Ombre
Avec
tes ponts sans fin
Tes couleurs ton silence
Où je vais
maintenant
Une lampe allumée
Et suivant mon passé
Qui
marche devant moi
Sans rien me demander
Sans daigner me
répondre
Indocile à la voix
Se retournant parfois
Pour
voir si je suis là.
In Sans feu ni lieu © Éditions l’Age d’homme – cité par Jean-Noël Cuénod « Les Blogs, Un plouc chez les Bobos »
Georges Haldas, poète suisse de langue française, naît à Genève le 14 août 1917, d’une mère romande et d’un père grec céphalonien. Il vivra jusqu’à l’âge de 9 ans en Céphalonie, puis passera la majeure partie de sa vie à Genève. Il décède le 31 octobre 2010 à Mont-sur-Lausanne en Suisse.
Son œuvre poétique comprend 14 recueils de poèmes, parus aux Éditions l’Age d’homme. Mais il est également l’auteur d’essais, chroniques, recueils sur « l’État de poésie », de traductions…
Georges Haldas sera un humaniste au pays refuge des coffres-forts de la planète. Son introspection des mystères de l’âme humaine, la recherche du sens caché du mal, le rendent proche d’un Baudelaire, d’un Dostoiëvski. Dans son athéisme pétri d’interrogations on sent poindre un Bernanos. Chez les Anglo-saxons, il distingue particulièrement Dickens et Faulkner. Cervantès l’hispanique et son Don quichotte victime de son idéalisme aura toute son admiration. Lors de la remise au poète du Grand Prix Ramuz, Pierre-Olivier Walzer évoque Georges Haldas comme « un merveilleux professeur d’attention, soulignant la présence au monde intense et rayonnante qui caractérise son rapport aux choses et aux êtres «
Les mythologies grecques enseignées par son père, mais également la lecture de la Bible seront pour lui une source intense de réflexions. Dans une Radioscopie avec Jacques Chancel, Georges Haldas insiste sur ce qu’il nomme « L’État de poésie ». Poésie qui n’est pas « évasion », mais « invasion » de l’être. Il est loin de la notion du poète réfugié dans sa tour d’ivoire. Voici un poète de chair et de sang pour qui la poésie réside dans les choses les plus humbles offertes à l’homme de cœur et de sensibilité.
L’Aube
d’avril
Dans
l’air tremblant d’avril
quand les maisons relèvent
leur
voile et qu’on revoit
le front vieux du matin
avec la même
étoile
qui s’éteint
Quand la dernière porte
a
chassé tout amour
Quand pareille à la lune
au coin de son
quartier
D’un coup a disparu
la plus brune des filles
La
douce rue commence
à saigner on voit bien
Ce qui manque à nos
vies
Qu’y peut un homme seul
Gagnant juste sa vie
et
qui reste les mains
dans les poches
le matin
Comme un
mouton qui sait
ce qu’est la boucherie
mais fait semblant de
rien.
In Le couteau dans la plaie, © La Baconnière 1956 – La Poésie française contemporaine de Suisse 1974 – P. 96.
****
Tuerie du temps
Chaque
jour, comme un bœuf
qu’on égorge, s’abat.
Dans le soir
c’est un flot
noir et fort qui s’en va.
Ses larges yeux
éteints
envahis de brouillard,
le bœuf entier chavire.
Les
enfants, étonnés,
se tiennent par la main,
admirent tout le
sang
qu’un bœuf peut contenir.
Et la montagne est
rose
Et le ciel lisse et plein.
Le boucher tout heureux
se
crache dans les mains.
In Le Pain quotidien, © Éditions Rencontre – 1959 – La Poésie française contemporaine de Suisse 1974 – P.97
****
En Suisse
C’est
le corps mutilé :
La Suisse est un désert
où chaque
jour les mots
comme des eaux se perdent.
Un puits secret
les garde,
c’est leur tombeau d’oubli.
Celui qui les
profère
se défait. On l’enterre
ça ne fait pas un pli.
Et
le silence luit
sur ce pays prospère.
In Corps mutilé, © Éditions Rencontre 1962 - La Poésie française contemporaine 1974 – P. 97
Au cours d’un entretien avec Michel Coquoz, journaliste et homme de télévision suisse, il déclare : Ce qui est le plus important pour moi, c’est vivre pour écrire la beauté des choses au même titre que la souffrance humaine : je ne sais rien faire d’autre que de dire ce que je ressens…Ma conception de l’écriture touche aux assisses de l’être : elle est nécessité de dire la vie dans son horreur et ses merveilles …
Georges Haldas durant quelques années se rapprochera des communistes suisses, (affinités qui s’étaient imposées à lui avant la première guerre mondiale), mais sans jamais s’inscrire au parti. La droite suisse pour laquelle il n’avait que méfiance était trop proche du national-socialisme allemand. Lorsque de ses obsèques, Jean-Noël Cuénod écrira dans la Tribune de Genève, évoquant les rapports du poète et de sa ville natale : cette Genève-là, toute de fric et de troc, Georges Haldas avait sa myopie pour l’en protéger.
Insomnie (extrait)
Sans
feu ni lieu le roc
Maison trouée je tire
Sur
les lampes Le cœur
non atteint se défend
Je veux saisir la
pieuvre
Elle aussi se défend
Je descends plus profond
dans
la forêt des algues
où toute vie s’obstrue
où le silence
d’eau
dit adieu à l’hiver
où je suis comme une
ancre
immobile et le fer
me glace avec la nuit.
