En 1962, il est jeune enseignant de français dans un lycée de Rabat ; en 1963, il participe à la création du Théâtre universitaire marocain, il y rencontre Jocelyne, française née à Lyon, installée avec sa famille à Meknès, depuis 1950, étudiante dans cette ville et passionnée de théâtre. Ils se marient en 1964. En mars 1965, suite au massacre de milliers d'enfants et de leurs parents, qui manifestaient pacifiquement contre une réforme de l'enseignement jugée injuste, il est bouleversé et s'engage en poésie, dans un premier recueil, Le règne de Barbarie, 1965-1967.
Beaucoup plus tard, paraitra dans Tous les déchirements, © Messidor 1990, –recueil dont tous les textes ont été écrits en France–, un très long poème intitulé Mille et un enfants,que l'on retrouve dans L'Œuvre poétique © La Différence 2006
Pour mille et un enfants
effacés
d'un trait de haine
à l'aube muette
des peuples fous de parole
Pour mille et un enfants
jetés
dans la fosse du ciel
avec la chaux incandescente
de leurs pupilles
Pour mille et uns enfants
partis
avec la panoplie des espoirs
les derniers cierges
trempés dans la ciguë du désert
(extrait) p.385
Par le pouvoir des mots et de la poésie, il essaiera de transcender sa rébellion et la violence qui ne peut qu’en découler.
En 1966, il collabore à la création de la revue « Souffles », une belle aventure partagée avec plusieurs intellectuels marocains, Tahar Ben Jelloun, Mohammed Khaïr-Eddine, Mostafa Nissaboury. Revue poétique au départ, elle aborde vite les problèmes socio-économiques de la société marocaine, placée sous un régime d'injustice et de corruption. Souffles publiera 22 numéros en français, 8 en arabe sous le titre de Anfas, où seront posées toutes les questions qui agiteront le champ intellectuel, dans les décennies suivantes.
« Le pas que j'avais franchi découlait normalement de ma révolte et de mes exigences d'écrivain. Les mots de ma rébellion ne pourraient pas être gratuits. Je devais me prendre, les prendre au mot », écrit-il sur son site internet.
Il s'implique dans l'action politique, rejoint les rangs du Parti pour la libération et le socialisme (avatar du parti communiste marocain) le quitte ; il est en 1970, l'un des fondateurs du mouvement d'extrême gauche Ilal-Aman, clandestin par la force des choses et celle du régime de fer .
En 1972, début des années noires, une chape de peur et de silence s'abat sur le pays. Le pouvoir, contre lequel il s’insurge, le fait arrêter. Il est jeté en prison, torturé avec plusieurs jeunes gens et quelques jeunes femmes, idéalistes et révoltés par l'injustice. Son épouse est enceinte de leur troisième enfant, qui naîtra peu après son incarcération ; en 1973, il est condamné à 10 ans de prison, pour subversion et complot contre le régime. Sont présentés pour preuves tous les numéros des revues Souffles et Anfas. Il est enfermé dans la citadelle de Kénitra sous le n°18611, d'où il sera libéré au bout de huit ans et demi, ainsi que quelques compagnons de détention, grâce à une campagne internationale en sa faveur. Tout au long de cette épreuve sa femme le soutiendra par ses lettres et son amour ; en prison, il écrit de nombreux textes qui paraitront sous le titre Sous le bâillon le poème, dédiés à Jocelyne, son épouse, dans l'Œuvre poétique I , éditée par La Différence en 2006.
Écrire, écrire, ne jamais cesser ;
Dix ans. C'est quoi dans l'équation d'une vie ? C'était une aube, au creux de ta chaleur. Quand t'étais-tu endormie ? Quand suis-je rentré, Puis la sonnette s'est affolée. Ils défonçaient la porte à coups de poings. Nous avons su tout de suite. J'ai bondi hors du lit, me suis mis à la fenêtre, ai écarté précautionneusement le rideau. La voiture noire était en bas, dans la rue. Phares éteints. Une Fiat 125. Plus de doute. Puis nous avons entamé les préparatifs, comme pour un long voyage. La sonnette s'affolait. Ils défonçaient la porte à coups de poing.
p.98
Abdellatif Laâbi écrira sans relâche depuis sa prison pour survivre et rester humain, il dira de cette expérience :
La prison m'a beaucoup appris sur moi-même, sur l'étrange continent de mon corps et de ma mémoire, sur mes passions et leur tout aussi étrange labyrinthe de racines, sur ma force et ma faiblesse, mes capacités et mes limites. La prison est donc une impitoyable école de transparence.
« Ai-je jamais écrit avec autre chose que ma vie ? » se demande-t-il quelque part dans son œuvre, question à laquelle pourraient répondre ces mots de Bernard Noël :
Chez Laâbi, tout est dans l’élan immédiat, le souffle, la colère, le cri, il écrit comme le cœur lance le sang, par pulsations. Pareille vivacité fait surgir dans le corps un état rebelle, quelque chose qui dit non, mais elle produit également une réflexion, car tout état physique a sa pensée, et l’on comprend alors ce qu’est la dignité du Laâbi-Poésie : « ne pas céder, ne pas plier, afin de créer l’état propice à la pensée libre. »
Cinq ans après sa libération, en 1985, il quitte le Maroc pour la France, s'installe à Créteil, en Val de Marne, première ville à lui offrir l'hospitalité, où il demeure encore jusqu'ici.
Il entame alors une œuvre importante qui englobe tout à la fois, romans, théâtre, essais, livres pour enfants .
Éloigné de sa terre natale, il y reste profondément attaché ainsi qu'à son peuple et se fait « passeur » de sa culture, en traduisant nombre d'auteurs arabes en français.
Voici ce qu'il en dit sur son site personnel :
La distance prise avec le pays me rapproche de lui. Elle me permet de mieux l'insérer dans une démarche de l'universel. L'éloignement est le nouveau prix à payer. L'écriture y gagne sa vraie liberté et sa vérité en quelque sorte. Elle ne signe plus les subversions. Elle est subversion.
Et ailleurs :
Toujours je reviens
jamais je ne pars
**
Ta plume est propre
ne la trempe pas
dans la glu de la rancœur
**
Tous ceux qui ont assisté à la rencontre organisée à La Maison de la poésie, à Paris, le 13 février 2010, à l'occasion de la sortie du tome II de son Œuvre poétique © La Différence, pourront témoigner de l'absence totale d'amertume chez cet homme, au sourire pacifique et à l'humour taquin.
« Vulnérable par tendresse et compassion, mais intraitable sur le fond.(...)Ainsi Abdellatif Laâbi est un flot de paroles à vif, au plus près, de paroles claires, que seule la mort pourra parvenir à assécher. (…) C'est son secret de savoir se placer toujours au bon endroit de la marche, pour vous glisser son poème concis, exact, qui prend l'avantage sur la confusion ambiante. (…) Sa « rage de tordre le cou à l'indicible » s'est transformée en calme résolution méthodique au fil de ses recueils. » écrit Jean Pérol, dans sa préface au tome II de Œuvre poétique, © La Différence, 2010 p.8/9.)
Ah parole
ma redoutable
toi seule peux me bannir
quand nul tyran ne peut m'exiler
Toi seule peux seller ma monture
lui choisir mors, étriers
et l'engager dans d'effroyables pistes
(extrait) L'étreinte du monde 1993 ibid
Ainsi s'élève-t-il par sa plume contre toutes les injustices du monde, écrit-il en faveur de prisonniers et opposants tels que Nelson Mandela, Abraham Serfaty, et rédige-t-il un superbe poème en mémoire de l'écrivain Jean Sénac, assassiné en Algérie. Le long poème, dédié à Mandela et Serfaty, s'achève ainsi
à tout hasard
souvenez-vous
un homme est en prison
in Tous les déchirements 1990, Soleils aux arrêts, Œuvre poétique I © La Différence, 2006, p.382
Tous les déchirements est un recueil dédié à ses trois enfants, Yacine, Hind et Qods.
Dans la préface de ce même livre, Jean-Luc Wauthier écrit page 17:
Bien au contraire, martyrisé dans la vie concrète, mais sublimé par la vie intérieure, Laâbi dans la lignée des plus grands, a mis sa vision au service de l'homme, au service de la Vie, avec une gravité qui n'exclut pas l'heureuse folie comme pouvait la définir Érasme.
En 1992, son recueil Le soleil se meurt, s'ouvre avec le poème du même nom, dédicacé à André Laude et Serge Pey ; il figurera en première page du tome II de son Œuvre Poétique, paru en 2010. Il faudrait un second article pour rendre compte des 520 pages de cette dernière publication.
(...)
Qui parle
de refaire le monde ?
On voudrait simplement
le supporter
avec une brindille
de dignité
au coin des lèvres
( )
in Le soleil se meurt, Œuvre poétique II © La Différence 2010 p.16
Ce fut grâce à l'intervention d'Abdellatif Laâbi auprès de son propre éditeur, José Vital, que l'Œuvre poétique d'André Laude vit le jour à La Différence, en octobre 2008.
En avril 2006, il reçoit pour l'ensemble de son œuvre le Prix Alain Bosquet, le 30 Novembre 2007, les insignes de Docteur Honoris Causa de l' Université de Rennes 2, en 2008 le Prix Robert Ganzo de Poésie, en 2009 le prix Goncourt de Poésie et en 2011 le Grand prix de la Francophonie de l'Académie Française.
À l'occasion du Printemps des poètes 2009, à la Maison de la Poésie de Saint Quentin en Yvelines, certains d'entre nous ont pu assister à un récital « poésie-chant » – poèmes lus par Abdellatif Laâbi et poèmes chantés par Bernard Ascal, sur une musique de Bernard et Gaël Ascal–reprise d'un spectacle donné en 1999.
Laissons maintenant au poète toute la parole
reddition
simple parole d'allégeance
et la terre pâlit
tourne
la manivelle des siècles
la décoction des armes tourne
m i n é
notre globe est miné
nos voix humaines sont polluées
quand tournent tournent les équations
les racines cubiques de missiles
tourne tourne
la ronde du scorpion
le suicide de l'arachnide
noir comme ma face
ou ce corbeau qui me veille
ma face brûle
comme une coriandre sèche
ma face qui ne me ressemble plus
ma face
t
o
m
b
e
grappe de fourmis et de crachats
ma face crie....
in Le règne de Barbarie (1965-1967), Marasmes, Œuvre Poétique I © La Différence 2006 p.31
****
Écrire.
Dois-je l'avouer. Je n'ai qu'une relative confiance en les mots, quand bien même je les tourne et les retourne dans tous les sens, les prononce à haute voix pour vérifier si le timbre n'est pas fêlé, s'il ne s'est pas glissé dans le nombre quelques unités de mauvais aloi. Et quand je les enfile et les ordonne, je dois me relire et me relire pour m'assurer encore que ce que j'ai écrit n'est ni ésotérique, ni étranger à ce qui est recevable comme le fonds commun de nos peines et de nos espérances. Écrire est une telle responsabilité...
in Sous le bâillon le poème, Poèmes et autres textes de prison 1972-1980, Chronique de la citadelle d'exil, ibid extrait p101
Viennent ensuite ces extraits de longs chants, rédigés dans la prison civile de Casablanca, en 1972 et parus dans le recueil précédent sous le nom L'arbre de fer fleurit, et qui débutent ainsi :
Ma femme aimée
l'aube nous rappelle à la présence
La lutte reprend
et l'amour s'épanouit comme une rose
dans l'arène de l'émeute
Ma main tremble
À la limite
c'est d'un membre que j'ai envie de m'amputer
pour l'élever en offrande jusqu'à toi
cette main justement
qui se dresse pour laver l'affront
oui pour toi
dans l'allégresse de l'émeute
( )p.107
Je n'ai jamais cessé de marcher
vers mes racines d'homme
sans sourciers, sans boussole
sauf ma colère puisée dans le poumon du peuple
et les clameurs inédites de l'histoire
sauf mes yeux
n'ayant rien perdu
du désastre des ruelles
et de la rareté du pain
J'avais mal à mes racines
mes yeux
scrutant le cimetière de la horde
l'itinéraire de fulgurances
Je n'ai rien perdu, rien omis
des sévices de l'Autre ni des miens
rien, entends-tu
C'était l'ère des grands nomadismes
qu'attisait le soleil noir de l'Agression
J'avais urgence de ma face d'homme
Fou
je reviens de ces rêves
et je marche
d'abord
sur la ville
afin de dresser mon réquisitoire
p.109 in Œuvre poétique I © La Différence 2006
****
Lexique
Homme
Terme générique
Désigne celui qui pacifie notre terre
de ses combats
de sa douceur
Peut se rencontrer
sous toutes les latitudes
Mais c'est surtout
celui qui se demande
le pourquoi de chaque chose
et qui s'est ouvert
au continent du don
Planète
Notre terre
cette magnifique « orange bleue »
où la vie a longtemps mûri
pour atteindre
les plus hautes formes de l'intelligence
Une aventure incroyable
qui en valait la peine
Femme
Espèce humaine nouvelle
Marche à pas de géant
Possède une faculté extrêmement développée
pour percer les masques
déceler les infirmités
Se rencontre
dans des zones encore limitées
où le soleil
est au zénith permanent
in Sous le bâillon le poème, Le poème permanent, Œuvre Poétique I © La Différence 2006 p.191 et 192
Les vers ci-dessus, comme les suivants parus dans Au fil de l'étau,furent écrits à la Maison centrale de Kénitra, 1975-1976.
