La Pierre et le Sel se propose, en cette fin d'année, de partager avec ses lecteurs le compte-rendu d'un atelier d'écriture mensuel, où un groupe assidu de femmes se retrouve pour écrire, dans le cadre de l'Association I.R.I.S, fondée par Hélène de la Guérie, il y a 35 ans.
L'association se proposait alors d'axer ses recherches sur l'imaginaire, selon des méthodes d'approche de l'écriture innovantes, qui se perpétuent depuis, dans cet atelier, grâce aux animatrices bénévoles, qui ont pris le relais de la fondatrice.
Chacune de ces séances est précédée d'un temps d'exercices respiratoires et de relaxation. La règle à respecter ensuite est d'écouter, les yeux clos, le poème choisi et apporté par l'une des participantes. Cette lecture est faite à haute voix, à plusieurs reprises, sans indication de titre ni d'auteur. Puis, chacune écrit ce qui vient et de manière anonyme, les textes sont rassemblés dans une corbeille en vue d'une lecture-partage un peu plus tard, au cours de laquelle chacune évite de lire son propre texte. Chacune peut alors exprimer son ressenti et son appréciation sur le poème né de cet exercice. Pour finir, le texte initial, imprimé avec titre et nom de l'auteur, est distribué à chacune et relu à voix haute, pour mieux en savourer la teneur et l'impact .
Voici donc le poème initial de Michel Dugué, suivi des textes écrits d'un seul jet par les six participantes, de ce dernier lundi de juin. Michel Dugué, poète contemporain, né à Vannes en 1946, vit en Bretagne. Un article de fonds sur son œuvre vous sera proposé sur La Pierre et le Sel, à la rentrée. Le texte choisi est extrait d'un recueil commun à plusieurs auteurs, Poésie Partagée, paru en 1984 aux Éditions Folle Avoine.
La
nuit fut silencieuse
et la pensée reconquise.
Les mots ne
nous aveuglaient plus
comme si nos mains avaient appris à les
guider.
Nos corps se sentaient complices
et ne nous
pesaient plus.
Ils allaient parmi les ombres
au bord d'un
fleuve
dont le nom importe peu.
C'était une nuit
pareille
aux autres nuits
et nous la découvrions.
In Poésie Partagée, Nocturnes, © Éditions Folle Avoine 1984
Suivent dans l'ordre de leur lecture, décidé par les participantes, les six poèmes nés à l'écoute du poème initial.
Par
une belle nuit d'été,
Toute vie semble en suspens,
Plus de
bruits, ni sur terre, ni dans les airs ;
Un grand vide prêt
à accueillir
La pensée libérée de toute entrave.
La
contrainte du temps qui passe est abolie,
L'imagination peut
voguer ou se construire
Jusqu'à l'aube qui mettra fin
À ce
temps suspendu
Qu'est une nuit silencieuse.
****
Entrer
dans la nuit
en pleine confiance
laisser son corps
s'abandonner
se détendre s'amollir
Vider sa tête de toute
pensée
fallacieuse ou pernicieuse
s'allonger sur une couche
moelleuse
ou bien
sortir
S'enfoncer désarmée
dans
cette nuit obscure
qui s'efface et vous enveloppe
libérant des
parfums
et des sons inconnus
Ô
nuit, face inconnue de la vie
désarmante nourriture...
****
Ô
nuit, mère de la pensée,
Tu as ourdi de tes mains de lune
Le
tapis de mes désirs...
Qu'il est profond ton silence
Lourd
d'inaudible musique
Que le temps arrêté
A transmué en un
unique flot
De rythme sans notes
Et d'euphorie divine...
Mon
corps abandonné
A largué les amarres
Oublié les
douleurs
Apprivoisé la peur
Entrevu la douceur...
****
À
marcher depuis toujours dans l'amitié des fleuves
on oublie
parfois leur élan souverain.
Peu importe où et comment
les
rênes vous sont tombées des mains,
désormais l'eau vous
mène,
révèlant un à un ses subtils détours.
Mémoire
inespérée des fleuves.
Tel un corps reconquis,
le vôtre
se relève et emboîte vos pas.
Sous l'inflexion d'une voix,
il
se risque hors de l'ombre
à humer la brise vagabonde.
La trame
de la vie retrouve sa brillance
et flotte en oriflamme.
Au
hasard d'une fluviale rencontre,
ses reflets s'animent d'infinie
tendresse.
Le temps fera le reste.
****
Corps
en apesanteur,
Juste le poids de l'âme
Dans le creux de la
main.
Source intarissable
L'eau s'écoule
Sur les galets
d'argent
Et les monts désertés.
Nuit de ravissement
Nuit
de plénitude.
Dans le pays des rêves
Je
m'endors
Transportée
Ô pensée sublimée.
****
C'est
une histoire qu'on entendra
dans le recueillement
comme un
nocturne de Chopin.
Une histoire extraordinaire.
Par
une nuit d'étoiles
et de météores dansant
une pensée
lucide
harmonieuse
venait se dérouler
comme un fil
tendu
sur la passerelle des mots.
De ton corps
allégé
baigné, purifié par cette nuit
les mots semblaient
sortir
sans blessure, sans geste.
Ils
s'assemblaient
dans un silence religieux.
C'était une nuit
de rivières
de mouvement des astres
et de torrents
perdus.
Les eaux coulaient comme des mots.
C'était une
nuit de lumière
dans l'étincellement d'une révélation.
Les textes lus gardent en principe leur anonymat, ils sont collectés et tapés par la responsable de l'atelier et distribués ensuite aux participantes.
On ne sait pas leur devenir. Certains seront retravaillés par celles qui écrivent par ailleurs, mais ne sont pas la majorité, d'autres seront conservés tels quels dans le secret d'une mémoire ou d'un tiroir.
Cependant l'émotion du jaillissement, même maladroit, de quelque chose, qui vous vient et se voudrait poésie, marque profondément l'ensemble des participantes, ainsi que l'écoute, la grande liberté d'expression et le respect de l'autre dans sa différence, qui caractérisent les partages. Les plus anciennes constatent une progression dans la qualité de l'écriture.
Telle quelle cette expérience méritait de vous être contée.
Internet
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La page des éditions Apogée consacrée à Michel Dugué
Contribution de Roselyne Fritel
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