La pierre et le sel

Un jour, un texte : Marianne Catzaras | Comment t'appelles-tu Aziz

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Marianne Catzaras

Comment t’appelles-tu Aziz
Quand tu te noies

Entre le dragon et les plumes
Entre le monstre et les lèvres boursouflées

Comment t’appelles-tu
Dis-moi
Dans le patio de la mémoire
Tes cheveux mouillés
Ruissellent
Sur la mer
À la gorge nouée

Ce sont tous de faux frères
La poupée désarticulée
Le géant
L’échassier
Le crépuscule
Aux mains tuméfiées

Dans un bidonville de la capitale
On parle affaires
On monte les prix
On réduit les heures
On rétrécit la vie

L’opération se fera en haute mer

In Sauver son rêve, © Bruno Doucey, 2024

Internet

• Éditions Bruno Doucey

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Joachim du Bellay | Je ne veux point fouiller au sein de la nature

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Joachim du Bellay

Je ne veux point fouiller au sein de la nature

Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l’esprit de l’univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts
Ni desseigner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j’écris à l’aventure.

Je me plains à mes vers, si j’ai quelque regret,
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon coeur les plus sûrs secrétaires.

Aussi ne veux-je tant les pigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser,
Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.

In Les Regrets, 1558

Internet

• Wikipédia | Joachim du Bellay

• France-Culture | Notre-Dame de Paris : le dernier tombeau de Joachim du Bellay ?

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Pauline Ledinot | Hors du spectacle de la chute des corps…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Pauline Ledinot

Hors du spectacle de la chute des corps
Séduction d’une robe qui danse les mots
se fanent
N’existe plus d’âme au monde capable de me
Ramener à toi

Paroles Paroles
Je te jure que tu sais mon nom me parler
De tes raies de tes chais les mêmes mots
Nous habillent déshabillent nos rêves
Dans la garde-robe des secrets
Le silence
Se parfume de ton absence
Et je te hais

Tu sais c’est un arbre
C’est une femme un charme
Que jamais tu ne connaîtras
Au murmure de ton La
Tu sais est perçu
Comme un Bossu par-dessus moi
Mon amour
Et mes larmes et mon charme tu verras le drame
De tes alarmes de tes petites flammes
Et moi je revivrai je mourrai
J’aimerai je clamerai au nom de tous
Ce qu’il
De ce fragile
Je te pousserai dans l’abîme de mon être

Caramel de l’autre trop salé pour nos baisers
Doivent se poser ailleurs sur d’autres cœurs
Dans d’autres jardins que le mien

C’est l’automne des paroles
Les feuilles mortes s’envolent à la peine

La chevelure de l’automne prend les reflets de
L’hiver avec toi les dates du désespoir ont envie de
Nous
Mais sonnent à présent le chant du pléonasme
Dans les champs de blé un soir d’été
L’arrogance des autres s’ordonne autour d’un
Refrain

Tu seras lui et je te prie je sais
Qu’à jamais ce secret de nos âmes en passage
En gage se partagent se murmurent se parfument
Et se lient je te

Prie

In Diérèse 91, © Diérèse, 2024

Internet

• Diérèse et les Deux-Siciles

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jean Azarel | À la pointe de Castelmeur…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Jean Azarel

À la pointe de Castelmeur,
tu récites ta liste de courses
composée d’échardes au cœur,
de prunelles qui ne sont pas de tes yeux,
de la bruyère au fort caractère,
avec du chèvrefeuille pour écrire
le chant du bruant des roseaux.
À la tourelle de la Plate,
tu coiffes les nuages en diadème,
laissant marronner la lune,
le vent en pantoufles,
la sueur blanche des vagues,
tamisage des naufrages intimes.

In Trois couleurs mer, © L’Ail des ours, 2024 — Illustrations de Georges Le Bayon

Internet

• L’Ail des ours

   

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Souad Labbize | Yemma…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Souad Labbize

Yemma
ta route est boueuse
tes repères bourbeux
je n’ai pas de verbe
qui fasse patienter les peines
derrière le rideau
je ne sais que fredonner
l’absence sans chanceler
évoquer le retour des âmes égarées
décrire le plumage nuptial de la perdrix
la parure de l’éléphant d’Hannibal
Mais tourner le dos à la nuit
dégrafer le joug de dentelle
broder de fils ténus
le trajet jusqu’au jour
D’Ulysse je garde le goût du jujubier de l’oubli
Sultane ô sultane que fais-tu
des siècles de potence
es-tu présence ou absence
à qui confies-tu les doutes
tes mots sont éboulis pour mes chevilles
permets que je m’éloigne
de la parole de l’aube