Je lis et chaque page
Fait
monter une bulle
qui crève à petit bruit
C’est la voix qui
dit non
Ma vie perdue qui saigne
au milieu des débris
guettés
par les poissons.
In Sans feu ni lieu © Éditions Rencontre 1968 – La Poésie française contemporaine de Suisse – 1974 – P.101
****
Faubourg
de l’hôpital
A
la mémoire de Francis Glauque
Tranquille
une douleur
est là parmi les branches
Mais toi tu n’es plus
là
Je n’entends plus ton pas
le long de l’allée claire
Je
n’entends plus ta voix
C’est un parc immobile
et bourgeois
Le beau temps
ajoute au désarroi
Hier encore on parlait
de
ce mal d’exister
qui te clouait le foie
Au fond de ta
souffrance
tu avais un œil fixe
et rempli d’épouvante
Tu
avais vu des rats
passer par la serrure
pénétrer dans la
chambre
Et ta vie était comme
une montée de rats
dans
l’angoisse où tout seul
plus seul toujours plus bas
dans un
puits de silence
tu fumais regardant
la pendule
parfois
Répétant à voix basse
pour la centième
fois :
Demain je me descends
On n’y croyait pas trop
Tu
as tenu parole
Et c’est l’eau maintenant
qui te tient Je la
vois
au bout de l’allée noire
Faubourg de l’Hôpital
où
tu renonces même
quand les amis te parlent
à leur tendre les
bras
In Sans feu ni lieu © Éditions Rencontre 1968 – La Poésie française contemporaine de Suisse – P.102
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Cauchemar
Et
déjà sous la lampe
c’était corps mutilé
de femme nue
encore
La neige le couteau
Les étoiles tranquilles
Un peu
de sang caillé
Les enfants répétaient
dans la classe
immobile
leur leçon La douleur
sur le front des
parents
luisait comme de l’huile
Un poisson remontait
la
ruelle en chantant
Cette ville est un ventre
où le serpent
s’enroule
et guette les passants
Les magasins le soir
se
vident de leur sang
In « Sans feu ni lieu » © Éditions Rencontre » 1968 – La Poésie Française contemporaine de Suisse P.103
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Ô pays de silence
Voici
le train du soir
C’est la fin de l’été
Je suis debout Je
veille
comme un grand tronc malade
J’ai les yeux pleins
d’abeilles
Mais je vois la montagne
et la ville et la
plaine
Tout un pays à moi
qui ne fut pas à moi
Une vie où
j’étais
sur le point de gagner
Où je n’ai pas gagné
Et
rien que de le voir
ce pays de douceur
ses lacs ses
promontoires
ses villages le soir
pareils
à des colliers
Avec son autostrade
et ses bruits réguliers
Moi
qui voulais tout dire
dans cette fin d’été
Je n’ai pas pu
parler
In Sans feu ni lieu © Éditions Rencontre 1968 – La Poésie française contemporaine de Suisse – P.104
Jean-Noël Cuénod, toujours dans la Tribune de Genève, écrira le 26.10.2010 après le décès du poète : « Georges Haldas ayant embarqué vers l’autre rive, Genève a gagné une ombre de plus, une de ces ombres qui de Rousseau à Bouvier, créent sa vraie lumière, celle des enseignes luxueuses et bancaires n’étant que des reflets grelottant dans la rade.
Sans
feu ni lieu j’arrive
au bout de ce voyage
Ne me demandez
rien
Je n’ai pas de bagages…
In Un grain de blé dans l’eau profonde
Ces quelques vers ont la résonance d’une épitaphe.
Distinctions
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Prix Schiller 1971 et 1977
-
Grand Prix de la ville de Genève 1971
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Prix Taormina 1970
-
Prix Édouard 2004 pour l’ensemble de son œuvre
-
Grand Prix Ramuz
Bibliographie
-
La Voie d’Amour © Éditions de la Baconnière, 1948
-
Chants de la Nuit, © Éditions Rencontre, 1952
-
Le Couteau dans la Plaie © Éditions de la Baconnière,1956,
-
La Peine capitale, © Éditions Rencontre,1957
-
Le Pain quotidien © Éditions Rencontre, 1959
-
Corps mutilé © Éditions Rencontre,1962
-
Sans Feu ni Lieu © Éditions de l’Aire,1968
-
Poèmes de la grande Usure © Éditions de l’Aire,1974
-
Funéraires © Éditions l’Âge d’Homme, 1976
-
Un grain de Blé dans l’Eau profonde ©, Éditions l’Âge d’Homme,1982
-
La Blessure essentielle © Éditions l’Âge d’Homme, 1990
-
Un Grain de Blé dans l’Eau profonde et autres poèmes,© Choix de Jean Romain, Orphée la Différence,1992
-
Venu pour dire © Éditions l’Âge d’Homme, 1997
-
Poèmes de jeunesse © Éditions l’Âge d’Homme, 1997
-
Poésie complète,© Éditions l’Âge d’Homme, 2000
Internet
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Un entretien vidéo pour la Radio Télévision Suisse
-
Entretien Michel Coquoz « Au commencement était le verbe »
Contribution de Hélène Millien
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