Cellule de prisonnier
Je n'ai jamais voulu parler de toi
cellule de prisonnier
tu étais banale
atrocement familière
comme l'étau qu'on soulève et dépose
à chacun de nos pas
mais voilà
tu t'imposes à moi aujourd'hui
cellule de prisonnier
tes cratères de chaux
s'animant en bestiaire de carnaval
ta porte irrémédiable
la mâchoire ricanante du judas
ta fenêtre au ciel irréel
hélant les nostalgies
Tu es là
en moi
comme un deuxième corps
qui me pousse en dedans et me traverse
après avoir soufflé dans ma poitrine
un vent froid d'exil
et je n'ai pas honte
d'être un peu triste aujourd'hui
dans cette vitrine clandestine de la séparation
je n'ai pas honte de sentir se ramasser en moi
cœur haché tout fumant
l'immanquable tragédie
qui côtoie en toute marche
le bonheur des certitudes finales
in Sous le bâillon le poème, Au fil de l'étau,Œuvre Poétique I © La Différence 2006, p.197
****
J'aime notre expérience humaine
J'aime notre expérience humaine
Quand je pense à ce que fut notre histoire
depuis l'apparition de la vie
à ses formes les plus élémentaires
jusqu'à cet être controversé qu'est l'homme
le déploiement foudroyant de l'intelligence
oui cette expérience valait la peine
et je le dis sans ambages
je suis un fanatique de notre espèce
in Sous le bâillon le poème 2 Ibid p.259
****
Soudain, la vie
la rose de liberté, quand elle s'ouvre
ne se referme plus
rose persistante
née de trois éléments
au même instant que le mal
sans lequel elle serait invisible
sans parfum, trompeuse
telle une fleur artificielle
Avec elle
prends ton temps, l'étranger
car dorénavant elle te sera
unique trésor
unique héritage
depuis que Fès est sortie de la mer
pour t'y jeter
avec un pétale de reconnaissance
et la parole secrète
qui demeurera secrète
jusqu'à l'autre départ
le véridique
quand ta voix s'effilochera peu à peu
au levant de l'oubli
quand ton odeur disparaîtra de tes habits
quand nul femme ou ami
ne s'émouvra plus à ton souvenir caduc
in Tous les déchirements, Migration Œuvre poétique I, La Différence 2006 p.362 /363
Bibliographie sélective
Internet
Contribution de Hélène Millien & Roselyne Fritel
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Il est né en 1906 dans un hameau de la Vienne de parents agriculteurs et il est décédé en 1981. Il repose dans le cimetière de Bonneuil-Matour et on peut lire sur sa tombe l’épitaphe suivante, qui reflète bien sa poésie :
Il portait sur sa lourde épaule
Sa destinée comme un oiseau
Maintenant il dort sous les saules
En écoutant le bruit des eaux.
Après la Faculté de Lettres de Poitiers et l’École Normale de Saint-Cloud, il devient professeur de lettres dans plusieurs lycées parisiens.
Il publie ses premiers poèmes en revue en 1925, et son premier recueil en 1935 qui sera suivi d’une vingtaine d’ouvrages publiés entre autres par Gallimard, Seghers et La Hune.
En 1941, dès la création de l’École de Rochefort, il participe, pour un temps, à ce mouvement.
L’ensemble de son œuvre a été récompensée en 1958 par le Grand Prix de Poésie de la ville de Paris, puis en 1980 par le Grand Prix de Poésie de l’Académie Française.
Sa poésie est accessible à tous, non élitiste ni réservée à un petit noyau de voyageurs en eaux profondes. Et comme le souligne Robert Sabatier, dans son anthologie de la Poésie Française du vingtième siècle :
« Il sait faire rendre au vieux fonds populaire de la poésie française un ton d’insolite qui n’appartient qu’à lui (…)
« Bonheur de l’élégie, bonheur de la chanson, une petite fleur bleue dans le cœur ou une rose au fusil, bonheur de la complainte qui ramène à l’Histoire, on l’aime bien le gars Fombeure, le paysan de Paris, le maître du bestiaire réel ou fantastique, Fanfan la Tulipe la pipe au bec, le bon compagnon d’auberge, toujours prêt à en pousser une »
J’en demande pardon à mes pesants ancêtres :
J’aime la taupe étrusque et les chouettes aussi
Le loir et le blaireau et la chauve-souris
Qui vient tournevirer le soir à nos fenêtres,
La couleuvre enroulée comme les nuits les jours
Les galops des souris dans les greniers nocturnes
Les crapauds exaltés par les saisons d’amour
Les grenouilles gonflées d’angoisses taciturnes
Pédâches et tarets. Les nuisibles enfin
Tout ce qui grouille et mord aux surfaces des terres
La salamandre bleue, les rats, les aigrefins…
Il faut me pardonner ce cœur involontaire.
Il admet ceux qui tuent, tolère ce qui mange
Car tous ceux-là, ces noirs mal-créés que tu dis
Ne seront réveillés par la trompe des anges
Puisque les animaux n’ont point de paradis.
in Sous les tambours du ciel, © Gallimard, 1959
****
Les parents
sont étranges
pour leurs enfants
chers anges
Quand ils naissent
Ils les fessent.
Quand ils meurent,
Ils les pleurent.
In A dos d’oiseau,© Gallimard, 1942. Réédité en 1971
****
On dansa la ronde,
Mais le roi pleura.
Il pleurait sur une
Qui n’était pas là.
On chanta la messe,
Mais le roi pleura.
Il pleurait pour une
Qui n’était pas là
Au clair de la lune,
Le roi se tua,
Se tua pour une
Qui n’était pas là.
Oui, sous les fougères
J’ai vu tout cela,
Avec ma bergère
Qui n’était pas là.
In A dos d’oiseau,© Gallimard, 1942. Réédité en 1971
****
Les écoliers
Sur la route couleur de sable,
En capuchon noir et pointu,
Le 'moyen', le 'bon', le 'passable'
Vont à galoches que veux-tu
Vers leur école intarissable.
Ils ont dans leurs plumiers des gommes
Et des hannetons du matin,
Dans leurs poches du pain, des pommes,
Des billes, ô précieux butin
Gagné sur d'autres petits hommes.
Ils ont la ruse et la paresse
Mais l'innocence et la fraîcheur
Près d'eux les filles ont des tresses
Et des yeux bleus couleur de fleur,
Et des vraies fleurs pour leur maîtresse.
Puis les voilà tous à s'asseoir.
Dans l'école crépie de lune
On les enferme jusqu'au soir,
Jusqu'à ce qu'il leur pousse plume
Pour s'envoler. Après, bonsoir !
In Pendant que vous dormez,© Gallimard, 1953
****
Celle qui partage mon pain
Mon lit et mes joies et mes peines
Éloigne de mon front les haines
D’une caresse de sa main
Que je retrouve dans chaque aube
Et plus belle d’avoir vécu,
J’écoute au fond d’un jour vaincu
Le doux bruissement de sa robe.
Contre les pièges dont dispose
Le malheur, paré désormais
Elle apprête les vins, les mets
Et dans les vases bleus, les roses.
"Ma femme." Le beau possessif
Surtout si la compagne est belle
Blanche, élancée comme un if
Et qui chaque an se renouvelle.
Pour le pire et pour le meilleur
C’est, inlassable volontaire,
Pour l’ici-bas et pour l’ailleurs
Le plus beau don de cette terre
Que cet être aux mains de douceur
Épouse, amante, femme et sœur.
In C'était hier et c'est demain © Seghers, 2004
Bibliographie
Internet
Contribution de Jean Gédéon
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La maladie emportait Xavier Grall, il y a trente ans, à l'âge de cinquante et un ans. Si le souffle manqua à ses poumons pour écrire encore, son œuvre n'en manque pas et, au-delà du temps, donne encore de la voix.
Il est né en 1930 à Landivisiau (Finistère), élevé dans l'idée de la France par son père. Il fait des études « rebelles » avant d'entrer au centre de formation des journalistes à Paris. Il débute sa carrière dès 1952 à La Vie Catholique qu'il ne quittera jamais.
Il effectue son service militaire en 1953. Mais c'est le rappel en Algérie, trois ans plus tard qui marquera sa prise de conscience contre une France colonialiste et démystifiée. Entre temps il a épousé Françoise Jousse avec qui il aura cinq filles, « ses divines ».
Il collabore également au journal Le Monde, à l’hebdomadaire Témoignage chrétien, aux Nouvelles Littéraires, à Croissance des Jeunes Nations, au mensuel Bretagne… Il se fait biographe de Mauriac, Bernanos, James Dean ou Rimbaud.
Sans cesser ses activités de journaliste, notamment ses billets hebdomadaires à La Vie Catholique, il part s'installer en Bretagne avec sa famille, en 1973, non loin de Pont-Aven. Il y bâtit une œuvre de romancier et surtout de poète qui fera de lui, qui ne parlait pas le breton, un des écrivains majeurs de la littérature bretonne de langue française.
(…)
Ô Bretagne, ma demeure
il faut que survive
le kyrie dans ton âme de sel
idem il faut jeter au ciel
la drisse
des pietà et des miséricordes
idem il faut poursuivre les troménies
dans la croyance des bocages
idem relire les portulans
il le faut
idem faire son évangile
de la pensée du soleil
il le faut.
Et cependant, mère, aber
dans le suaire des grèves
roulent
des monceaux de chiens et d'enfants.
(…)
Mais moi je te chante, mon pays
avec tes morts et tes vivants
et tes coques de pins et tes cargos de fer
je te chante, moi, Grall Xavier Marie
je te chante pour ta folie
pour tes bagages de rêves
pour tes Chouans, ô ma Celtie.
Il faut chaque jour gagner sa légende
il faut chaque jour célébrer la messe de l'univers.
Je te chante avec ma bouche dans la bouche de tes vents
je te chante avec mes mains dans la main de tes landes
je te chante, moi, Grall Xavier Marie
pour la liturgie de tes focs et la charité de tes misaines
pour tes marins perdus pour tes grèves de laine
et tes puissantes houles et tes doux paradis.
(…)
In Œuvre poétique, Le Rituel breton, © Rougerie, 2010, p.35
« Tu te découvres Breton comme il n'est pas permis de l'être. (…) Et tu penses que ton pays ça existe, bon Dieu, terriblement. Tu te récupères. Tu te regardes en face. Tu te décolonises. » Pour accompagner cette prise de conscience, il participe à la fondation des éditions Kelenn avec ses amis Glenmor et Alain Guel. Amitiés parmi bien d'autres, dont celle de André Laude. Il sera aussi de l'aventure du journal nationaliste breton la Nation bretonne. Dans le même temps, il continue d'être ouvert au monde, de se référer aux voyageurs des grands espaces et de la parole, de fréquenter les humbles qui ne sont rien… et tout !
J'ai touché le livre noir qui disait la mort de Kérouac et les vents se sont levés sur les grises villes américaines.
