Quel autre monde a désormais accueilli Nicolas Dieterlé, quel Infini ?
Vie brève, signes vifs du poète lisant à même la nature des signes longs comme des sanglots, des appels à se fondre en les éléments pour vivre à l’unisson l’exaltation de la nature ou son silence, comme les traits légers qui viendront ponctuer ses dessins. Le peintre est un enfant soumis aux lois du monde : il garde dans ses rêves (sur ses lèvres) des mots pour se protéger et créer l’enchantement.
Nicolas Dieterlé est né le 28 août 1963. Il est le second enfant d’une famille qui en compte quatre. Il a passé les dix premières années de sa vie au Ghana puis au Cameroun où son père était chirurgien de brousse. Il quitte en 1973 la terre africaine où il vivait en proximité avec la nature, séparation douloureuse pour rejoindre la France et suivre des études secondaires d’abord, l’École du Louvre ensuite, puis Sciences Po.
Durant deux ans, de 1987 à 1989, il accomplit son service civil comme objecteur de conscience dans un centre de documentation. Il exerce ensuite le métier de journaliste indépendant (à Valeurs Vertes, Témoignage chrétien, puis Actualité des Religions).
En mars 2000, il s’installe dans un village de l’arrière-pays niçois, Villars-sur-Var, où il peut se consacrer entièrement à l’écriture et au dessin. Souffrant de graves crises de dépression, il s’y donne la mort le 25 septembre 2000.
Nicolas Dieterlé a laissé de nombreux écrits (journaux, carnets, poèmes) dont il ne semble pas avoir envisagé la publication.
Un premier volume de ses écrits, La Pierre et l’Oiseau, a été publié par les éditions Labor et Fides en 2003. Deux autres volumes ont suivi aux éditions Arfuyen : L’Aile pourpre en 2004 et Ici pépie le cœur de l’oiseau-mouche en 2008. Mais les inédits sont encore très nombreux et d’autres livres sont sans doute à venir.
L’association La Pierre et L’Oiseau s’efforce de faire connaître l’œuvre, textes et peintures, de Nicolas Dieterlé.
Annpôl Kassis et Gaetano Persechini ont publié en 2011 Nicolas Dieterlé, Souffle et couleur poétiques (Éditions du Cygne) : les deux auteurs, en alternance, écrivent au gré des textes et des dessins de Nicolas Dieterlé dont certains sont reproduits.
Le poète-artiste, d’ailleurs, a exposé certaines de ses œuvres de son vivant. Il faut les regarder, saisir la simplicité apparente des lignes et du dessin qui exprime une aspiration. Personnages légers effleurant le ciel où ils vivent. Arbres présents, protecteurs et solides. Tout fait signe : quelques silhouettes fixées sur la toile nous montrent le chemin du rêve. Nous le suivons comme les poèmes ouverts sur la nature qui ne finissent jamais tout à fait. La ponctuation ne les clôt pas, les mots s’enchaînent et nous entraînent dans une union perpétuelle avec les insectes, les animaux et les fleurs. Vers l’infini se porte notre regard et la quête humaine et spirituelle est ouverte sur l’éternité :
« quand la femme est passée sous le sapin, son corps a semblé fléchir, comme si le sapin avait réellement pesé sur elle Ce fléchissement – que l’homme prosaïque aurait tenu pour illusoire, mais qui était doué d’une indiscutable réalité pour celui qui sait voir, c’est-à-dire imaginer – ce fléchissement exprimait la soumission heureuse (quoique inconscient) de la passante à la présence oscillante et pleine du sapin Cela n’a malheureusement duré qu’un seul moment : une fois sortie de l’orbe du sapin, la femme a repris aussitôt sa marche faussement autonome, vive mais sans but » 2
« la pluie consume le paysage, qui n’est plus que fumée C’est d’une indescriptible beauté Pour tenter néanmoins de la qualifier, je dirais qu’elle est à la fois violente et douce, évanescente et puissante, glissante, légère et stable comme ce qui n’a pas de fond, qui est par soi-même un Fond Seules échappent à cet anéantissement dans la beauté les maisons stériles, froides et droites, des lotissements de banlieue (écrit dans le train, à l’approche de Paris)
*
si seulement je pouvais habiter les mots, comme une abeille loger dans leurs étroites cellules, au lieu d’être exclu de leur intimité à cause d’une faute obscure, commise avec les temps Si seulement je pouvais habiter un seul mot
*
entre le papillon blanc vibrant contre la fleur délicate, dans la nuit d’un bleu clair, et l’étoile lointaine, quelle étrange (et si familière) connivence se tisse, dont je suis le témoin passager ?