In Enfiler la chemise de l’aïeule, © Lisières, 2021

Internet

• Wikipédia | Souad Labbize

• L’Orient Littéraire | Souad Labbize fait de la poésie comme si elle faisait du pain

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Sacha Zamka | libre

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Sacha Zamka

libre

ce n’est peut-être rien que de s’anéantir
là ou tout n’est que don et n’est que sacrifice
on se construit histoire et on se détruit mythe

et libre on se hasarde à être à jamais libre
si l’éternité n’est que ce qu’on en sait ivre
on s’offre à la tempête et on s’offre au séisme
rêves de galaxie ou rêve de bacille

à cette vie on prend ce qu’elle a d’impossible

In Poussière et grâce, © Encres Vives, 2024

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• facebook

• Revue Libres Mots

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jeanne Bastide | Ici aujourd’hui…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Jeanne Bastide

Ici, aujourd’hui, tout est possible.
Tu es là, au bord, à la frontière entre deux mondes.
Que crois-tu ? Derrière l’horizon il n’y a rien.
LE rien.
Oui, tu le crois. Certains jours tout s’arrête à ta vue. Après
le regard, le néant. L’absence.

Tu ne sais plus si les arbres habitent leurs corps… ou tes yeux.
La terre infertile appelle et prie – tend ses mains de brume
Comment désarticuler les murmures des buissons ?

In L’âpre beauté du paysage, © L’Ail des ours, 2022

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• Éditions L’Ail des ours

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Luc Vidal | Ton prénom

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Luc Vidal

Ton prénom

Ce chant qui chante dans le cour de ton prénom, je l’entends dans la nuit complice. Ce qui fait que je vais vers toi c est que la mémoire de ton charme m’a pénétré subtilement telle une caresse du silence et du frémissement des herbes. L’autre jour, mes yeux ont été éblouis par ta silhouette montant l’escalier de ta venue. Ta robe te moulait comme un charme. Tes bottes dessinaient les sources sensuelles de ton aura. Ton visage aux lèvres rouges embouclé retenait un futur sourire.

Ta voix m’appelle source merveille d’un temps accordé à I'oreille des songes, Ton corps est terre-lit de l’offrande d’être en amour. Ton corps nu, vif et tendre avec ce cœur généreux qui caractérise ta vie même ouvre la route passionnée de chansons en ta voix. Tes hanches se balancent soumises aux désirs de vivre intensément dans une calme fièvre des quiétudes et des profondeurs.

Là, est la danse de ta nudité comme la beauté de nos vies sur les rives du fleuve ébloui par les anciennes solitudes de l’enfance, de ton enfance. À ce point nommé de tes rêves de femme naissent les lignes de fuite, les lignes de cour, les lignes respirantes, les lignes oubliées de ces coins perdus des conjugaisons de l’amour de vivre, infiniment, sans querelle. Ton prénom, avec cinq seules syllabes, figure éperdument la saison imprévue des chansons et des rencontres cheminantes vers les jardins accueillant les alizés des paroles vénérées.

In Maïlélia ou Eurydice retrouvée, © Des sources et des livres, 2023

Internet

• Wikipédia | Luc Vidal

• Le Petit Véhicule

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Ingeborg Bachmann | De l’obscur à dire

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Ingeborg Bachmann

De l’obscur à dire

Comme Orphée je joue
sur les cordes de la vie la mort
Et face à la beauté de la terre
et de tes yeux qui administrent le ciel
je ne sais dire que de l’obscur.

N’oublie pas que toi aussi,soudain,
ce matin-là, alors que ta couche
était encore humide de rosée et que l’oeillet
dormait près de ton cœur,
tu vis le fleuve obscur
qui passait près de toi.

La corde du silence
tendue sur la vague de sang,
je saisis ton cœur résonnant
Ta boucle fut métamorphosée
en cheveux d’ombre de la nuit,
les noirs flocons des ténèbres
enneigèrent ton visage.

Et je ne t’appartiens pas.
Tous deux désormais nous lamentons.

Mais comme Orphée je sais
du côté de la mort la vie
et pour moi bleuit
ton œil à jamais fermé.