(…)
Kérouac est mort… Il y aura demain sur sa tombe des filles dingues et des tas de défoncés. Il y aura des genêts au vert pays de la Bretagne originelle. Il y aura des genêts dans ses yeux bleus quand la terre aura chanté son dernier été.
(…)
Kérouac est mort… Il pleut sur Brest. Il pleut sur Lowell. Il pleut sur la verte prairie canadienne.
Kérouac est mort. Et les vents se sont levés sur les villes de verre. Et sur l'humanité, bouquet de musiques et de glaïeuls. Les épagneuls reniflent la résine dans les noires cheminées.
Kérouac est mort. Il y aura demain des goélands venus du Finistère. La gwerz dans le bec…
Les bateaux sur la mer, les matelots, le cri des paquebots, et les trains et les trains et le boeing de la Pan-Am dans les nuées imaginent la mort des voyageurs
et pleurent Jack
Rêvons d'une poésie crépitée sur l'infâme béton des cités, rêvons d'une poésie coulée sur la ville comme une lave brûlante, rêvons d'une poésie trépidante, ardente, incandescente – et qu'elle crève enfin l'ennui, la grande muraille de l'ennui et de la banalité
Rêvons aux princes et aux ducs et aux rois et faisons de Jack Le Bris de Kérouac le grand aristocrate de la divine chevalerie de la route
Rêvons aux plus grandes des grandes amours et à la bonté incalculable de Dieu. Rêvons aux portes aimantes qui battent sur la venue du bourlingueur. Rêvons à la bonté inaltérable de la si bonne chanson
Kénavo, good bye, Jack
Il y a un blues qui chauffe dans le cœur des femmes, il y a un plinn qui endiable la fête de nuit, il y a un homme qui marche sur la route, il y a la Californie…
J'ai touché le livre noir qui disait la mort de Kérouac et les vents se sont levés sur les grises villes américaines
(…)
In Œuvre poétique, La Sône des pluies et des tombes, © Rougerie, 2010, p.72
Il meurt le 11 décembre 1981. « Il laisse derrière lui une œuvre forte, toute emplie de ses joies, de ses peines, de sa ferveur, de sa difficulté à vivre, de ses espoirs et de ses désespérances. Elle dit aussi son indestructible foi en Dieu. Il aspirait au jour où il entrerait dans « les splendides villes » » écrit Geneviève Laplagne en introduction au recueil des chroniques de Grall.
J'ai tout aimé, et ma sagesse fut d'aimer follement. Comment croire que Dieu n'existe pas quand au large de mon pays se dresse l'infini de la Mer ? Comment croire que Dieu n'est pas quand sous le coup d'un mortel malheur crie un enfant dans la ville fermée ? Dieu, je n'ai cherché que Lui dans le silence du désert, dans le verre de l'absinthe, dans le lit des plaisirs. Combien m'a-t-il fallu de jours pour mettre un nom sur cette soif et sur cette insatisfaction ! J'ai aimé. Je me glorifie d'avoir aimé. Ô feu où je me suis traîné. Ô à travers la boue, la lampe brillait. Mes filles, vous n'y échapperez pas. Vous vivrez et peut-être vous détournerez-vous un temps de ma parole donnée. Vous y reviendrez à travers des larmes. Viendra la joie mes Divines. Et pour vous qui retournerez à la bergerie, la nuit rira de bonheur. Le matin est là, à portée. Et il nous échappe. Et il nous vient un jour plus frais que la fraîcheur des fontaines. (…) J'ai tout aimé. Et j'aurai aimé aller au-delà des êtres.
In L'inconnu me dévore, © Calligrammes, 1984
PPierre Kobel
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Visiter l'exposition Giacometti et les Étrusques, qui se tient actuellement et jusqu'au 8 janvier 2012, à La Pinacothèque de Paris, près de la Madeleine, c'est prendre le risque de tomber sous le charme d'une civilisation, vieille de 1.200 ans avant J.C.
Le sculpteur Alberto Giacometti en fit l'expérience, en 1950, lors de la grande exposition au Louvre de 1955, rencontre décisive pour l'orientation de ses recherches esthétiques, qui l'amena à en savoir plus sur cette civilisation et à en visiter les vestiges dans les musées italiens à deux reprises.
Aujourd'hui, vient à nous pour la première fois, la petite sculpture d'adolescent, nommée très poétiquement, peut-être par Gabriel d'Annunzio, L'Ombra della sera .
L'ombre du soir, dans sa vitrine, flanquée de deux acolytes, à sa gauche, une Femme debout de Giacometti, à sa droite, un offrant étrusque, couronné de fleurs et à leurs pieds, les ombres qui les entourent, ne manqueront pas de vous retenir un long moment, comme tant d'objets votifs de cet art étrusque raffiné, chargés d'humour et de poésie .
Dès la première salle, la Canope à bras, porteuse de cendres, de la période orientalisante, fin du VII° siècle av. J.-C, venue du musée archéologique de Florence vous tendra les bras, mains délicates, visage silencieux, au dessus d'un réceptacle d'argile, brisé et patiemment recollé.
À cet objet rituel, comme à L'Ombre du soir, fait mystérieusement écho ce poème de José Ensch (1942-2008) paru dans L'Aiguille aveugle, Suites... © Phi 2008 p.166/167
Elle est toujours à gauche
la page de l'épaule, ses lumières passant
comme des ombres jeunes
sur la solitude agrandie
Le cœur du milieu s'en émeut
ô sortilèges du seul soleil
corps athlète au repos
qu'aucun autre corps ne sollicite ni ne veille
Vertiges de chair
dans les galbes du deuil !
Les images sont luisances fragiles
sur la rétine rétrécie
et rétives les nuits
à venir sur sa peau
constellée de fêlures d'autrefois
ces voilettes si fines...
Il y aurait les rameaux de deux bras
au bout du temps,
la table où s'accouder
et cette encre qui ne sécherait jamais
sur les pages de l'air.
Internet
Contribution de Roselyne Fritel
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Une nuit d’avril 1912, Cendrars écrit Les Pâques à New-York, un long poème de facture classique, rédigé d’un seul trait. Un cri de désespoir, où s’exprime la détresse morale de son auteur, comme le cri d’un naufragé, dont voici un extrait :
(…)
Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.
Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.
Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.
La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.
Une foule enfiévrée par les sueurs de l’or
Se bouscule et s’engouffre dans de longs corridors.
Trouble, dans le fouillis empanaché des toits,
Le soleil, c’est votre Face souillée par les crachats
(…)
Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Et ce poème claque dans le ciel de la poésie comme un véritable coup de tonnerre. D’ailleurs Apollinaire ne s’y trompe pas. Sur le point de publier Alcools, avec Le pont Mirabeau en ouverture, bouleversé par le poème de Cendrars, il compose aussitôt Zône, pour le placer en tête de son recueil. Quant à Cendrars, conscient de son modernisme, il va jusqu’à écrire l’année suivante, à la fin de Hamac, le 7ème de ses XIX Poèmes élastiques : « …Apollinaire / 1900—1911 / Durant 12 ans seul poète en France ». Bien que les Poèmes élastiques ne seront publiés qu’après la mort d’Apollinaire en novembre 1918, il est clair que, dès 1912, Cendrars estime avoir pris la première place parmi les poètes français, même si par fausse modestie il se présente dans la Prose du Transsibérien, en 1913, comme « le mauvais poète ». Quel est donc ce jeune étranger de 25 ans, encore inconnu du public, qui ose revendiquer une telle primauté ?
Cendrars, né en Suisse en 1887, s’appelle de son vrai nom Frédéric-Louis Sauser. Sa petite enfance lui donne le goût des voyages, au sein d’une famille itinérante, dont le père cherche vainement fortune au Caire, puis à Naples. Plutôt rêveur et solitaire, il n’aime guère les études, mais se passionne pour la lecture. A 16 ans, il quitte le foyer familial, pour courir désormais l’aventure et bourlinguer, sa vie durant, à travers les pays du monde entier. De 1904 à 1907, il séjourne en Russie, à Saint-Pétersbourg, où il sera le témoin privilégié des prémisses de la Révolution. Le jeune Frédéric, au service d’un joaillier-horloger suisse, accompagne des livraisons de bijouterie jusqu’en Sibérie. Quelques années plus tard, de ses souvenirs de jeunesse il composera son plus beau poème, Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913), conçu comme un voyage initiatique, en même temps qu’une sorte de ruée vers l’or.
De retour en Suisse en 1907, il commence des études de médecine et de philosophie. En 1910, il s’installe à Paris, rencontre Chagall, retourne à Saint-Pétersbourg en 1911, passe l’hiver à New-York. Puis il revient à Paris en 1912, où il fonde la revue Les Hommes Nouveaux, dans laquelle il publie Les Pâques à New-York, s’étant trouvé un pseudonyme qui lui corresponde : « L’écriture, dit-il, est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et fait flamboyer des associations d’images, avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes ». En 1913, il rencontre Robert et Sonia Delaunay, et fréquente Modigliani, Soutine, Chagall, Cocteau et Max Jacob. Il publie La Prose du Transsibérien, s’adonne à la peinture, commence à écrire ses premiers Poèmes élastiques, ainsi que Le Panama ou l’aventure de mes sept oncles.
Dans ce Paris du début du siècle, Cendrars partage avec ses amis peintres et poètes une autre vision du temps. Autour d’eux tout s’écroule, les valeurs s’effondrent, l’économie chancelle (le krach de Panama) et la guerre s’annonce. Mais ce temps de profondes mutations permet aussi de construire sur des bases nouvelles. « C’est le krach de Panama qui fit de moi un poète…On casse partout la vaisselle…On s’embarque… », écrit Cendrars dans Le Panama. Et plus tard, dans ses Entretiens avec Michel Manoll (1950), il confie : « J’avais horreur de la poésie telle qu’elle se pratiquait…L’heure de la Tour Eiffel avait sonné. Elle était le mât de la TSF. Elle donnait l’heure à tous les navires en haute mer. Pourquoi pas aux poètes ? »
Cette collaboration remarquable entre poésie et peinture atteint l’un de ses sommets avec le Transsibérien, dont Sonia Delaunay réalise l’illustration, sur un dépliant de près de deux mètres, où texte en couleur et plans contrastés se répondent admirablement, la peinture de Sonia donnant au poème de Cendrars des allures de fresque colorée. Et sa poésie s’efforce de déchiffrer les signes des temps nouveaux, en captant au vol tout ce qu’il voit et l’émerveille, comme au début de Contrastes, le 3ème de ses Poèmes élastiques :
Les fenêtres de ma poésie sont grand’ouvertes sur les boulevards et dans ses vitrines
Brillent
Les pierreries de la lumière
Écoute les violons des limousines et les xylophones des linotypes
Le pocheur se lave dans l’essuie-main du ciel
Tout est taches de couleur
Et les chapeaux des femmes qui passent sont des comètes dans l’incendie du soir…
Août 1914, la guerre est déclarée et Cendrars s’engage dans la Légion étrangère. Un an plus tard, gravement blessé, il est amputé du bras droit, devenant l’homme à La main coupée. Une blessure qui lui donne, comme à Apollinaire, la nationalité française. Mais rien ne peut arrêter Cendrars, qui apprend à écrire de la main gauche et à taper à la machine. De retour à la vie civile, il fréquente Montparnasse avec Léger, Picabia, Eric Satie... ; il voyage à nouveau, s’intéresse au cinéma, travaille avec Abel Gance, publie Le Panama (1918), puis les XIX Poèmes élastiques (1919). Alors vient le début de la célébrité, avec une écriture prodigieuse, frénétique dans son rythme, stupéfiante par son audace, et dont l’impulsion lyrique et la puissance émotionnelle traduisent parfaitement ces temps nouveaux.
Pour remercier son ami Fernand Léger d’avoir fait son portrait, Cendrars en retour lui dédie ce poème (le dernier des XIX Poèmes élastiques) :
Construction
De la couleur, de la couleur et des couleurs…
Voici Léger qui grandit comme le soleil de l’époque tertiaire
Et qui durcit
Et qui fixe
La nature morte
La croûte terrestre
Le liquide
Le brumeux
Tout ce qui se ternit
La géométrie nuageuse
Le fil à plomb qui se résorbe
Ossification.
Locomotion.