*
à nous, il n’est donné qu’une langue de misère, de brume et d’oubli Une langue tout en creux, en faillit
*
la lune, basse à l’horizon, enflamme telle une torche les arbres et les hautes herbes Elle semble grosse d’un secret douloureux, impossible à dire , et qui la tire vers le bas, vers les marécages, les roseaux chavirés
*
je suis assis parmi les roseaux, sur la rive Le soleil parfois se pose sur eux, revêtant leur tête aiguë et pensive d’un captivant éclat
*
ne cède pas à la froide mort des mots, cet abîme tout en surface
*
le monde demande à être interprété Il le demande
*
la contemplation est lecture, mais lecture supérieure, qui va au plus profond
*
le paysage est vêtu de distinction
*
sachons écouter la vivante parole qui bruit au-dessus de nos têtes, parmi les peupliers
*
c’était un jour comme les autres, sinon qu’il y avait là, entre deux touffes d’herbe, le couteau de l’unique clarté qui étincelait, étincelait »2
Les textes sont courts le plus souvent (« le ciel était d’une petitesse songeuse », l’aphorisme affleure), sans lien direct apparent les uns avec les autres. Cependant une même assise préside à leur écriture : la nature dans sa présence (seule présence ouvrant à la Source) nous invite à la contempler, à nous fondre en elle pour nous rapprocher d’une origine perçue comme un cercle parfait où tout concorde :
« la rivière, colombe grise et grisée, filait près de nous, tandis qu’allongés dans l’herbe, nous lisions les livres parlant d’un au-delà du monde Les peupliers, haut dressés, tenaient suspendus entre leurs axes mouvants le soleil semblable à un crucifié heureux, éclatant Des papillons volaient d’une fleur à l’autre, dans une auréole de lumière Le temps s’était désagrégé et, devenu poussière dansante, ne faisait plus que briller et tournoyer entre nous et le soleil invisible » 2
Le poète, en proie au feu, vit une métamorphose constante même si aucune des questions qui le brûlent ne trouve sa réponse :
« On ne peut écrire, au sens fort d’écrire, sans que brûle en nous une interrogation si vive qu’elle nous transforme alors même qu’aucune réponse n’est apportée Les mots sur la page sont le produit de cette transformation Ils en sont aussi la cause, car, quand je commence à écrire, je ne sais pas ce qui va brûler en moi Je le découvre au fur et à mesure de l’écriture L’interrogation, dans sa vivacité, naît des mots, puis rejaillit sur eux, les façonne, en un double mouvement » 1
« Hier dans la nuit, je me suis couché dans l’herbe avec, à mes côtés, une petite bougie à la flamme vacillante qui faisait autour d’elle comme un cercle de bonté Si petite si fragile et si communicante, petit être creusant dans l’opacité environnante pour en révéler les trésors cachés Grâce à elle, la nuit se révélait habitée et parlante Au-dessus de moi, la glycine, jusqu’alors muette, délivrait de grands discours dorés et gracieux, souples lévriers de joie Je ne l’avais jamais vue ainsi, même en plein jour, si féconde et si désireuse de se lier à moi, qui gisais en bas, dans l’herbe sèche, poussiéreus
*
La lune vue en plein jour au-dessus des montagnes : si réelle et si irréelle Une poudre fixée là, comme par magie, en un demi-cercle Un sortilège de blancheur
*
