Les deux volumes des Écrits de nature d’Alexis Gloaguen publiés par les éditions Maurice Nadeau regroupent les textes composés au fil des voyages et séjours d’Alexis entre Bretagne et Écosse. Qu’il observe les oiseaux, les paysages, les arbres, le vent et l’espace, il s’agit toujours dans ces pages de poésie, d’une relation qui dépasse la simple observation ou le périple du marcheur. En préface du premier volume, Alexis Gloaguen écrit : « L’écriture de ces parcours devait répercuter au creux des lignes ce qu’ils étaient en acte : des recherches au long de paysages immenses ou des affûts de longue patience. Greffées sur la description, ces pages devaient avant tout explorer et ne pas lasser. Il me fallait donc les faire vivre, bouger comme les êtres allusifs qu’elles étudiaient, et pour cela il me fallait jazzer et inventer le style, le libérer pour le moderniser, faire entrer dans le récit de la quête elle-même les circonstances qui l’entouraient – le corps qui écrit, les accidents qui révèlent – comme nous l’avait montré le nouveau journalisme américain, même si je quittais la rumeur et les dangers de l’Histoire pour retomber au plan de minuscules épopées. J’ai sur la fin de ce cycle d’écriture – et particulièrement dans L’Heure bleue, un texte reflétant Saint-Pierre et Miquelon dans ses lueurs de neige – évoqué les liens entre le paysage et l’apparition des mots, entre la matrice d’origine et son extension de particules. Ce long passage, penché vers le sol, s’était enfin arrêté sur la page. »
Alexis Gloaguen n’est pas nouveau dans La Pierre et le Sel. Qu’il dise la violence urbaine, les saisons, l’éternité observée à la hauteur d’un phare de l’île d’Ouessant, il nous donne toujours à espérer de cette terre dont nous oublions trop souvent qu’elle est nôtre tant que nous ne l’aurons pas détruite. Accompagné ici des illustrations de Jean-Pierre Delapré, il nous invite à un long voyage dans les mots de la lenteur et de l’empathie.
L’extase du vent est sans objet : c’est une joie d’absence, la syncope des désagréments. C’est l’ébullition qui, sur l’eau, accompagne la frénésie des mouches et les risées de crevettes. Il est des instants où le miracle atteint sa pleine évidence. Ce matin, lorsque l’air glisse sur ma peau urtiquée, comme un parfum de chèvrefeuille, je me fie à une vision de plaisir pur.
Le monde recoupe ce que nous attendions sans le savoir. Il ferme l’agonie de nos yeux en les maintenant ouverts. Il nous console et vole sur nos paupières à la manière du busard des roseaux sur le disque du soleil. C’est l’heure où germe et s’élève cette bulle énorme où luisent deux taches proches comme les trous d’une morsure de vipère.
La douceur du vent donne parfois l’illusion d’une autre vie, d’une autre situation, et c’est brusquement qu’on se réveille dans la sienne.
In Écrits de nature, tome 1 – La Folie des saules, Terre d’oiseaux, © Maurice Nadeau, 2017
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Notre vie est tragique et splendide, notre souffrance est aussi pure que notre émerveillement, ces temps-ci. La montagne nous soutient comme une drogue. Je crois la sensation très voisine de celle que l’on a à naviguer à voile au grand large, à perte de vue des côtes. On est ici perdu dans la bruyère et guetté par des périls que l’on apprend à prévoir et presque à chérir. C’est pour moi une source perpétuelle d’inspiration, le courant secret des mots que je transcris et de ce poème hypertrophié que l’on pourrait apparenter au brouillon d’une symphonie — de par ses défauts surtout, hélas ! Je me suis laissé emporter très loin, perdu sur le clapotis de surface d’une réalité qui se dérobe et me dépasse. J’ai sombré, j’ai disparu ; c’est la montagne, l’estuaire, les oiseaux qui écrivent. Du moins puis-je invoquer cela pour seule excuse : car leur message sortira peut-être terriblement brouillé et fouillé de parasites comme une transcription de rêve.
In Écrits de nature, tome 2 – Le pays voilé, La Baie des nuages, © Maurice Nadeau, 2018
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Devant nos fenêtres, un grand érable traverse les saisons, énigme végétale. Et le fait de le regarder, lorsque j’écris sur le seuil, me suggère une analogie.
Chacune de ses milliers de feuilles est disposée de façon à recevoir, au moins pour quelques heures, la percussion du soleil. Chacune s’inscrit dans la délicate mosaïque du feuillage pour accueillir sa part de jour. Ainsi s’éclaire la géométrie des cimes et leur forme générale de cônes arrondis. Une feuille qui, masquée par une autre, serait condamnée à l’ombre, ne pourrait exister. Et les mieux situées — celles qui dépassent le sommet de l’arbre sur des rameaux qui sont des traits vers la lumière — s’inclinent vers le sol pour ne pas s’accaparer toute la clarté et l’éclipser à leur profit. On sait que les cinq folioles des feuilles de marronniers s’écartent ou se resserrent comme des doigts, qu’elles tournent sur elles-mêmes, tantôt pour capter la chaleur, tantôt pour la laisser filtrer vers l’intérieur de l’arbre ou pour l’éviter, par temps de canicule.
J’imagine un livre construit comme un arbre. On pourra sourire en pensant qu’il s’agit toujours de feuilles ! Il y aurait là une longue série de textes, autant que possible reliés entre eux et organisés en parties analogues aux différentes régions d’un feuillage. Ils s’éclaireraient les uns par les autres, se compléteraient par des correspondances, de manière à figurer une réalité globale et nécessaire : une totalité.
In Écrits de nature, tome 2 – Le pays voilé, L’Arbre dans la gouttière, © Maurice Nadeau, 2018
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Dans La Pierre et le Sel
Contribution de PPierre Kobel
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