La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Arthur Tima
Les matins sont calmes, parfois Le monde semble s’absenter sans laisser d’autre trace de son passage qu’une petite bulle d’air qu’il parait possible de respirer. La nuit finit de se consumer quand le jour, quoique sceptique, travaille son apparition. On peut discerner sur sa peau les fils cendreux de la poussière s’effilocher sans mot. Ces matins semblent ne pas avoir d’âge et pourtant conserver entre leurs mâchoires un vieil os, mixte de mémoire et d’oubli, dont aucune vie ne se souvient.
Ces matins-là, ne rien faire parait suffire. Il n’y a pas besoin de rajouter quoi que ce soit à la vie pour qu’elle ait lieu. L’existence tient en équilibre sur son fil de soie, le néant l’entoure sans la heurter, on voit loin sans avoir besoin de bouger. On est là.
On ne sent plus l’espace d’un instant la vieille baraque déglinguée, les clés rouillées qui l’ouvraient avant, les lettres mortes clouées au grenier. On remonte la pente de l’oubli à grands coups de sentiments. L’émotion dure un instant mais on apprécie.
L’architecture ordinaire des matins, ossifiée par les habitudes, parait foutre le camp. On s’en balance des heures, leurs créneaux démolis sur la citadelle de l’ennui, les lambeaux de jour dont on sirote le jus au lever, l’abîme au fond des gobelets en plastique. Un océan s’ouvre au fond des yeux, pour un peu, on se verrait encore dans longtemps, juvénile et indéfinissable, passablement serein. On se sent être sans besoin d’y croire.
Ces matins sont calmes, l’air de rien. L’espace la nuit, percluse d’étoiles mais vivante, oisive et neigeuse, dans une traîne merveilleuse.
In Diérèse n° 92, © Diérèse et les Deux-Siciles, 2024
Contribution de PPierre Kobel