Tout grouille
L’esprit s’anime soudain et s’habille comme les animaux et les plantes
Prodigieusement
Et voici
La peinture devient cette chose énorme qui bouge
La roue
La vie
La machine
L’âme humaine
Une culasse de 75
Mon portrait
En 1924, il publie Kodak, qui deviendra Documentaires (la firme américaine ayant protesté, l’accusant d’usurpation), mais le titre initial est très « révélateur », Cendrars voulant signifier que ses poèmes sont une série d’instantanés ; ils ressemblent également à des collages littéraires, à la manière des collages picturaux de Max Ernst. En voici un exemple, avec le 4ème poème de la série Far-West, où en quelques traits humoristiques il évoque cette frénésie américaine qui le fascine tant, lui dont l’exaltation de la vitesse est un des ressorts de son écriture poétique :
IV. Ville-Champignon
Vers la fin de l’année 1911 un groupe de financiers yankees décide la fondation d’une ville en plein Far-West au pied des Montagnes Rocheuses
Un mois ne s’est pas écoulé que la nouvelle cité encore sans aucune maison est déjà reliée par trois lignes au réseau ferré de l’Union
Les travailleurs accourent de toutes parts
Dès le deuxième mois trois églises sont édifiées et cinq théâtres en pleine exploitation
Autour d’une place où subsistent quelques beaux arbres une forêt de poutrelles métalliques bruit nuit et jour de la cadence des marteaux
Treuils
Halètement des machines
Les carcasses d’acier des maisons de trente étages commencent à s’aligner
Des parois de briques souvent de simples plaques d’aluminium bouchent les interstices de la charpente de fer
On coule en quelques heures des édifices en béton armé selon le procédé Edison
Par une sorte de superstition on ne sait comment baptiser la ville et un concours est ouvert avec une tombola et des prix par le plus grand journal de la ville qui cherche également un nom
Cette même année 1924, il publie Feuilles de route, son dernier recueil de poésie, le journal de bord de son voyage maritime jusqu’au Brésil, fait « de petites histoires sans prétentions », de croquis intimistes. Mais il semble bien désormais que l’envie d’écrire des poèmes le quitte, comme il le dit sans détour :
Couchers de soleil
Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d’accord pour parler des couchers de soleil dans ces parages
Il y a plein de bouquins où l’on ne décrit que les couchers de soleil
Les couchers de soleil des tropiques
Oui c’est vrai c’est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L’aube
Je n’en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
À poils
Et je suis toujours seul à les admirer
Mais je ne vais pas les décrire les aubes
Je vais les garder pour moi seul
Et l’ultime poème du recueil le confirme, de façon lapidaire et définitive :
Pourquoi j’écris ? ( c’est le titre )
Parce que (c’est le texte)
Ainsi comme Rimbaud, son aîné, Cendrars se détourne de la poésie, la gardant pour lui tout seul dans son cœur et dans sa tête. « J’ai décidé de laisser la poésie moderne se débrouiller sans moi », confiera-t-il plus tard à Michel Manoll. Dans ce grand tournant de l’après guerre, bousculé par la vitesse, les avions, l’électricité, le cinéma, la publicité, le jazz…, Cendrars a besoin de se renouveler, de faire de nouvelles expériences, de multiplier les voyages, de courir le monde, car « l’univers me déborde », dit-il.
Il n’abandonne pas pour autant l’écriture, mais désormais c’est grâce au roman qu’il rencontre aussitôt le succès avec L’Or (1925), Moravagine (1926), Rhum (1930), L’Homme foudroyé (1945), La Main coupée (1946), Bourlinguer (1948) et Emmène-moi au bout du monde (1956).
André Malraux lui remet la cravate de Commandeur de la Légion d’Honneur, en 1958. En janvier 1961, à 73 ans, il reçoit le grand Prix Littéraire de la Ville de Paris, quelques jours avant sa mort.
Cendrars est un authentique poète, moderne et novateur. Toutes les dimensions de la vie quotidienne trouvent place dans sa poésie, où rien n’est exclu a priori. Il invente un langage, dont il expérimente sans cesse le fond et la forme. Poète résolument libre, il se tient à l’écart de toute forme d’embrigadement. C’est ainsi qu’il refuse d’entrer dans le groupe surréaliste, auquel il aurait pu prétendre, comme le montre le tableau final de ce poème écrit quelques jours après la mort d’Apollinaire :
Hommage à Guillaume Apollinaire
…Les temps passent
Les années s’écoulent comme des nuages
Les soldats sont rentrés chez eux
A la maison
Dans leurs pays
Et voilà que se lève une nouvelle génération
Le rêve des Mamelles se réalise !
Des petits Français, moitié anglais, moitié nègre, moitié russe,
Un peu belge, italien, annamite, tchèque
L’un à l’accent canadien, l’autre les yeux hindous
Dents face os jointure galbe démarche sourire
Ils ont tous quelque chose d’étranger et sont pourtant bien de chez nous
Au milieu d’eux, Apollinaire, comme cette statue du Nil, le père des eaux,
Étendu avec des gosses qui lui coulent de partout
Entre les pieds, sous les aisselles, dans la barbe
Ils ressemblent à leur père et se départent de lui
Et ils parlent tous la langue d’Apollinaire
Internet
La biographie de Cendrars par Patrice Delbourg sur le site de Texture
Contribution de Jacques Décréau
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S'il est plus connu comme romancier, Stevenson fut aussi poète.
Winter-time
Late lies the wintry sun a-bed,
A frosty, fiery sleepy-head ;
Blinks but an hour or two ; and then,
A blood-red orange, sets again.
Before the stars have left the skies,
At morning in the dark I rise ;
And shivering in my nakedness,
By the cold candle, bathe and dress.
Close by the jolly fire I sit
To warm my frozen bones a bit ;
Or with a reindeer-sled, explore
The colder countries round the door.
When to go out, my nurse doth wrap
Me in my conforter and cap :
The cold wind burns my face, and blows
Its frostry pepper up my nose.
Black are my steps on silver sod ;
Thick blows my frostry breath abroad ;
And tree and house, and hill and lake,
Are frosted like a wedding-cake.
****
Hiver
Soleil d'hiver fait grasse matinée
De marmotte gelée malgré le rougoiement ;
Clignote une heure ou deux seulement,
Et puis, orange de sang, va se coucher.
Avant qu'étoiles ont disparu du ciel,
Le matin dans le noir je suis levé ;
Et frissonnant avec ma nudité,
Me lave, me vêts au froid de la chandelle.
Je prends ma place près du bon feu
Pour dégeler mes os un peu ;
Ou bien j'explore dans un traîneau
Plus froides contrées près du linteau.
Pour sortir, ma nurse elle emmitoufle
Ma personne, de cagoule et cache-nez :
La bise me brûle la face, et souffle
Son poivre de gel jusqu'à mon nez.
Noirs sont mes pas sur la terre cristalline ;
Drue mon haleine gelée dans les parages ;
Arbre et maison, lac et colline,
Glacés gâteaux de mariage.
In Jardin de poèmes enfantins, © Points Seuil, 2010
Traduction de Jean-Pierre Naugrette
Contribution de PPierre Kobel
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Marcel Béalu, fils de petits commerçants, né en 1908, a mené une vie ordinaire. Ne dédaignant pas le paradoxe, il dira avoir eu la chance de quitter tôt l’école, car, « l’un des plus grands avantages d’être sorti tôt de l’école ou de ne pas y être allé du tout, c’est de découvrir les chefs-d’œuvre à l’âge pour lequel ils ont été écrits ».
Après avoir vendu des chapeaux, il deviendra libraire, successivement rue de Beaune, rue Saint-Séverin, sa dernière boutique à l’enseigne « Le pont traversé » étant située 62 rue de Vaugirard, à Paris. On peut encore aujourd’hui, outre les ouvrages du poète, y trouver de nombreux autres recueils d’auteurs contemporains.
Il est décédé à Paris en 1993
Robert Sabatier le place, dans son Histoire de la poésie du 20° siècle, dans le chapitre des poètes prosateurs, bien qu’il ait, dit-il, écrit autant de poèmes en vers que de prose. Influencé par le surréalisme, il a été, cependant, un des maîtres du poème en prose, racontant la vie ordinaire sur un ton narratif très personnel, avec tous ses aspects quotidiens, simples et anodins en apparence, mais dont le caractère profond peut tout à coup basculer dans l’insolite, le burlesque, l’onirisme ou l’effrayant.
Tel ce court extrait des « Mémoires de l’ombre » dont le titre est regret des oiseaux :
Ma tour était un phare englouti sous les eaux. Devant ses feux éteints et ses miroirs brisés, inutile guetteur, je pouvais voir parfois, traversant les profondeurs opaques peuplées de lémures, un grand navire aux flancs troués se poser sur un lit de bulles roses. Loin de la nuit, loin du jour, enfoncés dans le silence, à plus de mille pieds sous les tempêtes et les ressacs, je vivais là, au milieu des étincelantes ténèbres où nulle heure ne sonna jamais. Le cœur léger d’être sans souvenirs, il m’arrivait souvent d’abandonner à ses propres moyens d'existence mon insolite méditation. À cheval sur la rampe de cuivre, je descendais en vrille, dans l’étroit escalier, jusqu’aux demeures humides, tapissées de pierres vivantes, où m’attendait ma douce, ma pâle jeune fille…
In Mémoires de l’ombre, Gallimard, 1944
À quelqu’un qui lui demandait une définition de la poésie, il donna un jour cette réponse : "La fleur qui tremble sur le visage de l’insaisissable."
Comment pourrais-je la rejoindre
Dans ce fracas d’astres glacés
Moi qui n’ai pas trop de silence
Pour ne ressembler qu’à moi-même
Aux marches blanches du sommeil
Glisserai-je ombre sans mémoire
Vers ce château de solitude
Défendu par tant d’oiseaux noirs
Pour monter jusqu’à son sourire
Sans déranger cette eau profonde
Qui la préserve de mourir
Il me faudrait être la nuit
Et ne plus savoir d’où je viens
In Cœur en guise d’ailes, La Presse à bras, 1950
****
Poèmes sont appâts
Dans le fleuve des jours
Pour y pêcher l’amour
Qui sauve de l’oubli
Dans le temps dans l’espace
L’hameçon fit miracle
Ma carpe au ventre blanc
Mon grand poisson doré
Point ne te ferai cuire
Mais hors du fleuve amer
Qui descend vers la mort
Te garderai longtemps
Vivante sous mes doigts
In Yamira, Le Pont traversé, 1975
Internet
Contribution de Jean Gédéon
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Stephen Bertrand vit dans le midi où il enseigne le français et les langues étrangères,. Il a voyagé un peu partout dans le monde, et ramené de ses périples des récits en prose ou poétiques dont certains ont été couronnés par des prix littéraires, notamment le prix Ilarie Voronca en 2000, pour son recueil Ici la belle et immense table de la pampa, chez Jacques Brémond, et le prix Max-Pol Fouchet, décerné en 2007 par le Castor Astral pour son recueil Premiers dits du colibri.
Ce dernier prix, décerné sur manuscrit à travers un double filtre constitué par un premier jury départemental, puis un jury international de vingt personnalités francophones, constitue, semble-t-il, un gage de sérieux dans le choix du récipiendaire.
Dans cet ouvrage, Stephen Bertrand laisse libre cours à un lyrisme de fièvres et de grand vent, avec comme fil bleu l’éclair frissonnant et métaphorique du colibri, ouvrant la porte à des rêves de haute mer, et comme l’écrit Vénus Khoury-Ghata dans sa préface : « Nous sommes aux antipodes d’une certaine poésie d’aujourd’hui qui se veut exsangue, et qui tire fierté de sa maigreur, bannit les images, l’émotion, le poème devenant squelette desséché, crayeux. Un souffle venu de très loin traverse Premiers dits du colibri »
On a consulté des colibris pour l’adret et l’ubac,
les embarcadères et débarcadères,
la proue et la poupe,
dans une découpe de brume à Zielona Gora,
à Southampton pour le départ d’un navire
affrété par la Compagnie royale des Indes,
pour le partage des eaux
pour le partage des épaules,
et la naissance du cri.
Ces jours-là, trois dauphins
ont transcris leurs réponses
sur des livres émargés d’écume.