In Toute personne qui tombe à des ailes, (Poèmes 1942-1967) – Traduction Françoise Rétif – © Poésie/Gallimard, 2015

Internet

• Wikipédia | Ingeborg Bachmann

• Dossier Ingeborg Bachmann (par Françoise Rétif) sur Poezibao

• Ingeborg Bachmann une poésie qui ne se résigne pas, un article de Pierre Assouline dans la République des livres

• La Pierre et le Sel | Un jour, un texte : Ingeborg Bachmann

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jacques Bertin | Les grands poètes

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Jacques Bertin

Les grands poètes

Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux
Calme, chacun d’entre eux, son chant s’allonge dans la plaine
Emplit son lit sans heurt, chaque bras couche chaque fleur
Cela se passe dans un autre monde, fraternel
Le peuple habite les territoires libérés
Cela se passe dans un autre monde, le poète montre du bras
Ce pays est à toi jusqu'à la ligne des montagnes
Maintenant que nous avons pris possession de notre vie
Nous camperons dans cet enclos que nos voix simples délimitent
Maintenant que les statues renversées servent de sièges pour les vieux
Voyez, ce monde est minuscule et le soir tombe
Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux
Calme, chacun d’entre eux, son chant s’allonge dans la plaine
Emplit son lit sans heurt, chaque bras couche chaque fleur
Cela se passe dans un autre monde, fraternel
Le peuple habite les territoires libérés
Nous camperons dans cet enclos que nos voix simples délimitent
Ô la vie quotidienne à nous donnée dans la parole des poètes
Un homme meurt, il rêve à son enfance dans la rue
Les enfants jouent, quelqu’un pleure, une femme crie
C’est dans un autre monde ouvert à la parole des poètes
Bien plus tard quand nous aurons vaincu
Ô tous mes camarades dispersés
Qui ne comprenez pas les mots que pour vous disent les poètes
Ô tous mes camarades dispersés dans le silence et la douleur
Ô travailleurs qui êtes seuls, chacun dans son silence et sa douleur
Un jour viendra ! Un jour viendra ! Un jour viendra !
Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux
Calme, chacun d’entre eux, son chant s’allonge dans la plaine
Emplit son lit sans heurt, chaque bras couche chaque fleur
Cela se passe dans un autre monde, fraternel
Le peuple habite les territoires libérés.

In Intégrale – vol.3, © Velen

Internet

• Wikipédia | Jacques Bertin

• Disques Velen

• Ouest-France

Contribution de Bernard Grasset     

Un jour, un texte : Laurence Bouvet | N'est pas gagnée la délicate extase

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Laurence Bouvet

N'est pas gagnée la délicate extase

qui m'est donnée de te donner

les dents claquent au goulot le frisson

sous la cohue des doigts en faisceau
toutes nos bouches s'ouvrent
quand tu te tais quand
de légères et soudaines secousses
me sont données de te donner

In Ellipse par le cœur, avec Jean-Philippe Testefort © Unicité, 2024 – Encres de Valérie Thévenot

Internet

• La Pierre et le Sel | Entretien | Laurence Bouvet | Comme si dormir

• Recours au poème

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Felip Costaglioli | Ces taches bleues…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Felip Costaglioli

Ces taches
bleues

sous ma peau

ne sont
pas

des oiseaux

– rares tristes
égarés –

ni scarabées
d Égypte

ce ne sont pas non plus des
tumeurs des lésions douleurs
coléoptères. Non plutôt des petits
ponts.

In Garçon à l’envers, © Éditions des Lisières, 2024

Internet

• Rencontre poétique avec Felip Costaglioli à la BU Lettres & SHS

• Pontargler | Felip Costaglioli – Littérature, Poésie et Cinéma

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Roselyne Sibille | La pleine lune…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Roselyne Sibille

La pleine lune
a étendu ses draps entre les arbres

Sa lumière coule dans la rivière avec les mots
frissonne
crée et perd le poème

In Une libellule sur l’épaule, © L’Ail des ours, 2024 – Illustrations de Sophie Rousseau

Internet

• Roselyne Sibille

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jean Tardieu | Roc notre illusion…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Jean Tardieu

Roc notre illusion refuges calculs notre perte
le poids l’opacité le repos
mais sur le tombeau même
revient la fluide vapeur
ronger dissoudre et disperser la pierre.

