Sous le dehors de sa bonhomie chaleureuse, Michel Baglin est un homme qui s'inquiète sur le sens de notre existence et la place qui est la nôtre. Il a choisi de répondre en se faisant passeur de mots, passeur des mots des autres via le site Texture, passeur de ses propres mots pour tenter de donner un sens à sa vie. Et ainsi que l'écrit son éditeur, il a fait de « la poésie, cette possibilité d'une patrie en archipel. »
Son dernier recueil Un présent qui s'absente, qui vient de paraître chez Bruno Doucey, est le reflet de ces interrogations et de son attention aux autres, que ce soit la fraternité avec les amis poètes ou le partage avec les victimes de notre société cruelle.
Échappée
Je
vous écris sans savoir l'heure ou le temps qu'il fait,
d'un café,
d'un hall de gare ou d'un aéroport,
d'un endroit qui vous tire le
regard au-dehors
sans que vous voyiez les flaques ni les ciels défaits.
Je vous écris dans cette échappée du quotidien.
C'est un voyage sans autre bruit que ceux des rues,
sans plus
de larmes ou de cris ou de pas perdus
que dans une vie quelconque
et son décor de rien.
C'est un lieu que je connais, un temps
que je fréquente.
J'y ai des habitudes de vivant qui s'absente
dans
un arrière-pays jamais très éloigné
où lève sous l'encre
une nuée d'oiseaux de nuit
dont j'écris le vol dans l'espoir
qu'il va m'enseigner
où ont émigré jadis les horizons promis.
In Un présent qui s'absente, © Bruno Doucey, 2013 – p.12
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Précipité
Et
puis un poème lu par hasard
me remet en marche,
m'ouvre un
chemin de parole, me rend
à la brise sur la peau, au clapot des
minutes,
au regard qui s'éprend d'une flaque, d'un reflet
de
vitrines ou de ciel, d'une risée dans l'instant,
d'un bruissement
de feuillages.
Une pincée de mots-levain
gonfle la pâte du jour,
quelques images justes me rendent
palpables
le présent qui vacarme dans les rues de la
ville,
l'écume de poussière au-dessus des moissons,
ce
balancement de tête des voyageurs
dont le Transsibérien traverse
ma page
ou cette odeur de kérosène aussi lointaine qu'exacte
sur
la piste d'un aéroport africain…
Ce ne sont que des vétilles,
dira-t-on,
avec nous surnageant à la surface des mémoires,
mais
ce qui cristallise
dans ce poème lu par hasard
est comme le
précipité de nos vies dissoutes
dans les eaux remuées du
temps.
Il dépose les strates auxquelles doucement
finit par
ressembler notre pesanteur secrète
et c'est peut-être
pourquoi
par la grâce d'un inconnu
qui aura su détourer
quelques icônes intimes
dans la crue des images et des jours,
je
m'arrime au présent et l'habite encore
dans l'éveil.
In Un présent qui s'absente, © Bruno Doucey, 2013 – p.16
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S'absenter
1
Qu'on
regarde au-dehors, le dedans vous reprend.
On voudrait être au
monde, on ne sait qu'échapper.
Et tout ceux-là qu'on croise et
voudrait arrêter
ont le pas trop rapide et sont pris par
l'élan.
Qui parle des lointains évoque une autre vie.
Et c'est
pour mieux tromper ce sentiment de n'être
qu'en exil ici-bas, un
voyageur peut-être
mais qui ne pèse pas et reste sans
appui.
Nous avons des manies de vivant qui s'absentent,
qui
pour prendre enfin pied s'accrochent à des leurres
en faisant
reculer l'horizon qu'ils s'inventent.
Partir est toujours une
façon d'être là,
lever l'ancre encore un rêve de pesanteur,
et
c'est pour aller plus loin qu'on ne s'en va pas.
In Un présent qui s'absente, © Bruno Doucey, 2013 – p.36
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Le chant des migrants – 6
Derrière soi, il y a les petits bonheurs qu'on n'a pas épuisés et les horreurs qu'on a bues jusqu'à la lie. Des places à fontaines et des clochers à cigognes. Ou des hommes avec des fusils et sa propre ombre qui fait peur.
Derrière soi, il y a le bidonville de Balata-Matoury, Guyane. Des maisons, des eaux stagnantes et des nuées de moustiques. Des chiens, des agoutis, des tatous morts qui dégagent une odeur pestilentielle dans les fossés pendant que les mères discutent en créole et que les enfants traversent la route. Aux abords de certaines maisons, de la musique reggae ou zouk et des hamacs accrochés entre deux arbres.
Derrière soi, l'herbe mal tondue du terrain de foot des pauvres et des cages sans filet. Mais aussi des papys jouant aux dominos. Il y a une bouteille de rhum et un verre de ti'punch devant chacun d'eux.
Car derrière soi, malgré tout - et surtout quand l'avenir est bouché - il y a des tombes certes, mais aussi des vivants, toujours.
In Un présent qui s'absente, © Bruno Doucey, 2013 – p.92
Internet
- Voir sur La Pierre et le Sel, un entretien avec Michel Baglin
Contribution de PPierre Kobel
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