Certaines soulignées de sel.
p.53
****
Le colibri sait tenir les minutes d’un procès :
il lui suffit de battre des ailes.
Les colibris butinent l’absente de tout bouquet.
Sur un toboggan,
tu peux rejoindre quelques instants un colibri :
mais tu es un enfant
et tu sais encore abandonner tes ombres.
Tu souris aussi à l’épicière qui te donne
des points-colibris à coller sur des feuilles.
p.54
*****
De mémoire de colibri,
si je ferme les yeux,
un peu, un petit peu seulement,
dans ce grand soleil serti d’un immeuble
caressé tout au long de Vltava et d’eau,
la belle guide me mène encore
dans la pièce au parquet d’écureuils brillants,
met de longs pétales aux fenêtres,
installe des colibris slaves dans ses yeux,
puis aux plumes de son ventre
me révèle ma petite révolution de velours.
p.67
****
On a suspendu des bateaux
aux voûtes de Notre-Dame-de-la-Garde,
pour les lignes soulignées de sel,
pour les paupières rubescentes des crépuscules
et les baisers d’écume sur ces paupières.
On a suspendu des bateaux
parce que le colibri est le rêve réalisé
de ce poisson qui marche et rêve de voler.
Et combien de vérins
pour nos capitaineries incertaines ?
On a suspendu à tes lèvres des colibris qui t’attendent.
Mais fais vite maintenant.
p.70
Bibliographie sélective
Ici la belle et immense table de la pampa, éd. Jacques Brémond, 2000, Prix Ilarie Voronca des Journées Internationales de Poésie de Rodez
Lettre de Marrakech à F.J.Temple , éd. H-C, avec collages de l'auteur, 2002, 2003
De Marrakech à Essaouira, lettre à R. Depestre , éd. H-C, avec collages de l'auteur, 2003
Travaux universitaires : "Vers une approche poétique en classe de langue, les ateliers de créativité poétique" (mémoire de maîtrise, université Montpellier III, 1999) et publication d'articles dans des revues de didactique du Français.
Il a également participé aux revues Arpa, Autre Sud, Décharge, Souffles, Vagabondages ainsi qu'à diverses émissions radiophoniques.
Internet
La fiche De S.Bertrand dans la Poéthèque du Printemps des Poètes
Contribution de Jean Gédéon
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Que de contradictions chez Max Jacob, qui se présente comme un mondain rêvant de solitude, un dandy devenant ermite, un pécheur aspirant à la sainteté, un mystificateur devenu mystique et finissant martyr ! Et que dire du poète, ô combien novateur, qui inaugure la poésie cubiste et se révèle surréaliste avant l’heure !
Max Jacob est né à Quimper en 1876, dans une famille juive originaire de Prusse et qui s’est d’abord fixée dans l’Est de la France. Jacob est le nom de sa mère. Son père, tailleur pour homme, est également antiquaire. Max grandit dans un univers hétéroclite, propice à éveiller l’imagination, au milieu des légendes bretonnes. Ses talents artistiques font de lui un pianiste et un peintre, presque à l’égal du poète.
En 1897, il monte à Paris, mais renonçant à faire carrière dans l’administration, il connaît la pauvreté, exerçant alors tous les métiers pour survivre : astrologue, employé, professeur de chant et de piano, précepteur, journaliste, critique d’art et peintre. Comme la peinture lui assure quelques revenus réguliers, il peindra donc pour vivre, mais vivra pour écrire. En 1901, il rencontre Picasso et devient son plus fidèle ami. Tous deux sont alors des piliers de la bohème montmartroise, en compagnie d’Apollinaire, Reverdy, Derain, André Salmon, Juan Gris, Mac Orlan, Francis Carco. En 1907, il s’installe rue Ravignan, près du Bateau-Lavoir. Il peint et écrit des poèmes, qu’il garde soigneusement dans une malle, sans les publier.
L’année 1909 marque le tournant de sa vie. À la suite d’une apparition du Christ sur le mur de sa chambre, il se convertit au catholicisme et demande le baptême. Il sera baptisé 6 ans plus tard, avec comme parrain Picasso. Entre-temps, il publie deux ouvrages, magnifiquement illustrés par Picasso, et édités par Kahnweiler, Saint Matorel (1911) et Le siège de Jérusalem (1914). Ainsi qu’un recueil remarquable Les œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel (1912), dont le titre résume admirablement la personnalité contrastée de son auteur. Un recueil composé de chants, de romances, de comptines et de poèmes, dans lequel on découvre l’extraordinaire liberté d’écriture et la grande virtuosité verbale, qui font de lui un génial pitre de la langue. Et pourtant, dans ce même recueil, il semble déjà par instants vouloir renoncer à ses talents de clown poétique, lorsqu’il déclare dans le poème Lueurs dans les ténèbres : « Ne jongle plus, Protagoras. En toi le silence est venu ! Je suis las de parler…Poète, tu n’es plus qu’un rustre grammairien, retrousseur de virgules ! ».
Puis se décidant malgré tout à publier ses poèmes, deux recueils voient le jour. Le premier, Le cornet à dés (1917), publié à compte d’auteur, illustré des gouaches de son ami Jean Hugo, lui donne d’emblée une place de novateur dans l’histoire poétique du début du siècle. Des poèmes en prose à la poésie déroutante, qui se présentent comme un chaos organisé, à la composition aléatoire. Dans le second recueil, Le laboratoire central (1921), écrit après la guerre et de facture plus classique, le poète jongle constamment avec la langue. Pouvoir ludique des mots, dont il s’empare, les secouant dans le « cornet à dés » du poème, et de son « laboratoire central » s’opère un champ d’attraction où la fantaisie, l’humour, le burlesque, le non-sens, le coq-à-l’âne, la cocasserie, le calembour sont partout présents, comme des données de l’inconscient que nous livrent tous ces mots en liberté.
Mais cette même année 1921, lassé de la vie parisienne, Max Jacob se retire à Saint-Benoît-sur-Loire, près d’Orléans. Durant 7 ans il y mène une vie quasi-monacale à l’ombre du monastère bénédictin, entrecoupée de brefs voyages en Italie, en Espagne et en Bretagne, le pays de son enfance où réside sa famille. Puis en 1928 il revient vivre à Paris, où il mène à nouveau la vie mondaine pendant quelques années. En 1936, à 60 ans, il quitte définitivement Paris pour s’installer à Saint-Benoît-sur-Loire, vivant tout juste de ses gouaches et de ses dessins, qu’une galerie parisienne lui achète. Il se consacre à la prière, avec ferveur et mysticisme, vivant comme un ermite.
Au cours de cette dernière étape de sa vie, Max Jacob va devenir une figure centrale dans les liens qui uniront les fondateurs de l’école de Rochefort. A partir de 1937, il entretient une correspondance régulière avec la plupart d’entre eux, d’abord avec Marcel Béalu, Michel Manoll et René Guy Cadou, puis avec Louis Guillaume, Jean Rousselot et quelques autres, dont Roger Toulouse. Ami de chacun, il joue le rôle de fédérateur, les mettant en contact, les encourageant à se rencontrer et à travailler ensemble. Avec eux, il élabore progressivement une poétique, dont l’expression ultime se trouve rassemblée dans les Conseils à un jeune poète. Ce rôle de mentor lui apporte quelque réconfort, lui qui souffre de n’avoir jamais été pris au sérieux, ni reconnu comme un précurseur, souvent relégué au second plan, déconsidéré par les surréalistes, alors qu’il estimait leur avoir ouvert la voie.
Découvrant avec bonheur qu’il a quelque chose à transmettre à tous ces jeunes poètes dont il pressent le talent, il s’efforce de faire éclore l’originalité de chacun d’eux, en y voyant l’émergence d’une poésie nouvelle. Une démarche radicale, où il se remet lui-même en question, car il est à présent l’homme de toutes les conversions, aussi bien poétiques que religieuses. Reniant l’esthétique cubiste du Cornet à dés et du Laboratoire central, rejetant toute intention intellectuelle, désinvolte ou futile, comme étant « périmée », il prône désormais l’émotion, le lyrisme et la sincérité. Une leçon qui sera entendue par ces jeunes poètes (cf. La Pierre et le Sel du 14/11/ 2011).
Bien que baptisé depuis fort longtemps, Max Jacob connaît, durant les années de guerre, la persécution et doit porter l’étoile jaune. En février 1944, arrêté par la guestapo, il est transféré à Drancy. Ses amis Toulouse, Béalu, Rousselot, et Jean Cocteau tentent l’impossible pour le faire libérer. Mais en vain. Il meurt à Drancy 8 jours plus tard d’une congestion pulmonaire.
Avenue du Maine
Les manèges déménagent.
Manège, ménageries, où ?...et pour quels voyages ?
Moi qui suis en ménage
Depuis…ah ! il y a bel âge !
De vous goûter, manèges,
Je n’ai plus…que n’ai-je ?...
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager manager
De l’avenue du Maine
Qui ton manège mène
Pour mener ton ménage !
Ménage ton ménage
Manège ton manège.
Ménage ton manège.
Manège ton ménage.
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent,
Ah ! vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
Les manèges déménagent.
In Les Œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel, © Kahnweiler, 1912
Un poème qui annonce sa première rupture avec Paris…
Adieu l’étang et toutes mes colombes
Dans leur tour et qui mirent gentiment
Leur soyeux plumage au col blanc qui bombe
Adieu l’étang
Adieu maison et ses toitures bleues
Où tant d’amis, dans toutes les saisons,
Pour nous revoir avaient fait quelques lieues
Adieu maison.
Adieu le linge à la haie en piquants
Près du clocher ! oh ! que de fois le peins-je –
Que tu connais comme t’appartenant
Adieu le linge !
Adieu lambris ! maintes portes vitrées.
Sur le parquet miroir si bien verniDes barreaux blancs et des couleurs diaprées
Adieu lambris !
Adieu vergers, les caveaux et les planches
Et sur l’étang notre bateau voilier
Notre servante avec sa coiffe blanche
Adieu vergers.
Adieu aussi mon fleuve clair ovale,
Adieu montagne ! adieu arbres chéris !
C’est vous qui tous êtes ma capitale
Et mon Paris.
In Le Laboratoire central, © éd. Au Sans Pareil, 1921
****
Confession de l’auteur
Son portrait en crabre
Comme une cathédrale il est cravaté d’ombre
mille pattes à lui, quatre à moi.
Chacun nos boucliers, le mien ne se voit pas.
Le crabe et moi ! je ne suis guère plus qu’un concombre.
J’aurais été danseur avec des crocs plus minces,
pianiste volubile si je n’avais des pinces.
Lui ne se gêne pas de ses armes ; il les porte à la tête
et ce sont des mains jointes
tandis que de ses tire-lignes, il fait des pointes.
Vous avez, maître cancre, jambe et pieds ogivaux
je me voudrais gothique et ne suis qu’en sabots.
Ma carapace aussi parsemée, olivâtre
devient rouge bouillie aux colères de l’âtre
c’est contre lui en somme ou plutôt c’est pourquoi
ce bouclier que j’ai gris et noir comme un toit ?
( après tout ! peut-être n’est-ce que du théâtre ?)
Ah ! c’est que tous les deux on n’est pas débonnaires
le crabe et moi ! plus cruels que méchants
aveugles sourds, prenant du champ,
blessants, blessés, vieux solitaires, pierre.
Obliquité ! légèreté ! mais moi je suis un cancre aimable
trop aimable, dit-on, badin.
Volontiers je m’assieds à table.
Le cancre étant bigle est malin
vise crevette et prend goujon
moi j’ai l’œil empêtré dans les marais bretons.
Un jour le cancre a dit : « Ah ! je quitte la terre
pour devenir rocher près du sel de la mer. »
J’ai répondu : « Tu la quittes à reculons
prêt à contréchanger tous les poissons. »
In Derniers poèmes en vers et en prose, © Gallimard, 1945
Bibliographie poétique
À propos de
Internet
Contribution de Jacques Décréau
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Les éditions Rue du Monde – lire notre article du 5 septembre 2011 – depuis leur naissance, n'ont cessé de dire combien la poésie doit être en prise avec le monde et doit savoir le « bousculer avec les mots » ainsi que l'affirme Jean-Marie Henry. Ainsi ce texte d'un très grand poète qui n'a jamais renoncé à ses engagements malgré les épreuves que cela lui coûta, dans l'anthologie Poèmes à crier dans la rue de Jean-Marie Henry avec des illustrations de Laurent Corvaisier, parue en 2007.