Déchire déchirant uni désuni par la cendre
la vague repartie et revenue
rassemble disperse rassemble disperse
s'irrite s'apaise s’irrite
éparpille abolit (l’écume édifie et ruine
la mer en grondant nous ressemble)

In Jean Tardieu Jean Bazaine, L'Ombre la branche, © Paris, Maeght, 1977

Internet

• Wikipédia | Jean Tardieu

• La Pierre et le Sel | Jean Tardieu un poète de l’insolite, une contribution de Jean Gédéon

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Béatrice Pailler | Aujourd'hui ce qui fut

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Béatrice Pailler

Aujourd’hui ce qui fut

Par la mémoire recoudre ce qui fut à ce qui est. Hier, aussi lointain qu’il puisse être, n’est jamais effacé et ce qui est mort n’est qu’absence, une part invisible tenant au présent d’un souvenir comme d’un fil.

Ce qui fut fait signe, mais aujourd’hui l’ignore. De toujours à jamais, il marche ses pas dans ceux du temps vers ce qui sera. Sa lumière est celle de l’instant, son espace : la chute des heures, sa joie : l’horizon ; un monde dans les traces d’hier mais à lui promesses de demain.

En route et sans retour est aujourd’hui, son regard de proue offert à l’à venir.

Ce qui fut a bien des visages, insolés du temps, fidèles à aujourd’hui. De leurs lèvres, d’inaudibles mots frères du silence glissent sur l’air. Rendus aux lointains, ils sont par delà le bleu le temps retrouvé

Passent les souffles, du vent et des visages, les sentir sans les nommer mais dire, sur le vide, leurs présences, pour alléger l’aujourd’hui des fatigues.

Autrefois a goût de manque, petit fruit roulé à fond de gorge sous la langue, pour ne pas oublier la saveur de ce qui fut.

In D’un pas de luciole, © Éditions du Cygne, 2024

Internet

• terre à ciel | Béatrice Pailler

• Éditions du Cygne

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Aytekin Karaçoban | Pense-bête

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Aytekin Karaçoban

Pense-bête

Quand tu viendras chez moi, pense à me laisser ton adresse,
je suis si distrait, j’oublierais de te la demander !
Quand tu viendras, rapporte-moi les rues bondées
mais laisse les impasses et les voies sans issue.
Pense surtout à me rapporter des histoires,
les récits de nos nuits blanches et les vieux slogans fanés.
Rapporte-moi aussi l’accolade de Muzaffer
– il y a si longtemps que je n’ai pas vu mon ami ! –
avec le bonjour de la fille dont parlent les poèmes
de ce bohémien de l’amour.
Rapporte-moi tout ce que tu pourras,
sauf un ticket de quai pour nos adieux
– j’aurais trop peur d’être changé en pierre ! –
sauf la sale gueule de mon propriétaire
– c’était bien suffisant de la voir chaque mois ! –
Quand tu viendras, n’oublie pas 1’orchestre et les tambours,
ils battront pour nous le rappel de la joie.
Quand tu viendras, si tu longes les quais,
si la mer écume et se creuse d’abîmes, ne te retourne pas !
Ferme les yeux pour ne pas voir
les désespérés se jeter dans les vagues…
Avant d’entrer, laisse à la porte ton fardeau,
ta pudeur et les souvenirs qui t’oppressent, je te réchaufferai.
Et en partant, n’oublie pas de me laisser un peu de ton sourire !

In Par la porte entrouverte, © Domens, 2020 – Traduction du turc par l’auteur

Internet

• Recours au Poème

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Samantha Barendson & Estelle Fenzy | 50

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Samantha Barendson & Estelle Fenzy

La presse féminine
m'informe
que le sexe
fait reculer
la ménopause

Je baise
pour ne pas vieillir

             *

L'homme
qui est dans ton lit
n'a plus vingt ans
depuis longtemps

Il te connaît
par cœur
il sait comment
toi aussi

Tu n'as plus à poser
tu n'as plus à paraître
tu ne te regardes plus
faire l’amour

Tu fais l’amour

In 50, © la Boucherie littéraire, 2022

Internet

• La boucherie littéraire

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Benjamin Guérin | Nous avons rejeté au loin le sauvage

