Avant même d’être l’histoire d’une personne, c’est l’histoire d’un texte, un seul poème retrouvé par un petit garçon dans la poche de son pantalon où l’auteur l’avait glissé. Et c’est à partir de ce petit fait que se déroule le fil de cette aventure poétique et humaine. Le texte de Marianne Cohn sera inclus dans La Résistance et ses poètes par Pierre Seghers. C’est là qu’un adolescent, amoureux de poésie, le découvre et s’en empare intimement. Ce texte l’accompagne au cours de ses vies futures. Il accompagne le professeur qu’il sera, il accompagne l’éditeur qu’il deviendra même s’il ne sait pas encore qu’il sera un jour à la tête des éditions Seghers avant de fonder une maison à son propre nom.
Bien des années plus tard, Bruno Doucey décide de donner vie à Marianne Cohn. Il prend la parole pour la lui donner, « Si tu parles, Marianne ».
« Ce que je sais de toi tient dans le creux d’une main. Deux dates, un poème. De rares photographies. Quelques documents administratifs, simples preuves de ton existence. La conviction que tu n’es pas morte pour rien. »
Si tu parles, Marianne, Éditions Élytis, 2014, p.1
Bruno Doucey se place dans un autre je qui n’est pas lui et qui pourrait être un frère, un amour adolescent, dans tous les cas un interlocuteur qui donne une actualité à Marianne.
Qui était-elle ? Née le 17 septembre 1922 à Mannheim en Allemagne dans une famille d’intellectuels, juive non pratiquante, elle se trouve confrontée avec les siens au nazisme. Ils partiront en Espagne durant plusieurs années jusqu’à ce que l’arrivée du franquisme les chasse et qu’ils repartent pour s’installer en France. Jeune fille volontaire, active et engagée, elle entrera dans un réseau de Résistance en Savoie. C’est là, après qu’elle ait contribué à faire passer des dizaines d’enfants en Suisse, qu’elle est arrêtée fin mai 1944 par les Allemands. Emprisonnée, torturée, elle sera abattue le 8 juillet 1944, à l’âge de vingt-deux ans. Son corps sera reconnu, elle a une sépulture et un jardin lui est dédié à Jérusalem.
Bruno Doucey n’a pas fait œuvre d’historien. Et c’est sûrement ce qui a d’autant plus ému le vieux monsieur de 86 ans qui, dans une librairie de Nancy, a découvert ce livre avant de contacter l’auteur. Ce vieux monsieur est un des trois survivants vivant en France sur les vingt-huit enfants arrêtés en même temps que Marianne et qui échapperont à son sort grâce à elle et à l’aide du maire d’Annemasse.
« J’aimerais pouvoir retrouver un à un les enfants que tu as sauvés. Connaître leurs noms. Regarder leur visage. Enregistrer leurs souvenirs. Parmi eux, certains se souviennent forcément de toi. Ce que tu leur disais pour les rassurer. Cette façon que tu avais de les rassembler calmement, de répondre à leurs questions, de leur expliquer avec des mots simples ce qu’ils auraient à faire. Quelle belle institutrice tu aurais été, Marianne, si la vie t’en avait donné la chance ! »
Si tu parles, Marianne, Éditions Élytis, 2014, p.56
La boucle pourrait être bouclée, mais l’aventure se poursuit ainsi, l’engagement de Marianne se prolonge bien au-delà de sa disparition. Grâce à ce récit, Bruno Doucey perpétue jusqu’à nous la parole de Marianne Cohn et réaffirme ainsi la nécessité d’une poésie engagée, d’une parole qui dit non.
Je trahirai demain
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne me faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
je trahirai demain.
Marianne Cohn
Bibliographie partielle
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Bruno Doucey : Federico Garcia Lorca, non au Franquisme (roman), Actes Sud Junior, coll. « Ceux qui ont dit non », 2010, réédité en 2014
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Bruno Doucey : Victor Jara, non à la dictature (roman), Actes Sud Junior, coll. « Ceux qui ont dit non », 2008, (Ouvrage traduit en portugais, coréen et catalan), co-lauréat du prix des Droits de l’Homme, 2009
Internet
Contribution de PPierre Kobel
J’ai toute ma vie été un partisan du grand silence sur cette période parce que je jugeais les gens incapables de comprendre ce qui s‘est passé. Mais comme j’ai été sauvé par Marianne Cohn et Mila Racine juste avant le piège d’Annemasse je dois dire mon admiration pour ces jeunes filles d’un courage exceptionnel.
Ludwig
Rédigé par : Fifi42403494 | 07 décembre 2016 à 13:20