Voilà
Je suis dans la clarté qui s'avance.
Mes mains sont pleines de désirs, le monde est beau.
Mes yeux ne se lassent pas de voir les arbres,
les arbres si pleins d'espoir, les arbres si verts.
Un sentier ensoleillé s'en va à travers les mûriers.
Je suis à la fenêtre de l'infirmerie.
Je ne sens pas l'odeur des médicaments.
Les œillets ont dû fleurir quelque part.
Et voilà, mon amour, et voilà, être captif, là n'est pas la question,
la question est de ne pas se rendre…
Nâzim Hikmet in Il neige dans la nuit et autres poèmes, © Gallimard
Traduction de Munevver Andac et Guzine Dino
Contribution de PPierre Kobel
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Autour de moi les grandes fleurs
Muselées du jour
Mon cœur comme la mer
Se retire
Est-ce midi
Minuit ?
L'heure pleine de feuilles mortes
Plie
in Anne Perrier, par Jeanne-Marie Baude Lettres perdues (1971) © Seghers 2004, p.188
****
Toutes les choses de la terre
Il faudrait les aimer passagères
Et les porter au bout des doigts
Et les chanter à basse voix
Les garder les offrir
Tour à tour n'y tenir
Davantage qu'un jour les prendre
Tout à l'heure les rendre
Comme son billet de voyage
Et consentir à perdre leur visage
ibid Pour un vitrail (1955) Pierre Seghers , Paris p.155
Anne Perrier dans le discours, prononcé à Lausanne, lors de la remise du Prix Rambert en 1971, qui lui fut accordé pour son recueil Lettres perdues précise sa démarche : « Je pense, ou je rêve à une manière de « posséder comme ne possédant pas », de prendre en acceptant de perdre aussitôt, je rêve à des gestes désappropriés, à une sorte de possession aux mains ouvertes où le chant passerait comme l'eau entre les doigts. »
L'extrait ci-dessus est retranscrit sous un titre choisi par l'auteur, Les moyens pauvres, dans Anne Perrier par Jeanne-Marie Baude © Seghers, Poètes d'aujourd'hui, 2004, p.260
Très tôt donc, elle fait ce choix délibéré d'être passagère ailée en ce monde, celle qui observe, reçoit et célèbre sans jamais retenir. Ce surprenant détachement deviendra avec le temps une réelle éthique. Fleurs, oiseaux, insectes, miettes trouveront une place privilégiée dans ses poèmes.
Ainsi, dans Feu les oiseaux, paru en 1975, chez Payot ;
Dans le jardin désert
Un pavot glorieux
Danse pour toi seul
(...)
Dans un village de cigales
un mort repose
qui eût avec moi partagé la danse
(…)
J'ai rejoint les oiseaux sauvages
Oh ! Ne me cherchez plus
Qu'ailleurs
Viens nuit ô flamboyante
Emporte-moi quand le vent passe
À la lisière du jour
Dans l'empyrée des oiseaux
Seule me guide
La géographie des étoiles
ibid p.196, 197,198
Pour ceux qui, comme moi, ne connaîtraient pas le sens précis du mot empyrée, le voici dans le Littré: 1.selon les notions de l'antiquité, celle qui contenait les feux éternels, c'est-à-dire les astres.2.le séjour des bienheureux ; dans un sens ironique, être toujours dans les nuages, ne pas savoir ce que l'on dit, à force de chercher le sublime .
Anne Perrier nait le 16 juin 1922, à Lausanne, dans le canton de Vaud, où elle vit encore. Sa mère est d'origine alsacienne et catholique, son père est vaudois et calviniste, mais l'un comme l'autre ne sont pas pratiquants.
Elle se passionne, dès l'école, pour la musique et la poésie. Elle choisira la poésie mais son écriture reste musicale. Elle en témoigne dans Mise en voix, paru In Arts poétiques, © La Dogana, 1996 et retranscrit dans le livre de Jeanne-Marie Baude, pré-cité, p.263 : « J'ai très vite eu l'intuition qu'un poème ne pouvait être le produit d'un magma de rêves brumeux qui tomberaient d'eux-mêmes sur le papier, mais le résultat d'un véritable travail, le fruit d'une discipline qui n'est pas sans analogie avec celle qui transforme un amateur de musique en un musicien professionnel. Et j'ai donc fait mes gammes : des centaines d'alexandrins, d'octosyllabes ou de décasyllabes rimant à qui mieux mieux et que je ne confiais qu'à… ma corbeille à papier ! J'avais entre quatorze et seize ans. »
Elle lit alors beaucoup de poésie, se passionne pour Racine et Hugo, dont elle dévore La Légende des siècles ; elle aime plus tard René-Guy Cadou pour « sa tendresse, sa fraîcheur de source et la justesse du ton » ; découvre la poésie d'auteurs contemporains, Pierre Emmanuel, Jean Cayrol ou Alain Borne, anglais, espagnols et portugais, – apprend cette dernière langue pour mieux l'apprécier –, elle se sent proche de l'écriture d'Emily Dickinson par l'attention partagée à l'invisible et au surnaturel. Elle devient l'amie intime d'Anne-Marie Jaccottet, peintre et de son mari, Philippe, poète.
Ce dernier devient le critique fervent de son œuvre, comme le seront Pierre-Albert Jourdan, Jean Starobinski, Doris Jakubec et Jean-Pierre Jossua.
La gravité et la limpidité du regard qu'elle porte sur le monde et sur l'énigme de l'existence font d'elle un poète à la fois fervent et discret, à la voix reconnaissable entre toutes. Douleur et paix, ombre et lumière, force et fragilité y cohabitent ; la nature et le vivant y figurent dans leurs plus humbles manifestations.
Ah ! Laissez-moi vous rejoindre gazelles
Laissez-moi
Me perdre avec vous dans les sables
Si j'erre si j'ai soif
Je creuserai des puits
Dans le ciel
Et nous boirons ma vie nous boirons
de cette eau
Jusqu'à en mourir
Feu les Oiseaux (1975) © Payot in Anne Perrier par Jeanne-Marie Baude © Seghers 2004 p.200
« On ne peut être que frappé par le peu de matière terrestre qui assure comme le lest de chaque poème », écrit Gérard Bocholier dans la préface à Anne Perrier, 0euvre Poétique 1952-1994, paru chez L'Escampette en 1996.
Toute ponctuation est supprimée, les majuscules marquent juste le début du vers, qui lui-même est bref comme le poème, –parfois un simple tercet– et comme pour mieux s'effacer derrière les mots, le poète laisse beaucoup de place au blanc de la page – souvent deux poèmes par page – .
L'aile d'un ange
À ma fenêtre obscure
Neige
ibid Feu les oiseaux 1972-1975 p.107
L'éblouissant me porte
Moi
Porteuse d'ombre
ibid Feu les oiseaux 1972-1975 p.116
Ces poèmes, comme elle l'explique dans Arts Poétiques , « depuis toujours, ou presque, ont été écrits d'abord dans ma tête. Même des poèmes d'une certaine longueur comme le Cantique du printemps ou la Prière d'Ophélie.»
Sur la page blanche, étalée devant elle, page qui l'a toujours « paralysée » ainsi qu'elle l'avoue à maintes reprises, elle n'écrit jamais, car « elle entend et voit en même temps le poème dans sa tête », et quand il lui semble achevé, elle ne l'écrit pas de sa main, elle le tape à la machine.
« Je vois les poèmes en moi comme je ne les vois jamais sur le papier. Même mon écriture me dérange, j'ai l'impression de ne pas voir ce que j'écris, alors je tape mes poèmes à la machine . »
« Cela vient peut-être en partie du fait que j'ai commencé à écrire assez tôt, chez mes parents, et comme on ne me prenait pas très au sérieux, je me cachais, je ne voulais pas qu'on me voie écrire et j'intériorisais alors mes poèmes » confie-t-elle dans un entretien avec Mathilde Vischer, en février 2001.
Je m'arrête parfois sous un mot
Précaire abri à ma voix qui tremble
Et qui lutte contre le sable
Mais où est ma demeure
Ô villages de vent
Ainsi de mot en mot je passe
À l'éternel silence
in La Voie Nomade © Mini Zoé 2000 p.27
En 1947, elle épouse Jean Hutter, récemment engagé aux Éditions La Baconnière. Il travaillera par la suite aux Éditions Payot et, devenu directeur de cette maison, il créera la Collection poétique d'écrivains romands, où seront publiés, parmi d'autres grands noms, Philippe Jaccottet, Gustave Roud, et elle-même .
En 1952, au contact de l'abbé Charles Journet, homme d'exception, devenu par la suite son accompagnateur spirituel, elle se convertit au catholicisme.
Elle n'adopte pas une religion, elle découvre la foi. Cette conversion, mue par un désir profond d'unité intérieure, perceptible dans ses poèmes, et nourrie d'une authentique quête existentielle, trouvera son épanouissement, non sans heurts, dans cette démarche.
Elle sera soutenue dans cet approfondissement par des gens de qualité, tel Jacques Maritain, autre converti, philosophe et penseur français de l'époque, que lui présente son accompagnateur.
L'espace est mon jardin
La mer l'habite
Toute entière avec ses vents lointains
Les planètes lui rendent visite
La vie la mort
Égales jouent à la marelle
Et moi captive libre j'erre au bord
De longs jours parallèles
Le Livre d'Ophélie © Payot 1979 in Anne Perrier, par Jeanne-Marie Baude © Seghers 2004 p.208
Là-dessus, Anne Perrier femme de conviction, reste discrète mais précise, dans l'entretien qu'elle accorde à Mathilde Vischer en février 2001, en réponse à la question suivante : Est-ce que l'évolution de votre travail poétique ( et de votre perception de la poésie en général) s'est faite en lien avec un cheminement spirituel ? Cette double quête se trace-t-elle comme un unique « chemin initiatique » ? elle dit : Il est certain que le cheminement spirituel a joué un rôle majeur dans l'évolution de ma poésie, même si j'ai le sentiment que c'est dans l'ombre et sans une participation ou une volonté consciente de ma part. Mais je ne parlerais pas de « chemin initiatique » ( un terme qui peut être mal compris). Je dirais que la poésie, comme une éponge a été imbibée de ce que je vivais intérieurement. »
Souvent évasive et discrète à l'excès, quand on l'interroge sur elle-même, Anne Perrier s'affirme quand le sujet lui tient à cœur, ainsi dans Mise en voix, paru dans Arts Poétiques, édité par La Dogana, en 1996 et rapporté à la page 268 du livre Anne Perrier par Jeanne-Marie Baude : « Je voudrais ajouter encore une seule chose, mais qui me tient à cœur : la certitude qu'un poète, quand il écrit, s'engage en poésie uniquement. C'est à elle et rien qu'à elle qu'à la fin du parcours il aura des comptes à rendre. Quel que puisse être son engagement personnel dans la vie (politique, social, religieux...) la poésie n'a pas à devenir le porte-drapeau de sa foi, de son idéologie. Elle qui ne peut vivre que de « liberté libre », comme aurait dit Rimbaud. Tout vécu, s'il est authentique et fort, se coulera de lui-même et naturellement dans le dire. Oui, je crois fermement que toute poésie « engagée », c'est-à-dire asservie à une cause, si belle soit-elle, est une poésie en cage. Elle perd ses ailes et du même coup l'espace infini qui est sa seule patrie. Alors que son destin, (sa chance !) est de garder un cœur nomade, sans cesse disponible et attentif aux appels des oiseaux, et du vent. »
Pour un chemin
Que je connus sans le connaître
Pour un vin
Que je goûtai peut-être
Pour un matin
Qui mit le feu à ma fenêtre
J'irai si loin
Que les morts me verront apparaître
Le petit pré (1960)© Payot, in Anne Perrier par Jeanne-Marie Baude, © Seghers 2004 p.163
Grave, pudique et douloureuse, Anne Perrier sait aussi exprimer sa révolte, mordre, crier et penser en mourir dans Le livre d'Ophélie (1977-1979), textes repris dans Anne Perrier, Oeuvre poétique © L'Escampette, 1996
La poésie fruit défendu
Belladone mortelle
Dans la débordante
Mangeoire universelle
p.124
****
Ne riez pas
Ne condamnez pas si
Contre l'avance des concasseurs
Seule une tige nue
persiste
p.125
****
Nous sommes les derniers Indiens
Nous sommes les Papous
Les fous les poux
D'un monde antédiluvien
Un oiseau mort depuis longtemps
Chante pour une étoile éteinte
Et plein de grands papillons d'août
Le jour se pend
Sous les beaux térébinthes
p.125
****
La nuit pourra venir
Souffler sur mes paupières
Le silence pourra tenir
en laisse tous mes airs
Mais pas avant
Que j'aie jeté aux quatre vents
Mon chant de mort
Et planté dans le front du temps
Mes banderilles d'or
p.12
****
Suspendue au fil
Du lumineux été
La libellule
En gloire semble attester
que vivre est une royauté
Fragile
p.136
Quel souffle, quelle ardeur, chez cette mère de famille en apparence tranquille, on voudrait avoir écrit ces poèmes.