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Benjamin Guérin

Nous avons rejeté au loin le sauvage
ouvrant des champs comme des villes
alignant des ruelles où l'on plante de l’herbe
la meilleure pour les vaches toujours la même
la plus verte et la plus efficace

il ne reste d'arbres que des friches
et des champs de bois alignés
en rang comme des vignes
ils attendent l'appel
pour être fusillés
au jour dernier
de la coupe franche

on a mis les forets en ordre et en ligne
comme des places de parkings
à durée limitée

oubliant le temps des arbres
on a exproprié les fantômes et les fées
on a disséqué
la nature enchantée

                                *

Mème les loups ont fini par apprendre
à marcher sur des ponts
dans l’ombre des caméras
de télésurveillance
ils se retrouvent le soir
aux sorties d'autoroute
traversent le monde
sans jamais se faire voir
en retrait sur les bandes
aux arrêts d'urgence
invisibles et présents

ils ramènent la mémoire
des libertés sans âge
dans les recoins bitumés
là où fleurissent encore
les dernières fleurs sauvages

In Quand nous étions des loups, © Revue la forge | éditions de Corlevour, 2024 avec des illustrations de Robert Lobet

Internet

• Occitanie livre et lecture | Benjamin Guérin

• Éditions de Corlevour

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Françoise Ascal | Je ferme les yeux et laisse le mot venir…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Françoise Ascal

Je ferme les yeux et laisse le mot venir, le mot qui bouge sous ma plante de pied, le mot que je froisse à chaque pas mais qui se redresse toujours, graminée têtue, chiendent de consolation. Le mot grimpe jusqu'à ma main qui ne le voit pas mais le saisit, sans rien demander, sans connaître son sens et son sort, ce qui l'attend dans le blanc de la page – un faux blanc, toujours maculé de vestiges, de couches de signes décomposés, de mains coupées dans la marge, paumes pleines de syllabes rouges encore vivantes. Le mot exige, parle haut. Le maître-mot veut ma gorge pour battre, ma bouche pour mordre, il cherche le réel, éperdument, mais ne sait où le rejoindre. Baudruche. Il s'enfle, hisse sa sève obscure, cherche la brèche ou le geste pour fendre le silence, l'éventrer, en deux comme fruit trop mûr, noyau à l'air, abricot doré, essence et substances mêlées, chair du monde.

In Lignées © Æncrages 2012 – Avec des dessins de Gérard Titus-Carmel

Internet

• Wikipédia | Françoise Ascal

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Elicura Chihuailaf | Lettre d’enfance

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Elicura Chihuailaf

Carta de infancia

Oigo otra vez tu dulce canto abuela
y el cielo azul del verano
es tu inmenso cariño
y su brisa mi cuerpo pequeñito
sentado en tus rodillas
El caminante es la polvareda
que se levanta a lo lejos
a esta hora en que en mi alma
tu recuerdo es el invierno
La tarde tiene quietud de mediodia
y en su aire se mece su música
tal vez lo único verdadero que nos une
Luego, alos lejos, siempre a los lejos
la noche comienza a repasar los trazos del paisaje
y graznidos hay de gansos y bandurrias
Mi madre prepara la mesa
mi padre regresa del mingako
y yo no hago más que oír y oír tu dulce canto
y canto y también abuela
iluminándose la cordillera en mi corazón
(En el valle, después, soñaré yo tus Sueños
que tan perfectamente azules veo bajar
por los verdes canelos).

Lettre d’enfance

Ton doux chant, je l’entends encore, grand-mère
le ciel bleu de l’été
c’est ton immense amour
et sa brise, mon corps tout petit
assis sur tes genoux
Le voyageur est la poussière
qui se lève au loin
à cette heure dans mon âme
ton souvenir est l’hiver
Le soir possède la paix de midi
et dans son air se berce sa musique
peut-être la seule chose vraie qui nous relie
Puis, au loin, toujours au loin
la nuit commence à refaire les traits du paysage
et il y a les cris des oies et des ibis
Ma mère met la table
mon père revient du mingako¹
et moi, j’entends encore et encore ton doux chant
et moi aussi je chante grand-mère
la cordillère s’éclaire dans mon cœur
(Dans la vallée, après, je rêverai tes Rêves
si parfaitement bleus que je vois descendre
au travers des vertes cannelles).

1Travail communautaire

In Rêves de Lune Bleue, © L’Harmattan, 2017

Internet

• Wikipédia | Elicura Chihuailaf

• La Procure | Rêves de Lune Bleue

Contribution de Bernard Grasset