Jour de canicule Les herbes sont réduites à une existence fantomatique Mais un vent flambe parmi elles, un vent qui ne dit jamais Non
*
En redescendant de la montagne, j’ai vu des asphodèles blanches Des asphodèles blanches Ce nom merveilleux gravi comme une échelle
*
Au col, nous étions sur un seuil Au-delà, dans le lointain, on apercevait la plaine vaguement masquée de brume, vaguement bleue et verte (la plaine comme un songe, une nuée) Plus près, se hérissaient les montagnes de pierre où dansaient les chamois : ils sautaient d’une roche à l’autre, invincibles, et nous les suivions en esprit J’aurais voulu être l’un d’eux (Je voudrais être tous les animaux du monde N’ont-ils pas Dieu avec eux, sous la forme de l’instinct ? Tandis que nous… nous sommes des toupies sans axe, des toupies tombées) »1
Une nouvelle fois, la revue Diérèse choisit de publier les textes d’un poète qu’elle voudrait faire mieux connaître. Après les deux numéros consacrés à Thierry Metz, la revue ouvre ses pages à Nicolas Dieterlé auquel un premier dossier sera consacré dans le numéro 57.
Un second, plus développé et réunissant de nombreux auteurs, suivra au printemps.
1.L’aile pourpre
2.Ici pépie le cœur de l’oiseau-mouche
Bibliographie
Textes publiés
-
La Pierre et l’Oiseau, Journal spirituel 1994-2000, suivi de lettres et textes divers –préface de Michel Cornuz – Éditions Labor et Fides (Genève, 2003)
-
L’Aile pourpre, (mars-septembre 2000) – postface de Régis Altmayer – Éditions Arfuyen (2004)
-
Ici pépie le cœur de l’oiseau mouche – Éditions Arfuyen (2008).
-
Citations de Nicolas Dieterlé in Gérard Pfister « La poésie, c’est autre chose - 1001 définitions de la poésie », Arfuyen, 2008, p. 60-63
Études
-
Annpôl Kassis, « Nicolas Dieterlé : artiste et poète – Eblouissements et choix d’une vie » in Au rendez-vous des lecteurs. Conférences et débats à la société des poètes français, sept. 2006 – juin 2007, éd. Les poètes français.
-
Annpôl Kassis et Thérésa Ducret , « Nicolas Dieterlé : artiste et poète. Récit d’une vie et expressions poétiques », conférence donnée le 24 octobre 2007 au Cercle artistique de la MGEN.
-
Pascal Hecker, La poésie de Nicolas Dieterlé, publié le 10 mars 2010 sur le blog de la revue littéraire Sarrazine
-
Annpôl Kassis et Gaetano Persechini , « Nicolas Dieterlé - Souffle et couleur poétique », éditions du Cygne, novembre 2011
Expositions posthumes
-
Limoges, à la galerie Vincent Pécaud, en juin 2002
-
Villefavard en Limousin, salle des fêtes de la municipalité, en août 2002
-
Châteauponsac en Limousin, en juin 2003
-
Tournon sur Rhône en 2005
-
Paris, au cloître de la rue des Archives, en automne 2007
-
Crêt Bérard, Centre de rencontres près de Lausanne (Suisse), du 2 octobre au 18 novembre 2009
-
Strasbourg, à la Médiathèque protestante, du 26 avril au 18 juin 2010
Sur internet
-
Site de l'Association des Amis de Nicolas Dieterlé
-
Le site des éditions Arfuyen
-
Annonce d’une exposition et présentation de l’artiste
-
Lecture de Patricia Grange au cours de la soirée poésie organisée par la délégation Aquitaine de la Société des Poètes Français pendant le Printemps des Poètes 2012
-
Hommage de Gaetano Persechini sur son blog
Contribution de Isabelle Lévesque
Commentaires