Anne Perrier a reçu le 28 mars dernier Le Grand Prix de Littérature Française hors de la France décerné par L'Académie Royale de Belgique, qui marque la reconnaissance de l'ensemble de son œuvre dans les Lettres francophones .Anise Koltz, poète luxembourgeoise a vu son œuvre récompensée également par ce prix.
Le recueil, La Voie nomade (1982-1986), qui a ma préférence, est de la même veine que le précédent
Le bleu des lointains me transperce
Et tout le bleu du vent
Et jusqu'à l'âme
Le bleu cavalier de la mort
p.26
****
Si nous devons tomber
Que ce soit d'une même chute
Étincelants
Et brefs comme l'oiseau
L'arbre
La foudre
p.37
****
Pour tout bagage
Pour tout péage
Cet air de flûte qui chancelle d'un silence
À l'Autre
p.38
****
La solitude
Cette broussaille désolée
Du cœur
D'où monte à la fin du jour
Une salve de colibris
p. 39
****
Le temps que tombe un citron mûr
Sur la paume du jour
Mes yeux retrouvent la fraîcheur
De l'enfance
p.50
****
Levée avant les heures
Je jette au vent ces mots
Poignée de graines dédiées
Au monde ailé du jour
p.54
in Anne Perrier La Voie Nomade © Zoé 2000
Dans la postface de ce livre, Doris Jakubec attribue à la présence du désert, le souffle d'absolu, qui traverse ce recueil de part en part et nous emporte.
L'expérience personnelle me fait dire que le désert, lieu de silence et d'aridité, d'exigence et de contemplation nous révèle toujours à nous-mêmes. La présence tangible de la vie et la mort, qui y cohabitent constamment, nous libère de nos peurs viscérales et nous révèle notre être profond.
Rien d'étonnant à ce qu'une personnalité telle que celle d'Anne Perrier, animée de l'intérieur par une soif d'absolu, l'ait intensément vécu comme une traversée biblique et parvienne à nous faire partager ce sentiment.
Si le temps me touche
Si la mort m'arrête
Alors que ce soit
D'un doigt éblouissant
ibid p.16
Tout au long de ce recueil joue en sourdine « la petite flûte d'enfant retrouvée par hasard , ce si peu de bois tendre qu'un souffle trop ardent briserait entre mes doigts, ce dernier chant de flûte au bord de l'ineffable », voix vibrante du poète, elle accompagne, fragile mais fidèle, les désarrois et les désenchantements du monde .
Plus tard, en 1994, paraîtra Le Joueur de Flûte © Empreintes,Lausanne, repris dans Anne Perrier, Œuvre poétique © l'Escampette 1996
Le joueur de flûte
Je ne suis plus qu'une ombre
Á la face du jour
Je ne suis plus que la douleur
Et la plainte du monde
Je ne suis plus qu'épines
Et cris d'entre les ruines
Je ne suis plus que la blessure
Ouverte de ce temps
Je ne suis plus
Qu'une flûte remplie de vent
p.217
Anne Perrier consacre aussi tout un recueil aux arbres, Les noms des arbres en 1989, –comme Serge Wellens l'a fait pour les insectes minuscules avec Les Résidents–, y trouve place un poème symbolique des égarements de l'homme, conçu au désert et longtemps retravaillé, « récrit (en moi cela s'entend) quatre à cinq fois » précise-t-elle, ciselé et musical , il achèvera cet hommage rendu à une grande voix de la poésie qu'il convenait de saluer de son vivant.
L'arbre du Ténéré *
Ici les millénaires s'agenouillent
Au bord du puits gardé par les ramiers bleus
Ne cherche plus Ô voyageur dans le jour droit
L'aérienne couronne
Le désert a perdu sa tiare
Sa douce épine son vénérable
Seule au fond de la terre l'ignore
Une eau tremblante encore de l'ultime assaut
Des racines
Dès lors Ô frère où déposer notre ombre
Si c'était là l'éternité
Plus aucune boussole plus rien
Qui retienne le cœur de se perdre
Dans l'étincellement des vents
*Acacia épineux qui fut sottement ou accidentellement détruit en 1973. En plein désert, vieux d'à peu près deux mille ans, il servait de repère et de point de rencontre pour les caravanes. Ses racines puisaient l'eau à 36 mètres de profondeur, comme l'atteste le puits creusé dans son voisinage.
In Anne Perrier, Les Noms de L'Arbre (1989),par Jeanne-Marie Baude © Seghers Poètes d'aujourd'hui 2004 p.235
La voie nomade, (La Dogana, 1986) Éditions Zoé, 2000
Traduction italienne : La via nomada, traduzione e postfazione di Monica Pavani, Ferrara, Luciana Tufani Editrice, 2005, pp. 115
Anne Perrier © Seghers, 2004, par Jeanne-Marie Baude
La voie nomade & autres poèmes : œuvre complète 1952-2007, préf. de Gérard Bocholier, L'Escampette Éditions, 2008
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Contribution de Roselyne Fritel
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Naissance en 1913, à Poitiers, dans une famille ouvrière. Décès en 2004.
Entre ces deux dates, une existence professionnelle bien remplie et un riche parcours poétique concrétisé par une quarantaine de recueils publiés, pour l’essentiel, chez Seghers et Rougerie.
Licence en droit, devient commissaire de police à Nantes, participe activement à la résistance, puis, dès la Libération décide de vivre de sa plume en devenant journaliste littéraire, et ainsi que l’a écrit Robert Sabatier, « il sera présent sur tous les fronts, partout où il s’agit de défendre une idée de la poésie et de l’homme. » Il fait ses débuts dans l'hebdomadaire Gavroche, collabore aux Lettres françaises et sera le chroniqueur de la poésie aux Nouvelles Littéraires.
Il fut l’un des premiers à se joindre, en 1941, au mouvement de l’École de Rochefort. « J’y trouvai, dit-il, affection et émulation, opposition commune à Vichy et à l’Occupant, pas de programme commun mais un grand respect de nos devanciers surréalistes et une forte admiration partagée pour Reverdy et Max Jacob. » Max Jacob qui disait de Rousselot que c'est le seul qui écrive avec ses reins.
Sa poésie dont il utilise techniquement toutes les ressources, se caractérise par une humanité profonde tenant compte des aspirations charnelles et spirituelles de l’homme et de son souci de justice sociale.
Bernard Mazo qui l’a interviewé pour la revue Poésie 1 (n° 12, décembre 1997) le définit ainsi : « Jean Rousselot est, par excellence, de ces poètes pour qui la poésie est le sismographe inspiré des grandes scansions de l’homme, le vecteur sensible de ses espoirs, de ses doutes, de ses angoisses, du questionnement multimillénaire que l’humanité, en quête de sens, adresse à un univers énigmatique. La vie, la mort, l’écoulement du temps, la beauté pathétique du monde, ce sont là les thèmes éternels que l’on retrouve dans cette écriture lancée à la poursuite de l’indicible tout en demeurant profondément et viscéralement enracinés dans notre quotidien. ».
Jean Rousselot fut par ailleurs un infatigable passeur et sa grande générosité le conduisit toujours à être attentif aux autres, particulièrement les plus jeunes que lui, à leur prodiguer conseils amicaux et à les soutenir.
1
…et s’en vint à nous l’écriture
à la fois solfège et musique
soleil et gnomon
jusqu’alors accaparée
tels les chaumes qu’on brûle
pour affamer alouettes et glaneuses
par de hautains feudataires
ou des moralistes châtrés
Désormais pas d’autres raisons d’être
y compris révolte, compassion
dévergondage, dénuement
inaptitude au sacré avec ou sans sucre
que cette perpétuelle redoublante
acharnée à ne pas entendre
les questions sans réponse
qui sont le propre de l’homme.
2
Interdits de séjour
dans les jardins suspendus
de l’inconnaissable
nous nous accommodons
de vivre à petit feu
jamais en retard à la distribution des nèfles
ou à la chasse au Dahu
Seul luxe
Ne nous travailler l’âme que dans le sens du bois
Seul espoir
Exister un peu plus que nécessaire.
3
J’aurai vécu
comme on compterait sans ouvrir les yeux
la menue monnaie du silence
agacé autant que Nietzsche
par le tic-tac des lois et le tic-tac des montres
mais rassuré de loin en loin
par un braiment particulièrement tragique
ou le tintement d’une étoile
sur la tôle des apories
Poèmes inédits in Poésie1, n° 12, décembre 1997, entretien Bernard Mazo/Jean Rousselot
****
Juin
(Extrait)
À Gabriel Audisio
Deux pierres scellées,
Une main de suie,
La treille brûlée,
Un bras qui supplie…
Du fond des temps, la Mort aspirait la Démence.
Contre ses dents serrées écumaient les plateaux.
Les routes, les enclos barbouillés de romance
Tournoyaient à la grille ainsi que des couteaux.
Fracassés, l'os à nu, barbelés de racines,
De sources éclatées, de coutres importuns,
Infernal quel typhon, de sa poigne d'airain,
Les matait, les pressait, les poussait dans l'abîme ?
Quel ange, sans trompette et sans drapés pesants,
Avait posé le pied sur les terriers de glaise,
Les chaumes ébréchés qu'épellent les faisans,
Les couchants qu'une vitre accroche à la cimaise
Et, sitôt descendu dans la vieille chaleur
Qui plaque notre souffle au flanc roux de la terre,
Fouillant comme l'on fouille au hasard des viscères.
Avait tranché le chanvre, invisible au haleur,
Qui depuis toujours noue aux vignes les herbages,
Le chemin qui chevrote au tartre des villages,
Le côtre à l'aventure aux marges du jusant,
Les pavois de l'automne aux seigles frémissants,
Et fait soudain la nuit sur une forcerie
Où l'homme était le cerf et l'ange la furie ?
(…)
Deux pierres scellées,
Une main de suie,
La treille brûlée,
Un bras qui supplie…
Vint le glas. Descendit l'Archange et sa fureur.
Sur les berges du sang, giflées d'ailes de fer,
Au fronton des manoirs, désuets sous l'éclair,
À quoi pouvait servir qu'il fût encor des fleurs ?
Lui-même, le soleil, pouvait-il n'être encore
Qu'un grand liseur tournant les pages sur les monts
Alors que les plasmas s'ouvraient au nécrophore
Et que l'air apprenait son travail au poumon ?
Regard, étais-tu fait pour guider dans la fange
La foule en noirs caillots fuyant la pluie de feu ?
Main de femme, était-il écrit dans ta louange
Qu'un jour tu brandirais le fanal et l'épieu ?
(…)
Deux pierres scellées,
Une main de suie,
La treille brûlée,
Un bras qui supplie…
De lourdes fleurs de chair couronnent les murailles
Comme les étendards atroces de l'été.
Entre les chevaux morts, les canons démâtés,
L'habitude en lambeaux cherche son attirail…
Mais, sans hâle, une plaie saignante à son côté,
Un grand corps ténébreux s'avance à sa rencontre
Et, tous deux s'épaulant, marchent dans la clarté
Vers la bête de feu que masquent les décombres.
Et peut-être demain le monstre terrassé
Contraint de regagner les fonds boueux de l'âme,
Le Verbe, renaissant comme l'herbe aux fossés,
Nous rendra-t-il les clefs fragiles de la fable ?
In Jean Rousselot par André Marissel, © Seghers, Poètes d'aujourd'hui, 1973, p.113
Publié en avril 1943 dans les Cahiers du Sud
Internet
Contribution de Jean Gédéon
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Forough Farrokhzad est née à Téhéran en 1935 et morte accidentellement en 1967. Elle publie 3 premiers livres de facture classique, La Captive (1955), Le Mur (1956), La Rébellion (1958) qui choquent cependant parce qu'ils affirment déjà qu'elle veut « être le cri de sa propre existence. ». Après un divorce et l'éloignement forcé de son enfant, à 27 ans, en 1962, elle réalise un film intitulé "Khane siah ast" (La maison est noire) dans la léproserie de Baba Baghi, près de Tabriz, et adopte le fils d'un couple de lépreux. Avec la publication de Une autre naissance (1964), sans doute son œuvre la plus importante, et Ayons foi en l’approche de la saison froide (posthume), elle affirme sa modernité et se libère de la tradition poétique iranienne.
Forough Farrokhzad est une des plus belles voix de la poésie iranienne. Sa vie même, - autant que son œuvre -, l'a rendue célèbre. C'est la première poétesse iranienne contemporaine à s'exprimer en tant que femme avec le courage que cela implique.
Révolte
Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car j'ai dans le cœur une histoire irracontée
Délivre mes pieds de ces fers qui les retiennent
Car cette passion m'a bouleversée
Viens, homme, viens, égoïste
Viens ouvrir les portes de la cage
Toute une vie, tu m'as voulue en prison
Dans le souffle de cet instant, enfin, délivre-moi
Je suis l'oiseau, cet oiseau qui depuis longtemps
Songe à prendre son envol
Mon chant s'est fait plainte dans ma poitrine serrée
Et dans les désirs, ma vie a reflué
Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car il me faut dire mes secrets
Et que je fasse entendre au monde entier
Le crépitement enflammé de mes chants
Viens, ouvre la porte, que je m'envole
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laisses m'envoler
Je me ferai rose à la roseraie du poème
Mes lèvres sucrées par tes baisers
Mon corps parfumé à ton corps
Mon regard avec ses étincelles cachées
Mon cœur plaintif, par toi rougi
Mais ô homme, homme égoïste
Ne dis pas c'est une honte, que mon poème est honteux
Pour ceux dont le cœur est enfiévré, le sais-tu,
L'espace de cette cage est étroite, si étroite ?
Ne dis pas que mon poème était péché tout entier
De cette honte, de ce péché, laisse-moi ma part
Je te laisse le paradis, ses houris et ses sources
Toi, laisse-moi un abri au cœur de l'enfer
Livre, intimité, poème, silence
Voilà pour moi, les sources de l'ivresse
Qu'importe de n'avoir pas voie au paradis
Puisqu'en mon cœur est un paradis éternel !
Lorsque dans la nuit, la lune danse en silence
Dans le ciel confus et éteint
Toi, tu dors et moi, ivre de désirs inassouvis
Je prends contre moi le corps du clair de lune
La brise m'a déjà pris des milliers de baisers
Et j'ai mille fois embrassé le soleil
Dans cette prison dont tu étais le geôlier
Une nuit, au profond de mon être un baiser me fit vaciller
Rejette loin de toi l'illusion de l'honneur, homme
Car ma honte m'est jouissance ivre
Et je sais que Dieu me pardonnera
Car il a donné au poète un cœur fou
Viens, ouvre la porte, que je déploie mes ailes
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laissais m'envoler
Je me ferais rose à la roseraie du poème
In Côté femmes d'un poème l'autre, © Espace-libre, 2010
****
Toute mon existence est un verset obscur
Qui se répète et te ramène
À l'aube des éclosions et des croissances perpétuelles
Dans ce verset
Je t'ai soupiré, j'ai soupiré
Dans ce verset
Je t'ai greffé à l'arbre, à l'eau, au feu
La vie, c'est peut-être
Une longue rue où passe chaque jour une femme avec un panier
La vie, c'est peut-être
Une corde avec laquelle un homme se pend à une branche
La vie, c'est peut-être un enfant qui revient de l'école
La vie, c'est peut-être allumer une cigarette
Dans la langueur qui s'étire entre deux étreintes
Ou c'est l’œil distrait d'un passant
Qui à un autre dit en levant son chapeau avec un sourire banal bonjour
La vie c'est peut-être
Le moment sans issue où mon regard se dissout dans tes pupilles
Et à cette sensation je mêle la perception de la lune et des ténèbres
Dans une chambre à la mesure d'une solitude
Mon cœur, à la mesure d'un amour
Se tourne vers les raisons naïves de son bonheur
Vers le jeune arbre que tu as planté dans notre jardin
Vers les canaris qui chantent à la mesure d'une fenêtre
Ah…
C'est mon sort
C'est mon sort
Mon sort, c'est un ciel qu'un rideau m'empêche de voir
Mon sort, c'est descendre un escalier désert
Et rejoindre quelque chose dans le pourrissement et l'abandon
Mon sort, c'est marcher nostalgique sur les terres du souvenir
Et défaillir dans la tristesse d'une voix me disant :
J'aime tes mains
Je plante mes mains dans le jardin
Et je sais, je sais, je sais, je vais verdir
Et dans mes paumes violacées d'encre
Les hirondelles vont venir pondre
J'accroche deux boucles de cerises rouges à mes oreilles
Je colle des pétales de dahlia sur mes ongles
Il existe une rue
Où des garçons les cheveux en bataille
Le cou mince et les jambes maigres
Étaient amoureux de moi
Et pensent encore aux sourires innocents d'une feuille
Qu'une nuit le vent a emporté
Il existe une rue que mon cœur a volé
Aux quartiers de mon enfance
Forme en voyage sur la ligne du temps
Avec une forme féconder la ligne sèche du temps
La forme d'une image en conscience
Qui revient de la fête du miroir
Et c'est comme ça
Que quelqu'un meurt
Et quelqu'un reste
Aucun pêcheur ne trouvera de perle dans un pauvre ruisseau
Coulant au creux d'un fossé
Moi
Je connais une petite fée triste
Qui habite un océan
Et qui souffle son cœur dans une flûte en roseau
Si doucement, doucement
Une petite fée triste
qui la nuit meurt d'un baiser
Et d'un baiser au matin renaîtra
In Seule la voix demeure, p.89
Version trilingue. Traduction en espagnol de Myriam Montoya, traduction française de Stéphane Chaumet, avec la collaboration de Jaleh Chegeni,
PPierre Kobel
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Un hors-série de la revue Réponses photo pose la question : qu'est-ce qu'une bonne photo ? Il y a là une grande possibilité de réponses diverses et une belle part de subjectivité qui incite au débat. N'en serait-il pas de même en poésie ? Pour notre part loin des canons d'une esthétique convenue et de la morale régressive, nous attendons d'une photographie ou d'un poème qu'il nous interpelle, nous interroge et nous conduise à de nouveaux territoires de la connaissance et de la réflexion, qu'il aide à l'appréhension du monde et à la construction de la réalité. C'est le message de l’œuvre de la photographe Diane Arbus qui fait l'objet d'une grande exposition rétrospective à Paris, à la galerie du Jeu de Paume, jusqu'au 5 février 2012.
C'est à plusieurs voix que nous tentons de mettre des poèmes en regard de l'univers de Diane Arbus.
Proposition de Jean Gédéon
La vérité sur les monstres
(…) Je vois la beauté : un corps de femme, un œil d’enfant, une chevelure, une fleur entrouverte, le pelage d’un félin, la joaillerie d’une peau de reptile, les couleurs bigarrées d’un poisson. Tournez de l’autre côté : voici l’envers du décor, les coulisses, les machineries terribles et répugnantes, les viscères puants.
Ma tentation, comme celle qui tourmentait saint Antoine, mais transposée sur un autre mode, c’est de m’attarder à la contemplation des monstruosités que recouvre et cache l’épiderme du vivant : dans les souterrains de nos organes, grouille,au milieu de l’agitation ininterrompue de liquides visqueux, un peuple incommensurable d’infiniment petits, acharnés à s’entre-détruire, qui me font tel que je suis et qui pourtant me sont étrangers. Ma tentation, ma honte et ma terreur sont de m’abandonner à cette multitude obscure qui me compose, de n’être plus rien que cette redoutable matière, agitée et aveugle, incessamment brassée, incessamment mouvante et renaissante, château de cartes dont le faîte est ce fantôme éphémère, hypothétique et menacé : moi-même. (…)
Jean Tardieu, in Les tours de Trébizonde, 1983
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Proposition de Jacques Décréau
La sortie (extrait)
Dès la fin de l'après-midi, le pavillon des « seize-dix-huit ans » est en effervescence. Le médecin-chef a signé les autorisations et les élues s'affairent.
Yasmina plus que quiconque.
Elle a décidé de se faire belle ce soir. Depuis plusieurs semaines, elle ne pense qu'à cette sortie. « Nuit brésilienne », dit le programme. Jusqu'à l'aube sans doute, les musiciens vont jouer et chanter. Peut-être qu'on dansera. Et puis, il y aura l'alcool. Par mesure tout à fait exceptionnelle, on aura droit à un cocktail. Une vraie fête.
Yasmina a mis du bleu sur ses cils. Elle a ébouriffé avec un gel spécial ses maigres cheveux, masquant tant bien que mal la blancheur translucide de son crâne. Elle a choisi un pantalon satiné qui n'en finit pas de flotter autour d'elle, comme sa tunique d'ailleurs. Elle n'a pas l'habitude de sourire, aussi la joie attendue, si vive soit-elle, ne se fraie aucun chemin sur son visage. Et peut-être même a-t-elle l'air plus crispé que d'ordinaire.
Françoise Ascal, in Issues, © Apogée, 2006, p.21
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Proposition de PPierre Kobel
Retour de Deola
Nous irons à nouveau par les rues en fixant les passants,
nous serons des passants nous aussi. Nous apprendrons comment
nous lever au matin délivrés du dégoût
de la nuit et sortir en marchant comme jadis.
Nous courberons la tête au travail de jadis.
Nous irons à nouveau là-bas, contre la vitre,
fumer abrutis. Mais nos yeux seront les mêmes,
et nos gestes aussi, notre visage aussi. Ce secret inutile
qui s'ancre en notre corps et voile nos regards
périra lentement dans le rythme du sang
où tout disparaît.
Nous sortirons un matin,
nous n'aurons plus de maison, nous sortirons dans la rue ;
le dégoût de la nuit nous abandonnera ;
nous tremblerons d'être seuls. Mais nous voudrons être seuls.
Nous fixerons les passants avec le sourire mort
de qui a été vaincu mais ne hait ni ne crie
car il sait que le sort – tout ce qui a existé ou qui existera –
depuis des temps lointains est inscrit dans le sang,
dans le murmure du sang. Nous pencherons le front
seuls, au milieu de la rue, tendus vers un écho
dans le sang. Et cet écho ne résonnera plus.
Nous lèverons les yeux, en fixant la rue.
Cesare Pavese, in Poésies variées, © Poésie/Gallimard, 1979, p.249
Traduction Gilles de Van
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Proposition de Roselyne Fritel
Bref
On n'ose pas écrire un mot sur la beauté.
Peut-être faudrait-il par égard pour elle
ne parler que de la laideur, en parler
avec une si ferme rigueur et précision
que là encore triomphe la beauté.
Paul De Roux, in Paysage en cours, © Atelier La Feugeraie, 2000 p.42
Coda
Que reste -t-il au bout du couloir
où le poète a passé trop vite
comme un homme que la nuit poursuit ?
Que reste-t-il ? Deux, trois aperçus
à peine , si la sourde beauté
de ses vers continue de brûler
pour personne comme ces visages
qu'on traverse dans la rue sans voir
qu'ils sont ce que nous sommes, le cri
rentré dans la gorge et les yeux las :
les feuilles d'un même arbre, tremblantes
et chacune a sa note et le vent
les conduit.
Guy Goffette, in Tombeau du Capricorne dédié à Paul de Roux © Gallimard, 2009 p.37
PPierre Kobel
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